La ville insoutenable

Les trois sources du mythe de la ville-campagne

La relation millénaire entre ville et campagne, qui associait deux termes nettement distincts par leur forme autant que par leur fonction, a tendu à se défaire au XXe siècle, dans les pays riches, pour laisser place à un mixte de ces deux termes : la « ville-campagne ». Cet habitat d’un genre nouveau pose de nombreux problèmes, tant au plan social qu’à celui des paysages et de l’environnement. Ceux-ci culminent aujourd’hui en un paradoxe insoutenable : la quête de « nature » (dans les représentations) entraîne la destruction de la nature (en termes de biosphère).

Ce livre collectif s’attache a retracer l’histoire des motivations qui ont conduit à ce paradoxe, du mythe arcadien au libéralisme post-fordiste, dans trois « bassins sémantiques » : l’Europe occidentale, l’Asie orientale et l’Amérique du nord, en éclairant leurs originalités mais aussi leurs multiples confluences.

PRESENTATION
Augustin Berque, Philippe Bonnin, Cynthia Ghorra-Gobin

Ce volume d’actes reprend les communications rassemblées à l’occasion du colloque « Les trois sources de la ville-campagne », qui s’est tenu du 20 au 27 septembre 2004 au Centre culturel international de Cerisy-la-Salle (www.ccic-cerisy.asso.fr). Ce colloque, conclusion d’un séminaire collectif tenu sous le même nom durant deux années (2002-2003 et 2003-2004) à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, marquait l’achèvement de la première étape d’un programme de recherche international coordonnant pour une période de dix ans (2001-2010) un faisceau de recherches convergeant sur le thème problématique de « L’habitat insoutenable / Unustainability in human settlements », c’est-à-dire la mise en relation et l’approfondissement des questions de tous ordres que, sous l’angle de l’habitat, pose l’évidente incompatibilité de notre mode de vie actuel avec le maintien des équilibres de la biosphère ; questions qui dépassent le seul champ de l’écologie pour s’étendre à ceux de l’éthique (avec l’aggravation des inégalités entre les humains) et de l’esthétique (avec l’enlaidissement des paysages).

C’est à partir des pays riches – principalement l’Amérique du Nord, l’Europe occidentale, le Japon – que cet habitat triplement « insoutenable » tend à s’imposer dans le monde entier. Il importait donc de commencer par eux l’analyse. Comme il convenait aussi de ne pas diluer celle-ci dans un questionnement tous azimuts, le choix a été fait de la centrer sur le trait le plus saillant de l’évolution de peuplement dans lesdits pays au cours de la seconde moitié du XXe siècle : l’effacement progressif de la distinction millénaire entre ville et campagne.

En effet, l’ancienne relation ville/campagne, qui associait deux termes nettement distincts par leur forme autant que par leur fonction, s’est défaite au siècle dernier pour laisser place à un habitat d’un genre nouveau. La fonction agricole n’étant plus exercée que par une fraction minime de la population totale, des populations au genre de vie urbain ont remplacé dans les campagnes la paysannerie d’autrefois, tandis que, sous l’effet du desserrement, de l’étalement et de la dissémination périurbaine, la définition morphologique de la ville devenait de plus en plus floue. Ce phénomène a donné lieu à un foisonnement terminologique – allant de la fin des villes à la ville émergente, en passant par la rurbanisation, l’exurbanisation, la ville-territoire, la ville-pays, la città diffusa, la campagne urbaine, le périurbain, l’edge city suivie de près par l’edgeless city, la ville franchisée, etc. – dont le sens général est qu’il s’agit d’une dynamique essentiellement urbaine, mais dans laquelle c’est une forme d’habitat de type rural, riche en espace et proche de la nature, qui est recherchée. Cette ambivalence explique le choix fait ici du terme « ville-campagne », pour souligner que dans ce phénomène, la ville est vécue sous les espèces de la campagne.

Ce phénomène, en particulier par l’usage généralisé de l’automobile qui l’a rendu possible et qu’il entraîne, pose une série de problèmes quant à la viabilité d’un tel habitat. Dans sa forme actuelle, marquée par le gaspillage (d’énergie, d’espace etc.), il repose en effet sur une contradiction fatale à plus ou moins long terme : la quête de nature (sous forme de paysages) y entraîne la destruction de la nature (en termes de biosphère). D’un autre point de vue, social celui-ci, la ville-campagne procède également d’une contradiction : nourrie par l’imagerie de la communauté villageoise, elle repose en fait sur l’individualisme et la ségrégation, donnant ainsi un sens autre au fondement social de l’existence humaine.

Le phénomène de la ville-campagne a été jusqu’ici étudié de multiples points de vue ; lesquels, dans l’ensemble, ont néanmoins tendu à privilégier ses aspects les plus récents et les plus visibles, telle l’augmentation de la mobilité des personnes par suite de l’usage individuel de l’automobile. La question est ici en revanche de savoir quelles motivations ont historiquement conduit à l’apparition puis au développement de ce phénomène, en occultant la double contradiction que l’on vient de voir. Cette question porte donc sur l’idéologie des acteurs dudit phénomène : pourquoi des citadins idéalisent-ils un habitat rural ?

L’idéalisation de la maison individuelle au plus près de la nature découle d’une longue histoire, que l’on renvoie communément en Occident au mythe arcadien. Cette origine n’est toutefois pas la seule. L’hypothèse était faite ici que la ville-campagne contemporaine résulte de la combinaison d’un triple « bassin sémantique » (Gilbert Durand), dont les trois sources sont l’une européenne, la seconde chinoise, et la troisième nord-américaine. C’est dans cet ordre qu’ont été regroupées, dans cet ouvrage, les diverses communications du colloque de Cerisy.

Alors que de puissantes cités naissaient dans le monde grec, s’y sont formés le mythe de l’Arcadie et la rêverie pastorale. Hésiode invente l’âge d’or, Théocrite écrit ses Idylles puis Virgile ses Bucoliques (de boucolos, « gardien de bœufs ») à destination de lettrés urbains, chantant la vie des champs, le bonheur paisible, l’image d’une nature intacte que la civilisation n’a pas encore corrompue. Cette fiction fera partie du bagage culturel obligé dès la mort de Virgile, quasi déifié et dont l’œuvre sera aussitôt mise au cœur de l’enseignement, puis redécouverte à la Renaissance. Le mythe arcadien est repris par Claude Gellée dit Le Lorrain, offrant une réalité visuelle à cet objet imaginaire, laquelle deviendra le modèle des jardins anglais, cette néo-naturalité où viennent se nicher le cottage et la villa. Ebenezer Howard poursuivra avec les cités-jardins, qui dériveront en lotissements populaires (H. Sellier) après des antécédents bourgeois (Le Vésinet).

Si l’on pouvait ainsi établir la naissance du mythe et suivre dans les œuvres cultivées sa filiation géographique et historique, il fallait aussi en examiner les réalisations concrètes (utopiques, érémitiques ou monastiques, sociales également), lesquelles ont plus sûrement imprégné l’imaginaire anti-urbain de populations guère nourries d’humanités gréco-latines. A cet égard, les communications rassemblées dans la première partie de cet ouvrage, consacrée au « pôle Europe », ont permis, après la contribution de Philippe Bonnin qui précise la naissance du mythe, établit sa continuité tant idéelle que par les réalisations matérielles, d’éclairer ce qui n’est sans doute qu’une toute partie de la question. Depuis la naissance des cités grecques, chaque période historique et chaque contexte socio-politique nécessiterait que soient précisés les rapports ville-campagne, comme le fait Brice Gruet pour l’époque romaine, et comme Gijs Wallis de Vries décrypte sa formulation chez un Gianbattista Piranesi, à la fois révélateur et producteur de représentations qui influenceront durablement les productions architecturales, paysagères et particulièrement le jardin anglo-chinois. Ces productions idéelles sont constantes, et mobilisent toutes les formes d’art, poésie, littérature, chanson populaire et cinéma, comme le montre Jacques Van Waerbeke à propos des représentation des périphéries parisiennes depuis le milieu du XIXe siècle. Auparavant, Daniel Pinson établit une double démonstration : comment Cézanne est porteur dans sa peinture d’un rapport abstractisé à la campagne, d’où les campagnards sont absents, et comment la récupération de son œuvre par une ville et une région qui l’avaient largement ignoré durant sa vie, sont la base d’un regard où ses toiles et aquarelles tiennent certainement plus de place que l’expérience réelle des lieux.

Mais l’actualité des débats et des inquiétudes sur l’avenir des villes, sur l’angoisse de leur dissolution pose aussi la question du rapport entre connaissances et discours savants sur l’objet de l’urbain, et singulièrement du “ péri-urbain ”, insaisissable selon les termes de Maïte Clavel (mais dont elle nous montre en fait la construction récente). l’ensemble de ces discours, de ces vocables et de ces positions théoriques sont mis en perspective et historicités au sein de la production des chercheurs par Nadine Cattan et Sandrine Berroir, en un tableau lumineux, qui nous pousse a nous poser la question de la capacité a produire de nouvelles représentations théoriques partagées, dégagées tout a la fois du mythe qui règle les relations ville-campagne et de nos représentations substantialistes de l’espace. On sait en l’occurrence qu’il n’est d’espace que de la relation, et de la relation sociale, conflictuelle et changeante, comme nous le brosse Catherine Bidou-Zachariasen en rappelant les avatars du modèle post-fordiste et de son influence sur l’urbanisation. Les conflits dans l’occupation de l’espace, et la dure réalité très éloignée du mythe arcadien, telle que la rapporte Yves Luginbuhl bouclent en quelque sorte le propos initial, à savoir que les productions idéelles doivent toujours être recontextualisees, historicisées, confrontées aux conditions matérielles de leurs réalisations. Pour finir, et puisqu’un nouveau mythe partagé au sein d’un consensus mondial se fait jour, celui d’un développement durablement possible de nos villes dans un environnement maîtrisé, Jean-Pierre Traisnel apporte un regard de spécialiste, qui permet de confronter l’analyse des représentations, les productions architecturales de la ville et des formes de l’habitat, à la sanction du calcul énergéticien.

Si, avec les mythes de la « Grande Identité » (Datong) ou de la « Source aux Fleurs de Pêcher » (Taohuayuan), la tradition chinoise possède l’équivalent de la pastorale gréco-latine, elle a pour originalité d’avoir saisi l’habitat individuel hors la ville sous un angle proprement esthétique, celui de l’ermitage paysager. En effet l’invention du paysage au IVe siècle, sous les Six-Dynasties, est indissociable du phénomène de l’érémitisme, qui s’était développé après la chute des Han. Ce courant lettré a engendré le motif de la « cabane tressée » (jie lu), qui par la suite, associé à l’art des jardins, a nourri l’esthétique de l’habitat dans toute l’Asie orientale. Ce motif est en particulier à l’origine du pavillon de thé de style sukiya au Japon, et il conduit à partir de là au pavillon à jardinet qui foisonne aujourd’hui dans les banlieues nippones. Cette esthétique, découverte en Europe au XVIIIe siècle par le truchement des Jésuites (telles les Lettres du Père Attiret) et des écrits de l’architecte William Chambers, y a contribué au renouveau des conceptions de l’habitat et de l’architecture, donnant en particulier naissance au jardin paysager. C’est ainsi que, portées par le courant romantique, source arcadienne et source chinoise se sont combinées dans un plus vaste bassin sémantique, lequel devait se transmettre au Nouveau Monde.

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Après le tableau général de cette évolution dressé par la contribution d’Augustin Berque, celle de Tanaka Hidemichi (NB : dans cet ouvrage, les noms chinois, coréens et japonais sont donnés dans leur ordre normal : patronyme en premier, prénom en second) examine sous un jour inédit « Le bon gouvernement », d’Ambrogio Lorenzetti ; il se pourrait en effet que cette œuvre, connue pour avoir anticipé la peinture de paysage en Europe, ait été influencée par les techniques picturales chinoises. L’article de Mme Kang illustre, avec le cas de Yun Sondo, le paradigme lettré de la retraite dans la nature, que la Corée avait reçu de la Chine. Nous passons ensuite au Japon, avec l’étude historique faite par Toriumi Motoki du contact maison/jardin, espace privé/espace public, dont les modalités sont comparées avec le cas parisien, et liées aux problèmes actuels du paysage urbain. Guillaume Carré dresse un tableau des villes de l’époque d’Edo, remarquables par l’étendue qu’y occupent les espaces verts des temples et des résidences de daimyôs, ainsi que par leur frontière indécise avec les campagnes environnantes (absence de remparts). Tsuchiya Kazuo montre ce que l’architecture d’une localité anciennement prisée pour ses paysages, proche du mont Fuji, doit à un tableau fameux de Sesshû : y posséder une villa, c’était s’inscrire symboliquement dans ce tableau. Puis Kioka Nobuo nous emmène à Osaka pour analyser le rapport à la nature de la maison de ville traditionnelle (machiya), et conclure à l’intérêt de ce modèle pour une reconsidération de l’urbanité et de la soutenabilité dans les villes japonaises. Revenant sur l’influence de la Chine en Europe, cette fois dans un cas historiquement avéré, Mme Wu éclaire la pénétration de l’esthétique des jardins chinois dans l’Europe des Lumières, en distinguant les connexions profondes de la vogue superficielle et éphémère des « chinoiseries ». Les premières ne sont pas sans incidence sur l’évolution ultérieure de l’urbanisme en Europe (v. également, plus haut dans ce volume, la contribution de Gijs Wallis de Vries). De nouveau le Japon, avec l’analyse faite par Higuchi Tadahiko des débats d’idées qui ont accompagné la naissance de la banlieue moderne de Tokyo : la faiblesse de la distinction ville/nature dans la tradition japonaise a conduit à idéaliser le séjour périurbain, mais au détriment de la prise en compte urbanistique de cet habitat. Les deux dernières contributions, celles de Yokohari Makoto et de Chiba Masatsugu, abordent sous un angle et avec des cas différents les questions les plus récentes posées par le développement des banlieues et du périurbain au Japon, tout en comparant le cas japonais avec le cas américain, pour terminer sur le retournement de tendance que présagent d’une part la prochaine régression démographique du Japon, de l’autre la volonté proclamée d’y revenir à une ville plus compacte.

Aux Etats-Unis, la ville a été négligée par les Pères fondateurs, qui choisirent d’ancrer la démocratie dans les valeurs du monde rural. Les Américains ont longtemps pensé que l’industrialisation se limiterait à l’Ancien Monde. Ce point de vue s’est modifié à la mort de Thomas Jefferson, entraînant un débat sur ce que devrait être la ville américaine. Tant le transcendantalisme que le féminisme domestique, les pasteurs, ainsi que plus tard les architectes et les urbanistes, ont plaidé pour la famille et la maison individuelle à proximité de la nature. D’où la valorisation de l’habitat suburbain, la ville étant réduite aux fonctions économiques et à l’acculturation des immigrés. L’on comprend ainsi que l’écologie urbaine prônée par l’Ecole de Chicago ait consisté dans l’analyse du comportement des populations immigrées, travaillant dans les industries situées à proximité. Connotant un statut social plus élevé, la suburbanisation a été accélérée par l’extension du réseau ferré (tramway, train), puis décuplée par la diffusion de l’automobile, tandis que les politiques fédérales de financement de l’accession à la propriété et de développement du réseau autoroutier permettaient aux couches moyennes de s’installer à leur tour en lointaine banlieue. A partir des années soixante, le mouvement des droits civiques a également facilité l’accession au « rêve américain » des minorités ethniques et de Noirs, généralisant ainsi la dissémination périurbaine.

Ces spécificités du contexte américain ont été mises en évidence par l’ensemble des intervenants. La suprématie de la maison individuelle comme mode d’habiter dans la tradition américaine remontant à l’époque de l’industrialisation est soulignée par la contribution de Cynthia Ghorra-Gobin pendant que celle d’Owen Gutfruend prend le parti d’analyser le rôle de la politique des transports menée par l’Etat fédéral et les Etats en faveur de l’autoroute et de la voiture tout au long du XXe siècle. L’article d’Alain Suberchicot conforte cette idée d’une volonté de décentralisation économique par les décideurs américains en raison de la faiblesse culturelle et économique du monde rural ainsi que la montée du tertiaire dans l’économie urbaine. Cette situation ne va pas sans poser quelques problèmes et des conflits illustrés par Liette Gilbert au travers des exemples de Richmond Hill et de Caledon dans la banlieue de Toronto. Tout en réaffirmant la tradition américaine en faveur de la maison individuelle et de l’influence du modèle de la ville-jardin chez les urbanistes et aménageurs, Greg Hise démontre l’effort de « soutenabilité urbaine » entrepris par certains habitants sous l’influence d’associations qui leur apprennent à récupérer les eaux de pluie et à réduire le drainage d’éléments polluants vers la mer, et ce tout en réduisant la dépendance au système d’approvisionnement en eau. Sa contribution contraste avec celle de Maria Cristina Gibelli qui fait le constat d’un étalement urbain en plein essor car enraciné dans la longue durée de la modernisation industrielle et dans les modes de vie. Pour Frédéric Leriche, l’étalement urbain ne peut se dissocier du fordisme et de la crise du capitalisme de 1929. Cette tendance se prolongerait aussi avec l’après-fordisme même si l’accession à la propriété n’est plus forcément équivalente à une promotion sociale. Le rôle de la puissance étatique dans le phénomène de la ville-campagne est explicitement pris en compte dans l’analyse de Guy Mercier avec le crédit hypothécaire et le crédit à la consommation.

Si l’influence du modèle nord-américain tend aujourd’hui à diffuser la ville-campagne dans l’ensemble des pays riches, et progressivement aussi dans les pays émergents, c’est au demeurant selon des modalités variées. Les trois bassins sémantiques ont en effet diversement combiné leurs effets au cours de l’histoire, et cette diversité reste sensible. Il est possible qu’au Moyen آge, la paix mongole ait permis l’introduction des modèles paysagers de la Chine en Europe ; mais l’évidence est que, respectivement, le paysage à la chinoise et le paysage à l’européenne ont été sui generis. Au XVIIIe siècle, les jardins chinois ont joué un rôle certain dans la naissance du jardin à l’anglaise, rejoignant la décomposition de la forme intégrée de la ville classique dans le Campo Marzio piranésien ; mais là aussi, passé la mode éphémère des chinoiseries, c’est loin en deçà des apparences qu’il faut chercher la confluence réelle des deux bassins sémantiques. Du point de vue morphologique, cette confluence est à l’origine du modèle de la cité-jardin, qui aura dominé la pensée urbanistique au XXe siècle. On sait aussi l’influence du japonisme dans la genèse de certains des principes de l’architecture moderne. La ville-campagne contemporaine prend cependant sa source principale en Occident, car c’est là que s’est mis en place, par la combinaison du protestantisme, du capitalisme et du libéralisme, ce qui deviendra dans la seconde moitié du XXe siècle, aux Etats-Unis, une véritable « machine à sprawl » (i.e. à défaire la ville), dans l’alliance du fordisme (la consommation de masse de biens durables, l’automobile en particulier) avec les politiques publiques favorisant l’accession à la propriété de la maison individuelle et le développement du réseau routier. Le même modèle, à certaines variations près, s’est imposé en Europe et au Japon, et il y produit des effets similaires.

Au delà de ces remarques, le détail des contributions de cet ouvrage montrera, selon les centres d’intérêt du lecteur, quelques substantielles avancées dans cinq grands domaines : les notions en jeu ; la filiation et la combinaison des divers courants d’idées ; les conflits et distances entre les acteurs concernés ; la fondation du lien social dans la nature ; la temporalité des phénomènes. Il apparaît par exemple que la notion de post-fordisme est un leurre pour ce qui concerne le phénomène étudié, car l’essentiel de ce qu’aura permis le fordisme (le déplacement automobile individuel) est ici plus que jamais déterminant. Des perspectives inédites se dessinent, par exemple avec le retournement démographique du Japon, dont la population plafonne et va bientôt décroître, ce qui voue à la sclérose nombre de banlieues du siècle dernier. Des interrogations demeurent sur les choix à venir des générations qui, comme celle du président Bush, n’ont jamais connu la ville au sens qui subsiste en Europe. Au demeurant, un large consensus s’est dessiné au cours du colloque sur la nécessité de dépasser la ville-campagne, qui telle qu’elle existe apparaît effectivement bien peu soutenable au triple égard de l’écologie, de l’éthique et de l’esthétique.

A. Berque, Ph. Bonnin, C. Ghorra-Gobin

La ville insoutenable
Antonin Berque, Philippe Bonnin, Cynthia Ghorra-Gobin (dir.)
Editeur : Belin
Collection : Mappemonde
Parution : 16/06/2006
Nombre de pages : 366
Dimensions : 24.00 x 17.00 x 2.00

La ville insoutenable