Pierre Gattaz dit MERDE à l’écologie

Gattaz, c’est du lourd. Président du Medef depuis le départ de Laurence Parisot, le « patron des patrons » conchie avec une belle vigueur toutes les contraintes. L’écologie ? Encore une invention des ennemis de l’industrie.

Qui a dit sur RTL : « Je dis non à toute fiscalité écologique » ? Lui, Pierre Gattaz, nouveau chefaillon du Medef depuis que la Parisot a été balancée à la benne. Gattaz n’est pas la moitié d’un idiot. La preuve immédiate avec le diesel, qui ne tue jamais – prématurément – que 42 000 personnes par an en France (chiffres OMS). Selon lui, le taxer serait un crime contre la bagnole et ses acheteurs, qui perdraient du pouvoir d’achat. Sans compter que le coût du transport de la pacotille ne pourrait qu’augmenter. Il est mieux de mourir que de voir ça.

Les gaz de schiste ? C’est évidemment « une filière d’avenir », et il faut autoriser de toute urgence son exploration en France. La vieille croûte nucléaire de Fessenheim ? Il ne faut surtout pas fermer la centrale en 2016, comme l’a promis Hollande, car il ne s’agit, tout bien considéré, que d’une « décision politique ». En somme, carton plein. Parisot se foutait de l’écologie, Gattaz aussi, mais avec en plus la bave aux lèvres.

Ne pas croire pour autant qu’il serait un simple gogol. La « fiscalité écologique » est, sur le papier du moins, une bombe thermonucléaire susceptible de détruire l’édifice industriel tout entier, ce qui embêterait un chouïa le Gattaz. Essayons la simplicité, et citons pour commencer André Gorz, penseur défunt de l’écologie politique. On trouve dans Écologie et liberté (Galilée, 1977) ceci : « L’homo œconomicus (…) ne se pose jamais de questions de qualité, d’utilité, d’agrément, de beauté, de bonheur, de liberté et de morale, mais seulement des questions de valeur d’échange, de flux, de volumes quantitatifs et d’équilibre global ».

On aura reconnu pas mal de gens. L’industrie est intrinsèquement incapable de s’interroger sur le sens. Elle produit, vend, crache du flouze pour ses maîtres, et aimerait bien que la police de la pensée débarrasse le monde de ses détracteurs. Dans ces conditions, Gattaz a bien raison de refuser des taxes écologiques, car ce serait pour lui mettre le doigt dans l’engrenage.

La bagnole individuelle, pour ne prendre que cet exemple, n’existe que parce que ses innombrables coûts cachés ne sont pas pris en compte. Si l’on commence à demander des comptes pour les poumons des subclaquants du diesel, où s’arrêtera-t-on ? La bagnole enchaîne des foules au crédit, tue les villes du monde, contribue massivement au dérèglement d’un climat à peu près stable depuis 10 000 ans. La taxer sérieusement, c’est l’interdire. Un programme irrésistible.

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Voilà où en est le Medef en cet été 2013 : surtout, on ne lâche rien. Gattaz, pour en revenir un instant à lui, est l’héritier de son bon papa Yvon, lui aussi « patron des patrons » entre 1981 et 1986, quand le Medef s’appelait le CNPF. Les deux, très proches, partagent une même vision du monde, qui nous ramène à des temps disons controversés. Le vieux, Yvon, a signé à l’été 2010, dans la revue Commentaires, un article réclamant gentiment la suppression des syndicats. Car en effet, écrivait-il, « les syndicats, menaçants, tragiques, démolisseurs, démoralisateurs, gréviculteurs, sont plus médiatiques que le bon patron caché dans sa province sans syndicat, à la recherche du bonheur social ». On a le droit de songer aux beaux discours de Vichy, qui rendaient les ouvriers tellement patriotes.

Quant à son fiston, Pierre, on sait qu’il arrive à la tête du Medef accompagné d’un revenant, Denis Kessler, auteur – décidément – d’un très remarquable article (Challenges, 4 octobre 2007), qui s’achève sur ces mots : « Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! ».

Avec de tels maîtres de la pensée, l’écologie est en de bonnes mains. Hollande, qui se moque du tiers comme du quart, a refilé le 2 avril la grand-croix de la Légion d’honneur au vieux. Et le jeune, de son côté, est raccord. Comme il le dit avec simplicité (Les Échos, 29 octobre 2010), « Nous disposons, en France, de tous les atouts. Mais pour retrouver la croissance, il faut renouer avec le temps des bâtisseurs et des conquérants ». Tout détruire, c’est forcément rebâtir.

Cet article a paru dans Charlie Hebdo le 7 août 2013

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5 commentaires sur “Pierre Gattaz dit MERDE à l’écologie

  1. Laurent

    Tous nos chers capitalistes français bavent en voyant l’avance qu’a pris le SP500 (indice boursier américain) par rapport au CAC40 alors il faut faire comme les amerloques cad exploiter le gaz de schiste, faire bouger les européens vers les états où les mêmes ont envie d’embaucher etc…
    Et en plus il faut que les politiciens leur décernent la légion d’honneur
    (d’horreur comme disait mon grand père) en notre nom qui plus est!

  2. Vincent

    En même temps, l’industrie, c’est aussi ce qui permet de fabriquer des vélos à un prix abordable…

  3. Struddel

    … qui ne vaudront jamais la qualité d’un vélo de cadreur artisan.

    Les gens sont prêts à mettre 15 000 €dans un SUV mais dépenser 3000 € pour un vélo c’est la fin du monde.

    Comme si l’un était un moyen de transport viable et l’autre non.

    Amusant.

    L’industrie est intéressante pour les objets qui ne peuvent être réalisés QUE de façon industrielle (je vois mal un artisan créer sa propre carte mère avec son silicium pour faire un PC et aller sur internet), pour le reste, autant aller vers des vrais produits, le prix avantageux des produits de série se ressent forcément ailleurs.

  4. apanivore

    Je ne suis pas intimement persuadé de la supériorité qualitative d’un vélo de cadreur artisan sur un vélo fabriqué en usine (pour l’instant je n’ai eu aucune preuve concrète). En usine on instaure toute une série de contrôles pour s’assurer de la qualité du produit fabriqué.

    Après des compromis sont faits pour pouvoir vendre le vélo à un certain prix. Si tu achètes un vélo qui sort d’une chaîne industrielle à 1000€ tu peut être sûr d’avoir un bon vélo de la qualité d’un qui t’aurait coûté 50% de plus chez un artisan.

    Il y a forcément une économie d’échelle dans la production industrielle.

    De toute façon un artisan ne va pas fabriquer un vélo à 100%, il va forcément assembler des pièces issues de l’industrie. C’est pareil que pour ton histoire de PC en fait. Un artisan peut bien assembler et souder un PC à partir des composants de base (carte mère, transistors, cables, …) et te le vendre plus cher que ne le ferait une usine. Et un cadreur artisan ne va pas partir du minerai de fer pour te faire un vélo, il va couper et souder des tubes d’acier…).

    La fiscalité écologique ne touchera pas toutes les industries durement. Je pense à l’imprimerie par exemple, secteur dans lequel, en Europe en tout cas, beaucoup de boites ont déjà fait des efforts pour utiliser du papier recyclé ou issu de forêts « gérées durablement », des encres non toxiques, réduire leur consommation d’eau, contrôler leur utilisation de produits chimiques, leurs rejets dans l’environnement …

  5. Struddel

    Entre assembler un PC et fabriquer un cadre il y a un monde : assembler un PC se rapprochera plus d’assembler un vélo en partant d’un cadre industriel en lui collant les périphériques qui vont bien.

    L’assemblage d’un PC ne sera qu’une somme d’éléments industriels sélectionnés, l’assemblage d’un vélo, pareil.

    On ne peut pas dire d’un monteur de vélo qu’il est artisan, il n’y a pas artisanat dans le geste, il n’y a qu’un assemblage de pièces faites pour aller ensemble en respectant des normes.

    Un cadreur crée une pièce, il ne crée évidemment pas la matière première, tout comme un sculpteur ne crée pas son bloc de pierre, mais il façonne une matière (le tube et les plaques d’acier par exemple) pour créer un objet spécifique à la demande du consommateur ou spécifique à sa créativité.

    La production de masse crée un objet dans le but unique de provoquer l’achat d’un maximum de gens tout en ayant un minimum de coût et fabrique uniquement par rapport à ce compromis.

    Ainsi les séries de contrôles effectuées en usine sont le strict minimum sécuritaire pour répondre aux normes imposées dans le pays où seront vendus les pièces sans aucune exigence de qualité.

    Cette qualité ne sera qu’en fonction du cahier des charges présenté par l’acteur qui vendra ces pièces, et qui en déterminera lui-même les critères selon les résultats d’études marketing.

    Quant au vélo à 1000 € de qualité, chacun ses croyances, j’ai trop vu de cadres de vélo à 1000 € (ce qui constitue d’ailleurs un milieu de gamme dans le domaine du vélo) rompre après seulement une année ou deux pour y croire.

    Ce qui fait le prix d’un vélo à 1000 €, c’est la demande de ce vélo par rapport à la façon dont il a été présenté et vendu lors de l’étude de marché, pas sa prétendue qualité.

    Et ce qui fait que vélo à 1000 € = vélo de qualité dans la tête des gens, c’est le marketing : à force de voir les GSS vendre des vélos milieu de gamme à des prix allant de 400 à 600 €, les vélos à 1000 € deviennent des vélos « haut de gamme », après il faut savoir de quelle gamme on parle pour évaluer ce que signifie « haut de gamme ».

    Et au delà de la qualité, du prix et du marketing, l’artisanat fait partie des rares choses qui rendent encore les relations humaines et la création vivantes.

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