Cycliste, cet étonnant petit voyageur

Chaque année le festival des Etonnants Voyageurs célèbre à Saint-Malo des aventuriers de l’extraordinaire. Toute l’année, vivent d’étonnants petits voyageurs, aventuriers de l’ordinaire: les cyclistes. Petite ou grande, l’aventure distille un même parfum mêlé de lâcher prise et de liberté. Et si vous y goutiez cette année en prenant votre vélo ?

La poésie de la grande et de la petite aventure différent en apparence. La poésie de la grande aventure est majestueuse et éloquente. La poésie de la petite aventure est primesautière. Comparez un peu:

La grande: « Étonnants voyageurs ! Quelles nobles histoires, Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers ! Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires, Ces bijoux merveilleux, faits d’astres et d’éthers. » (1)

La petite: « Dès le matin, par mes grand’routes coutumières, Qui traversent champs et vergers, Je suis parti clair et léger, Le corps enveloppé de vent et de lumière. »(2)

Mais en réalité les deux formes de poésies distillent un même parfum. En effet, au delà des kilomètres parcourus, de la durée du voyage, des contrées traversées, il existe un substrat qui fait l’esprit d’aventure: un mélange de lâcher prise et de liberté, auquel nous pouvons gouter, si nous décidons de voir la vie à vélo.

Lâcher prise :

Vouloir tout maîtriser dans sa vie, c’est tourner inexorablement le dos à l’aventure. Choisir de prendre un vélo pour ordinaire, c’est certes renoncer au « tout molletonné » et accepter une part d’inattendu: arriver un peu mouillé à la maison à cause d’une averse soudaine, affronter le vent d’ouest qui s’est levé en cours de route, ahaner sur cette côte qui n’en finit plus. Mais ce lâcher prise est le prix de l’aventure car « La raison pour laquelle la vie des riches est au fond si plate et si dépourvue d’évènements, c’est simplement qu’ils peuvent choisir les événements. Les riches s’ennuient parce qu’ils sont omnipotents. Ils sont incapables de goûter l’aventure parce qu’ils la créent eux-mêmes. Ce qui rend la vie romanesque et pleine de possibilités ardentes, c’est l’existence de ces grandes limitations naturelles qui nous forcent tous à subir les évènements que nous n’aimons pas et que nous n’attendons pas. (3)

Liberté :

Et puis, préférer le vélo à la voiture apporte un supplément de liberté. Bien sûr, je ne suis pas esclave parce que je conduis ma voiture le matin pour me rendre à mon travail. Mais imperceptiblement je prends le pli d’entrer dans un système d’automatismes nécessaires à la sécurité et à la bonne circulation des voitures, obéissant aveuglement à un réseau de signaux automatiques. A vélo, je dois certes respecter le code de la route mais la liberté est le principe: choisir le sentier plutôt que la route, prendre le temps de discuter en bordure de trottoir avec un ami, ou encore s’arrêter pour regarder un coucher de soleil rougeoyant.

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C’est pour cela que le vélo est une « thérapie contre l’engourdissement du confort, la monotonie de la routine, la sclérose du confinement, un sursaut salutaire contre la déshumanisation qu’engendre le tout-voiture. (…)On comprend très vite que le vélo rend heureux et intelligent, resocialise, reconnecte, rouvre au monde quand le monde et ses obligations ont une tendance quasi-inexorable à nous enfermer dans nos boites, nos fréquentations, nos habitudes, notre immobilisme. »(4)

Pour résumer le propos en une formule, faisons appel à un grand écrivain voyageur: « L’avion, ce n’est pas une fin, c’est un moyen. Ce n’est pas pour l’avion que l’on risque sa vie. Ce n’est pas non plus pour sa charrue que le paysan laboure. Mais, par l’avion, on quitte les villes et leurs comptables, et l’on retrouve une vérité paysanne. (5)

Transposons cette citation au vélo: Le vélo, ce n’est pas une fin, c’est un moyen. Ce n’est pas pour le vélo que l’on risque sa vie. Mais, par le vélo, on quitte les villes et leurs comptables, et l’on retrouve une vérité paysanne. Cette vérité paysanne ? L’esprit d’aventure !

Rendez-vous à la rentrée aux nouveaux étonnants petits voyageurs!

Loïc TERTRAIS

Illustration Bertrand Dosseur

(1) Charles Baudelaire – Le voyage
(2) Emile Verhaeren – Les forces tumultueuses
(3) Gilbert Keith Chesterton – Hérétiques – Ed Saint-Rémi, 2008
(4) Alexandre POUSSIN –préface du livre A Vélo ! Loïc Tertrais- Ed Jubilé 2014
(5) Antoine de Saint Exupéry – Terre des Hommes

2 commentaires sur “Cycliste, cet étonnant petit voyageur

  1. Gwenael De Boodt

    Le Festival Augustes Pédales est sur la route d’Etonnants Voyageurs, entre Rennes et Saint-Malo. Il avait lieu cette année le même week-end. Les auteurs cyclistes invités, auxquels les comédiens de La Station-Théâtre ont prêté leur voix, étaient Claude Marthaler, Frédéric Paulin, Stéphane Grangier et le fantôme d’Alphonse Allais ainsi que les éditions Le Pas de côté et leur anthologie de littérature fin XIXème-début XXème « Les Bienfaits de la vélocipédie ».

    Depuis 5 ans la littérature cycliste et ses aventuriers de l’ordinaire et de l’extraordinaire se retrouvent dans cette ancienne station-service transformée en théâtre pour des circonvolutions poétiques dûment fomentées par la pratique quotidienne et vernaculaire du vélo de ses tauliers quelque peu autophobes et amateurs de la poésie d’Emile Verhaeren. On y a découvert notamment les oeuvres cyclistes de Jarry, d’Arrabal et de Gérard Bastide.

    La sixième édition aura lieu les 29 et 30 Avril 2016.

  2. TERTRAIS

    Merci pour cette présentation du Festival Augustes Pédales…si près de Rennes  où la poésie dit l’ineffable ! Car  » il n’y a jamais de mots pour ce qu’il nous importerait le plus de dire. N’est-ce pas à cause de cela qu’il nous faut des poètes et des musiciens ? » – Jacques Maritain
    Bientôt l’Automne et ses poésies de rentrée :
    Odeur des pluies de mon enfance
    Derniers soleils de la saison !
     A sept ans comme il faisait bon,
    Après d’ennuyeuses vacances,
    Se retrouver dans sa maison !
     
    La vieille classe de mon père,
    Pleine de guêpes écrasées,
    Sentait l’encre, le bois, la craie
    Et ces merveilleuses poussières
    Amassées par tout un été.
     
    O temps charmant des brumes douces,
    Des gibiers, des longs vols d’oiseaux,
    Le vent souffle sous le préau,
    Mais je tiens entre paume et pouce
    Une rouge pomme à couteau.

    René Guy Cadou

     

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