Le dimanche 23 novembre 2014 la municipalité de Grenoble a annoncé qu’elle ne reconduirait pas le contrat passé avec l’entreprise « Decaux » [1] [2]. La conséquence: 326 panneaux publicitaires vont disparaître des rues prochainement, ce qui représente environ 2000m² de surface de propagande en moins. Cerise sur le gâteau, la mairie a annoncé vouloir en remplacer une cinquantaine par des arbres, mesure ô combien chargée symboliquement.
326 panneaux publicitaires qui disparaissent, ce sont 326 occasions de moins de manipuler les gens.
Ce sont 326 occasions de moins de vanter les charmes de la bagnole. Ce sont 326 occasions de moins de s’immiscer dans l’inconscient des gens pour leur susurrer mielleusement que la voiture est nécessaire, qu’elle représente force, virilité et statut social.
Ce sont également 326 occasions de moins de vanter les grands magasins situés invariablement en périphérie des villes, et donc 326 occasions de moins de pousser les gens à prendre leurs bagnoles pour aller faire leurs achats loin de chez eux.
Ce sont 326 occasions de plus de relâcher la pression publicitaire sur les gens, 326 occasions de plus de leur laisser la possibilité de faire des choix sans être inconsciemment influencés.
Ce sont finalement, avec les futurs arbres qui seront plantés, 50 occasions en plus de rendre la ville plus agréable à vivre, à parcourir à pied ou en vélo.
La décision de la municipalité de Grenoble a provoqué des remous au niveau national, tous les médias en ont parlé. Pourtant, ce ne sont finalement « que » 326 panneaux qui vont disparaître… Et contrairement à ce que la plupart racontent, la publicité n’est pas bannie des rues de Grenoble : elle reste sur les abribus au moins jusqu’à 2019 (date de l’arrêt du contrat liant la ville et Decaux sur ce sujet) et peut également continuer à être installée sur des terrains privés (façades de bars, murs de maisons, jardins privés, etc.). Ce coup de tonnerre qui effraie les publicitaires (certains traiteront même directement le maire de Grenoble de « castrateur d’imaginaire » [3]) ne représente donc finalement qu’une goutte d’eau infime dans l’immense océan de publicité qui nous agresse.
Mais pourquoi ont-ils peur, sinon parce qu’ils craignent que cette décision politique courageuse puisse faire des émules et pousser d’autres municipalités à s’engager dans la voie de la réduction de la publicité ?
J’espère personnellement que c’est exactement ce qui va se passer: moins d’affiches, moins de pression publicitaire, moins de propagande, moins de manipulation, c’est une chance donnée à tous de sortir du carcan idéologique dans lequel la société nous enferme – et est enfermée elle-même.
Pour ceux qui s’intéressent à l’argument économique avant tout (« la publicité permet de financer les services publiques, c’est chouette »): la tribune de Libération du 24 novembre 2014 répond admirablement bien en rappelant que cette manne financière est de toute façon payée par nous et représente in fine un impôt privé [4]
Photos: Elmut Smits
[1] http://www.lefigaro.fr/societes/2014/11/23/20005-20141123ARTFIG00079-grenoble-bannit-les-publicites-de-ses-rues.php
[2] http://antipub.org/
[3] http://www.placegrenet.fr/jacques-seguela-mefions-castrateurs-dimaginaire/
[4] http://www.liberation.fr/debats/2014/11/24/jcdecaux-expulse-de-grenoble-une-decision-salutaire-et-subversive_1149817
Ce qui m’a semblé intéressant, quand la nouvelle a été publiée hier sur le site du journal Le Monde, c’est que les commentaires des lecteurs étaient pratiquement tous positifs (vers 16 h). Je m’attendais à lire des plaidoyers pro-pub ou des arguments sur le « réalisme » et les finances de la ville, mais non. Les gens semblaient même espérer que cela soit imité par d’autres communes.Pour une fois, j’étais contente en lisant Le Monde !
Rien d’étonnant : il faut être abonné au Monde pour pouvoir poster.
Et comme on sait, les lecteurs du Monde ont un profil sociologique absolument pas représentatif de la population générale.
C’est le levier le plus puissant qui soit pour agir sur la fabrique des représentations : le culturel. Mais c’est l’économique qui est aux commandes : évidemment jamais aucune action « contre culture » ne pourra avoir autant d’espace – publicitaire donc politique – que les acteurs à ressources financières pléthoriques.
La partie est loin d’être irrécupérable (!) toutefois : avec les mouvements déjà installés qui ont fait de la lutte anti pub leur cœur d’action il reste le pouvoir décentralisé des villes. Grenoble est un véritable espoir. La construction cognitive autour de cette ville c’est plein de choses : l’inauguration de la première MJC par Malraux, mais aussi, plus tôt, les créations de comités de quartiers, il y a quelques dizaines d’années c’est aussi la création d’associations militant pour autre chose que la bagnole…
Qu’on pense à une structure comme l’ICLEI par exemple, qui a fait partout dans le monde avant les Etats suivistes de vraies politiques pro environnementales, récupérées et étendues par la suite : l’autonomie c’est souvent à l’échelle de la ville qu’elle se garde et se conquiert. Que d’autres cités fassent de même! Au moyen âge la ville a su résister à la barbarie, certes derrière des remparts…
Un article et une action de la municipalité qui font vraiment plaisir.
De quoi (re)donner espoir dans les politiques locaux… pour les gens de Grenoble.
J espère effectivement que ma municipalité fasse de même… en sachant bien que, malheureusement, il n y a (quasi?) aucune chance pour qu’ils suivent cet exemple.
À propos des réactions des lecteurs du Monde, je n’avais pas pensé à la sélection des commentaires par l’abonnement. Pour autant, ce genre de CSP+ pourrait commenter dans le sens du néolibéralisme.et il n’en est rien.
Pour ma part, j’habite dans un Parc naturel régional où les publicités en lieux publics sont soit interdites (communes fondatrices) soit très réduites (pour les communes qui ont rejoint le PNR récemment). Dès qu’on passe la frontière du parc, on voit la différence, même dans les communes rurales, dont l’entrée est ponctuée d’un inventaire des commerces locaux, entre autres.
Le gros bémol du parc : c’est un ghetto de riches caricatural.Mais sans pub !
CSP+, certes, mais de « gauche » (ou plutôt, de la Droite complexée, dixit Lordon).
Pour la version de droite, c’est bien sûr Le Figaro.
C’est bien. Continuez.
La municipalité de Grenoble est malheureusement minoritaire mais comme disait je ne sais plus qui, les minorités ont l’avantage sur les majorités de comprendre Moins d’imbéciles
je croyais que tous les panneaux pub seraient remplacés par des arbres
@daniel rené villermet : Certains journaux ont en effet abusivement annoncé cela, mais si on s’en réfère à la communication de la ville on retrouve bien ce chiffre de 50.
voir http://unevillepourtous.fr/2014/11/24/grenoble-libere-la-ville-de-la-pub/
Une très bonne nouvelle. Il faut espérer que Grenoble devienne un modèle pour toutes les autres municipalités.