Soutien fiscal et symbolique à l’abandon de la voiture, un gain individuel et collectif

La mobilité privée motorisée (voiture, deux roues) est toujours le principal mode de déplacement en Suisse (100 milliards de kilomètre-personnes sur 130 milliards parcourus annuellement). Les politiques proposées à ce jour ont un impact marginal sur les pratiques de mobilité: la voiture reste reine. Or, les dégâts qu’elle produit sont payés directement (nuisances diverses) et indirectement (financement du traitement des nuisances) par toutes et tous. Un changement de norme sociale de mobilité s’impose. Une approche pourrait être la fiscalité: promouvoir l’abandon de la voiture, en aidant celles et ceux qui n’en ont pas et/ou y renoncent.

Tenter indéfiniment l’approche du bâton, c’est-à-dire taxer les pollueurs, est perdu d’avance: ils sont trop nombreux, structurés et politiquement représentés. Mieux vaut changer d’approche.

Il s’agirait de proposer une déduction fiscale pour toute personne majeure qui ne possède pas de véhicule privé. Se déplacer sans moteur privé cause beaucoup moins de coûts à la collectivité. Les coûts externes de la mobilité motorisée privée, soit les coûts non payés via les différentes contributions liées à la voiture (taxe essence, vignette…), se montent à 7.2 milliards par an en Suisse. Celles et ceux qui n’ont pas de véhicule privé (20% des ménages) subissent les nuisances sans les produire, et de plus en cofinancent les conséquences. C’est donc la double peine.

On pourrait opposer à cela que d’autres pratiques vicieuses génèrent des coûts à la charge de la collectivité, comme la fumée ou l’alcool. C’est juste pour l’aspect financier, mais en termes de nuisances, elles ne génèrent pas d’effets directs et ce à l’ensemble de la collectivité. Un moteur qui tourne, c’est la garantie d’une pollution de l‘air pour tous; un alcoolique qui boit un litre de rouge, ce n’est pas, à part pour lui, la garantie d’une nuisance.

De plus, la mobilité est devenue une quasi-obligation, ce qui n’est pas le cas de boire ou de fumer. Un Etat doit favoriser les alternatives pour cette mobilité, mais n’a pas à offrir d’alternative à des pratiques (boire, fumer) qui ne sont pas nécessaires en soi.

Le véhicule privé, vu sa généralisation, est un gouffre écologique mais aussi économique. Produit du capitalisme, le véhicule privé est pourtant intrinsèquement anti-libéral, car il ne doit sa survie qu’au subventionnement par la collectivité et, via une pollution durable, par les générations futures.

La mise en œuvre d’une promotion fiscale de l’abandon du moteur privé serait assez simple. L’immatriculation est une donnée facilement vérifiable. Il y aurait évidemment des triches et des fraudes, mais comme partout, un système se met en place pour la majorité qui le suit. De plus, posséder une voiture et conduire ne revient pas au même: si des systèmes de partage se généralisent, c’est un signe de maturité bienvenu. Le but est atteint: moins de voiture implique nécessairement moins de kilomètres parcourus.

Financièrement, l’effet serait minime voire à terme neutre pour les caisses publiques. Des voitures en moins, c’est une économie garantie sur les milliards cités. Avec 5.3 millions de véhicules à moteur privés en Suisse, chacun génère en moyenne 1350 francs suisses / an de coûts externes (environ 1200 euros). Chaque retrait fait économiser cette somme (caisses publiques comprises), en tous cas au début du processus.

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Ceux et celles qui veulent ou doivent garder leur véhicule gagneraient aussi au retrait des autres. Il n’y a aucune différence financière pour eux/elles, mais des gains de confort: moins de trafic, moins de bouchons, plus de places de parc libres… et évidemment un air meilleur.

L’approche proposée est positive et émancipatrice. Elle devrait se coupler avec une réduction de la mobilité tous azimuts: incitation au travail à domicile, à la mobilité douce, dont les coûts externes sont, eux, positifs pour la santé et donc l’économie. La voiture a provoqué, par son apparente facilité d’usage et son coût sous-estimé, une mobilité délirante. Réduire la voiture c’est aussi réduire les déplacements incessants, faux-jours des vies blasées.

Insister sur une approche coercitive de pollueur-payeur comme aujourd’hui n’apporte pas de modification des pratiques, on le constate dans les statistiques. En demandant de payer plus aux automobilistes, cela leur donne un droit: « qui paie commande ». Le principe du pollueur-payeur est subtilement pervers. Il ne vise qu’indirectement le but ultime (la réduction d’une consommation), mais plutôt la gestion de ses conséquences. Il faudrait faire cohabiter les deux approches: faire payer le pollueur et récompenser le moins-pollueur.

Une déduction fiscale pour non possession de véhicule privé motorisé va-t-elle vraiment faire baisser leur nombre? Il y a deux effets qui s’additionnent: celui de l’abandon et celui du non primo-achat. Ce dernier est peut-être le plus fort car perdre un avantage fiscal (lors de l’achat d’un véhicule) n’est jamais agréable. De plus, avant l’achat, qui a lieu de plus en plus tard, des habitudes de vie sans voiture se mettent en place. On réalise alors que dans un petit pays bien desservi en transports publiques, en voies piétonnes et (bientôt encore plus) cyclables, la voiture est plus un problème qu’une solution. Graduellement défaite de son prestige social (au profit d’autres outils technologiques), elle n’a plus rien pour elle.

Soutenir fiscalement l’abandon de la voiture peut changer le paradigme de la mobilité. Ne pas conduire bénéficie à toute la société et doit être promu. Cela donne un signal très clair sur la priorité poursuivie par une collectivité. C’est une forme de « nudging », concept mis à la mode par un récent prix Nobel, qui signifie simplement attirer l’attention sur une bonne pratique.

La charge symbolique et normative de l’incitation fiscale serait une composante essentielle d’une telle entreprise. Au cas où tout cela peut paraître irréaliste, relisons le rapport 2017 de l’Office fédéral de l’aménagement du territoire sur les coûts de la mobilité : « Si les piétons étaient dédommagés pour les bénéfices générés, cela constituerait une incitation à davantage utiliser la marche à pied (…). Pour que, dans une économie de marché, les ressources soient affectées de manière optimale, les coûts et bénéfices externes doivent être internalisés, autrement dit être payés par, respectivement profiter à, ceux qui les génèrent. »

Blaise Bonvin
St-Prex

7 commentaires sur “Soutien fiscal et symbolique à l’abandon de la voiture, un gain individuel et collectif

  1. marmotte27

    Jamais en France où l’ industrie automobilière soudoie les politiques. Même l’indemnité kilométrique vélo n’est toujours pas obligatoire, y compris pour les fonctionnaires.

  2. pedibus

    reste éveillée encore quelques semaines Marmotte, avec cette douceur exceptionnelle c’est facile… :

    la loi d’orientation mobilité prévoit l’IKV obligatoire pour les administrations… restera à ce qu’elle soit votée et que la partie réglementaire ne tarde pas trop…

  3. Marie

    Comment calculer les couts externes générés par un véhicule comme cité en Suisse a 1500FCH ? Avez des sources à nous donner svp ?

    Merci

  4. Alibaba

    « On réalise alors que dans un petit pays bien desservi en transports publiques, en voies piétonnes et (bientôt encore plus) cyclables, la voiture est plus un problème qu’une solution. »

    Et dans les autres ???

  5. Blaise

    Et les

    100 milliards de kilomètre-personnes sur 130 milliards parcourus annuellement.

    C’est quoi comme stats svp ?

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