Depuis 50 ans, à l’instar de beaucoup de sociétés occidentales de l’hémisphère Nord, le développement des collectivités du Québec s’est articulé autour de l’automobile en tant que mode dominant de déplacement des personnes. Aujourd’hui, nos collectivités ont radicalement changé de visage et sont plus étalées que jamais. Les lieux de travail, de résidence, de loisir et d’approvisionnement en biens et services y sont séparés et les déplacements sont plus nombreux, plus fréquents et plus longs en distance et en temps. L’automobile règne en reine absolue.
Durant la seconde moitié du 20e siècle, les industries pétrolières et automobiles, les compagnies de grandes surfaces, les consortiums d’ingénieurs, les urbanistes, les administrations municipales et autres promoteurs de l’American dream ont tous contribué à l’émergence de modèles d’aménagement centrés sur l’automobile, au détriment des modes de transports collectifs et carrément à l’encontre des modes dits alternatifs, comme la marche et le vélo. Les services de transports collectifs publics efficaces comme les anciens tramways, présents dans de nombreuses villes du Québec et d’Amérique du Nord, ont été démantelés pour faire place à plus d’automobiles. Stratégie perdante s’il en est une, dont on mesure aujourd’hui la gravité (1).
Cette dépendance est si forte que l’automobile incarne aujourd’hui, pour 81 % des Canadiens et 91 % des Américains un aspect fondamental de leur liberté (2). Or, ce sentiment de liberté, légitime en apparence, se révèle faux, car l’automobile libère en fait d’une prison créée par elle-même. Il suffit d’observer l’environnement bâti de nos collectivités pour s’en convaincre : toutes les infrastructures sont conçues et disposées pour que l’automobile soit l’option consacrée pour s’échapper de la maison, du travail ou du centre commercial. Plus que jamais, cette situation doit cesser.
Sans être les seuls responsables des maux de la planète, l’industrie automobile et ses industries satellites sont hyperénergivores et laissent dans leur profond sillage des problèmes que nous devons impérativement juguler. Parmi ces problèmes, notons prioritairement l’augmentation de la pollution atmosphérique et des émissions de gaz à effet de serre (GES), la surconsommation des ressources, la pression sur les écosystèmes, la dégradation de la santé et du bien-être des populations et les coûts associés à l’ensemble de ces phénomènes.
Le dernier rapport du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est sans équivoque : les changements climatiques sont causés par des activités humaines et portent déjà à conséquence. Malgré le caractère « dinosaurien » de la position canadienne, le consensus scientifique est clair : il faut inconditionnellement s’attaquer aux émissions de GES. Le secteur des transports, grand consommateur de pétrole, apparaît comme une priorité. Au Québec, ce secteur est le plus grand émetteur de GES avec environ 40 % des émissions totales. Or, cette proportion ne tient même pas compte des émissions liées au processus de fabrication des automobiles, ni des émissions des industries satellites comme les industries pétrolières, certaines industries minières et de nombreuses industries manufacturières, puisque ces émissions sont comptabilisées à l’extérieur du Québec.
Comme beaucoup d’intervenants spécialisés, le CRE – Capitale nationale et Vivre en Ville soutiennent que la mise en place de modèles d’aménagement du territoire qui affranchiront les agglomérations du Québec de leur dépendance à l’automobile et au transport routier permettront des réductions majeures d’émissions de GES et positionneront avantageusement le Québec en vue de l’après Kyoto, où pointent déjà des objectifs de réduction de 50% et plus avant le milieu du siècle.
Le développement centré sur l’automobile contribue à l’expansion anarchique (et continue) des agglomérations, il exerce une pression indue sur les écosystèmes et cause une consommation disproportionnée d’énergie. De plus, ce type de développement favorise la multiplication des axes routiers dont l’empreinte écologique perdure, augmente le fractionnement des habitats, détruit plusieurs milieux humides (3) exceptionnels et modifie le drainage des bassins versant.
Par ailleurs, la dégradation de la qualité de l’air dans les milieux urbains s’intensifie, entre autres, par l’utilisation massive de l’automobile. Les épisodes de smog urbain et la hausse des problèmes respiratoires en sont les symptômes les plus connus. À cet effet, le docteur Louis Drouin de la Direction de la santé publique du Québec (DSP), coordonnateur du dernier rapport annuel sur ce sujet, est catégorique : « Il n’y a aucun doute possible. Dans le milieu urbain, la voiture est devenue un risque majeur de santé publique. » (4)
Enfin, l’automobile réduit radicalement le taux d’activité physique. Le rapport récent de Statistique Canada sur les liens entre l’obésité et l’étalement urbain confirme l’existence d’une relation claire entre nos choix en matière d’aménagement et l’état de santé de la population (5). La proportion de gens obèses atteint maintenant 23 % de la population canadienne (Statistique Canada, 2006).
En conclusion, l’aménagement du territoire et l’urbanisme sont des domaines névralgiques qui influencent le développement des collectivités. Il est primordial pour notre société de favoriser l’émergence de nouveaux modèles d’aménagement afin de libérer nos agglomérations de l’automobile et de faire face aux grands défis posés par l’environnement et la mondialisation de l’économie. Le réaménagement durable de nos collectivités est possible et nécessaire. Il demande cependant une grande volonté politique et citoyenne.
Thomas Duchaine
Chargé de projets, Vivre en Ville
Alexandre Turgeon
Directeur général, CRE – Capitale nationale
Source: www.vivreenville.org
Notes
1 DEMERS, M. « Walk for your life », Vital health publishing, Ridgefield, CT, 2006.
2 JEDWAB, J. « Getting to work in North America’s major cities and dependence on cars », Montréal, Association for Canadian studies, 2004.
3 Les milieux humides sont des habitats très productifs au plan biologique tout en étant de grands capteurs de gaz carbonique.
4 Le Devoir, édition du 23-24 septembre 2006.
5 On peut y lire que : « Les conséquences de l’étalement urbain comprennent une plus grande dépendance à l’égard de l’automobile, une plus faible motivation à se rendre à destination à pied et des possibilités réduites d’exercice étant donné le temps nécessaire pour se rendre dans les installations récréatives. »