L’imprudence à vélo

Cycliste des villes pour traverser l’agglo en veston, cycliste des champs pour me balader dans la campagne, et cycliste des routes sur mon bolide en carbone, la cohabitation avec certains automobilistes est parfois bien compliquée. Principalement quand j’enfourche le vélo de course.

Et pourtant, dans les trois situations, j’applique exactement les mêmes règles de conduite. Un seul objectif : la sécurité. La sécurité des piétons, bien évidemment, mais aussi ma propre sécurité. Les voitures sont un élément à prendre en compte, mais pas à protéger. Car au pire, elles risquent une petite éraflure.

Ma première règle est que le différentiel de vitesse avec les autres usagers de la route soit le plus faible possible. Ma deuxième règle est d’exister autant que les véhicules les plus imposants. Enfin, ma troisième règle est d’être le plus loin possible des véhicules motorisés et de préférence devant, pour être visible notamment.

Lorsque je roule à 15 km/h, je n’ai rien à faire sur une grosse départementale. Mais quand je roule à 40 km/h, je n’ai rien à faire sur une véloroute, et encore moins, sur une piste cyclable.

En ville, il y a des piétons qui marchent à 5 km/h sur les pistes cyclables. Il m’arrive souvent de rouler à 10 km/h ; dans ce cas j’emprunte ces pistes … s’il y en a. Mais lorsque je roule à 30 km/h ; je prends la route, même si la piste est obligatoire. En vélo de course, je ne prends jamais les pistes cyclables de ville. C’est tout simplement trop dangereux.

C’est cette règle du différentiel qui conditionne le choix de la voie empruntée. Certes, j’adapte ma vitesse à la voie (virage, descente en ville), mais j’adapte d’abord la voie à la vitesse.

Quasiment tous les mois, un cycliste est tué en Seine-Maritime. Et ce n’est jamais par imprudence du cycliste. Un groupe de cyclistes frôlé. Un conducteur qui s’endort. Une voiture qui doublait en face. Une priorité grillée…

Le danger vient de l’automobile. L’énergie cinétique d’une voiture est 75 fois supérieure à celle d’un cycliste. Et il n’est pas toujours évident, à l’intérieur d’une voiture, d’en mesurer l’intensité.

Alors, je m’en protège. Pour cela, je m’impose au point qu’aucun automobiliste ne puisse m’ignorer. Je ne me rends pas uniquement visible. Je prends la même place qu’un 4×4 pour être considéré comme tel. Pour qu’on ne s’approche pas de moi, pour qu’on ne m’encercle pas. Si je ne faisais pas cela, j’aurais été renversé plus d’une fois.

Alors, je roule souvent au milieu de la voie, ce qui, j’en conviens, peut paraître gênant et dangereux pour les automobilistes. Et pourtant, j’ai de bonnes raisons.

Quand la route est étroite, dans des virages, et plus généralement quand la situation ne permet pas qu’on me double en sécurité, je me cale dans la partie gauche de la voie. Puis, dès que la situation me parait sécurisante pour tous, je me range à droite, et je jette un coup d’œil derrière pour inviter l’automobiliste à passer. Nous avons une conscience plus juste de la vitesse et de l’environnement lorsque nous sommes sur un vélo que lorsque nous sommes dans une voiture confortable. C’est moi qui décide quand on me double.

Lire aussi :  Les institutions de la sécurité routière en France

En fait, les seules fois où je suis « victime » d’un dépassement hasardeux, à toute vitesse, et à moins d’un mètre de moi, c’est quand je rêvasse et que je me suis rangé à droite inconsciemment.

Pour être doublé en toute sécurité, il faut s’assurer de réduire le différentiel de vitesse avec la voiture qui double, quitte à forcer le ralentissement en se rapprochant du milieu de la voie…

Le mieux est quand même d’être devant les voitures, surtout dans les passages délicats tels que les ronds-points et les dos d’âne, où les cyclistes passent avec beaucoup plus de fluidité. C’est pour cette raison, qu’à l’approche des ronds-points, j’empêche les voitures de doubler. Par la même occasion, j’évite de me retrouver dans leur angle mort.

Il en est de même aux carrefours et aux feux rouges, c’est nettement plus sécurisant de s’échapper de l’intersection avant que le flot chaotique de voitures ne l’envahisse. Sans parler de l’intérêt d’échapper aux fumées et aux bruits.

Et le code de la route, me direz-vous ? Ce code de la route a été conçu à cause des voitures, et il n’est pas toujours adapté aux vélos. On va donc dire que c’est l’esprit du code qu’il faut respecter, mais que c’est surtout la sécurité qui prime.

Je n’aurais jamais l’idée de griller un feu rouge en voiture. Mais à vélo, je n’aurais jamais l’idée de passer au vert sans prendre soin de vérifier autour de moi. J’ai plus confiance à la bonne vision du cycliste qu’à une règle figée pour passer.

D’ailleurs les pouvoirs publics l’ont compris. Ils ont permis le « tourne à droite » qui permet aux cyclistes de tourner à droite (voire d’aller tout droit) alors que le feu est au rouge, tout en cédant la priorité aux autres usagers. Le feu rouge devient alors un simple « céder le passage ». La circulation est ainsi fluidifiée sans que notre sécurité en soit altérée. Si la loi a toujours du retard sur le bon sens et l’usage, une telle mesure tend à aller dans le bon sens, celui du vélo. Elle prouve également qu’il reste des choses et des mentalités à faire évoluer.

Je reconnais que mon comportement est aussi motivé par le regard critique que je porte sur la société de la voiture.

Cette société qui est totalement devenue esclave de sa liberté de se déplacer, et de son besoin de mobilité. Cette société étant incapable d’envisager l’hyper-mobilité sans utiliser deux tonnes d’acier par personne. N’a-t-elle donc pas conscience que la voiture est un luxe éphémère, que ce n’est pas un dû, et que le prix réel à payer va bien au-delà des mensualités, du carburant et de l’entretien ? Est-elle capable d’imaginer faire autrement ?

Et pourtant, il le faudrait. Le danger, l’absurdité, l’insoutenabilité et l’imprudence sont du coté de la voiture … pas du vélo.

Stéphane Madelaine avec dans sa roue les copains de Un Projet de Décroissance

Crédit image: Foxtongue

7 commentaires sur “L’imprudence à vélo

  1. Axelos

    Coucou,

    Quand la route est étroite, dans des virages, et plus généralement quand la situation ne permet pas qu’on me double en sécurité, je me cale dans la partie gauche de la voie. Puis, dès que la situation me parait sécurisante pour tous, je me range à droite, et je jette un coup d’œil derrière pour inviter l’automobiliste à passer. Nous avons une conscience plus juste de la vitesse et de l’environnement lorsque nous sommes sur un vélo que lorsque nous sommes dans une voiture confortable. C’est moi qui décide quand on me double.

    Le mieux est quand même d’être devant les voitures, surtout dans les passages délicats tels que les ronds-points et les dos d’âne, où les cyclistes passent avec beaucoup plus de fluidité. C’est pour cette raison, qu’à l’approche des ronds-points, j’empêche les voitures de doubler. Par la même occasion, j’évite de me retrouver dans leur angle mort.

    J’ai pris l’habitude de faire de même, après de nombreuses frayeurs (pris en sandwich on peut dire). Malheureusement, même si je persiste à effectuer cette action pour dissuader les automobilistes d’effectuer un dépassement dans ces zones dangereuses, certains effectuent inexorablement le dépassement, puis une fois calé devant moi freine, pour j’imagine me faire une leçon de morale. Bien que ce soit totalement stupide, le cas s’est déjà présenté plusieurs fois.

    J’imagine qu’ils n’ont pas conscience de leur dangerosité.Ça donne une vision de la cohabitation difficile du cycliste avec la majorité des automobilistes.

     

  2. Cabaneenpaille

    Utiliser le vélo pour se rendre au travail est aussi une autre catégorie. Je me retrouve aux heures de pointe dans la circulation des automobiles, des fourgonnettes et des camions. Ils sont un danger et je minimise la prise de risque en restant bien à droite et bien visible aussi dans les rond-points où les véhicules à moteur serrent à gauche: chaque mètre gagné, c’est des secondes gagnées, tout ce beau monde doit sans doute pointer. La prise de risque est inévitable sur la portion, par exemple, des double voies avec le rush des véhicules motorisés ou au niveau des voies d’insertion ou de sortie au carrefour sans rond-point. Évidemment la route la plus courte, la plus facile et avec le moins de dénivelé est la voie historique ou naturelle utilisable pour les déplacements lents mais aménagée pour la circulation des véhicules à moteurs. La cohabitation avec eux est impossible sans une prise de risque qui tient un peu de la loterie quotidienne quelque soient les stratégies adoptées. Le déploiement du vélo pour aller travailler en sécurité passe par repenser et changer les rythmes et les lieux de travail et le refus de l’hyper-mobilité. Par la création de couloirs de circulation les plus simples et les plus faciles aménagés pour les déplacements lents et musculaires, et laisser des parcours  difficiles et fastidieux pour les moteurs. Une société réellement démocratique est naturellement organisée autour de la marche et du vélo en toute sécurité. Le vélo est-il révolutionnaire? il l’a été et le sera longtemps! Changeons le monde, tous à pied et à vélo, mais soyons vigilants!

  3. lavive

    je minimise la prise de risque en restant bien à droite

    Ce n’est pas ce que dit Stephane, au contraire.

    Mikael Bluejay explique bien ce paradoxe que la sécurité n’est pas tout au bord du trottoir

  4. Jerome

    Enfin du bon sens, avec une préférence pour les principes plutôt que pour des règles. J’espère que des automobilistes vous lisent !

  5. Roule tranquille

    « cycliste des champs pour me balader dans la campagne »

    Je ne saisis pas l’intérêt de se balader à la campagne en vélo, si c’est sur la route.

    Désolé du ton abrupt. Mais, pour avoir déjà du me déplacer à vélo (par contrainte économique et pas par choix), je comprends et je respecte le choix du vélo en tant que véhicule pour aller de A à B, mais je ne saisis absolument pas le plaisir que prennent tous ces gens, qu’on croise dès qu’il fait un peu beau, à enfourcher un vélo pour se promener à 30km/h sur une route de campagne où les voitures passent entre 60 et 90km/h.

    Je me demande quelle serait leur réaction si je me promenais à 30km/h (en vélo, en voiture, peu importe) devant eux, pendant qu’ils ont besoin de se déplacer, sur une route où eux roulent à 60 ou 90km/h quand ils reprennent leur voiture.

    D’autant plus qu’il y a des chemins partout à la campagne. Des chemins sans voiture (s’il y en a, elles vont moins vite qu’un vélo), sans pollution et sans danger de collision.

    Les routes sont des voies de circulation, être contraint de les obstruer (avec un tracteur, un convoi exceptionnel, un vélo) en ralentissant le trafic c’est une chose, décider de le faire pour le plaisir de la balade c’est plus étonnant.

    La seule satisfaction à suivre un « promeneur à vélo » quand je rentre du boulot ou que je fais mes courses, c’est, en attendant d’avoir assez de visibilité pour doubler le cycliste, d’observer l’andouille derrière qui mange son volant et fait des appels de phare parce qu’il voudrait que je double dangereusement pour que lui puisse aussi doubler dangereusement.

  6. Benj

    « Je ne saisis pas l’intérêt de se balader à la campagne en vélo, si c’est sur la route. »

    Pourquoi se balader sur les routes ?

    – Parce que dans notre pays il existe énormément de petites routes peu fréquentées sur lesquelles il est très agréable de rouler

    – Parce que pour atteindre les chemins de terre il faut parfois passer par des portions de route

    – Parce que si on habite au nord de la Loire, les chemins de terre sont boueux une bonne partie de l’année

    – Parce qu’on a pas toujours la condition physique et le vélo qui permet de rouler sur certains chemins

    – Parce qu’il n’y a pas de raison de laisser les voitures s’approprier tout l’espace public…

  7. Anne-Lise

    Tous les cyclistes n’ont pas envie de se couvrir de boue pour faire de la place à Roule tranquille qui a besoin de se déplacer et que les promeneurs insupportent, visiblement. Il devrait considérer que se promener fait partie des besoins fondamentaux supérieurs à se déplacer de manière utilitaire.

    Et j’ajouterais : parce qu’il y a urgence à ralentir tout ce qui est lourd, dur, nauséabond et dangereux sur toutes les routes, pour faire de la place à d’autres usages, plus doux, plus lents, plus silencieux, pas malodorants…

    Pour aller vite, il y a les autoroutes, et le train, qui peut maintenant fendre la bise à 300 km/h, et vous aurez tous remarqué que personne ne songe à faire rouler autre chose qu’un train sur des rails 😉

    C’est le nombre de cyclistes qui fait paraître l’automobiliste incongru, soyons plus !

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