Les bienfaits de la ville dense remis au goût du jour par un géographe suisse

De « l’effet barbecue » aux vertus de l’urbanité…

Sébastien Munafò, pas inconnu sur les ondes de Carfree, coauteur d’un rapport (fin 2012) sur la pratique automobile – et les constructions cognitives qui lui sont liées – dans les agglomérations suisses, ayant fait l’objet d’un article ici en 2013 – pourrait-il constituer un sérieux contrefeu face à l’entreprise de réactivation de l’idéologie de la ville automobile chez les prescripteurs de visions superficielles du monde?

Ce jeune chercheur géographe, de l’université de Neuchâtel, vient sûrement troubler le barbecue des pourfendeurs de la ville dense, parmi lesquels on peut citer le statisticien et urbaniste Jean-Pierre Orfeuil (1) (2002) et plus récemment le sociologue et urbaniste Eric Charmes (2) (2010) ou encore le géographe Antoine Bailly (3) (2011). Issue des travaux de sa thèse une présentation des effets pervers des modes de vie en zone urbaine en termes de mobilité à motif loisirs vient corriger des idées reçues:

il n’y aurait pas de mobilité dans les zones urbaines denses qui pourrait être analysée comme une compensation à un manque de chlorophylle, et si sur mobilité il y a elle n’entraînerait pas plus d’externalités négatives que celle des résidents des zones périurbaines, une fois finement analysées les pratiques de déplacements et leurs motifs…

Qui, intéressé par les questions de l’étalement urbain et de la place de l’automobile en ville, n’a jamais entendu parlé de « l’effet barbecue » … ? « Inventé » conjointement par Orfeuil et Soleyret (2002) ce concept tâchait de décrire comparativement la situation des habitants périurbains et de ceux du centre des villes. Les seconds ne bénéficiant pas aussi facilement de la possibilité de se détendre dans la verdure, au fond de leur jardin, autour d’un barbecue par exemple, ils auraient alors une propension à se déplacer davantage, plus loin, pour compenser ce manque:

d’où cet « effet barbecue » qui globalement ferait perdre les avantages de la ville dense, engrangés au seul niveau des déplacements quotidiens…

Cependant, le jeune auteur s’attache à argumenter pour déconstruire cette vision des choses, en démontrant que n’est aucunement vérifiée une compensation par la mobilité du manque d’espaces de détente chez les urbains centraux. Parmi les raisons avancées, pour corriger ce qui se révèlerait être une erreur d’interprétation d’un phénomène mal analysé, le géographe affirme que toutes les mobilités occasionnelles n’auraient pas un motif loisirs, que ce motif engendre également des mobilités régulières, routinières, que les mobilités de loisirs ne se résument pas au seul motif du besoin de nature, lequel ne représenterait qu’une part très marginale de l’impact environnemental avec la mobilité qu’il engendre, que celle-ci n’implique pas autant l’automobile que chez les périurbains, que les habitants centraux sont moins victimes de leur choix résidentiel qu’acteurs d’un choix de mode de vie…

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Dès lors la ville compacte garderait tous ses avantages socio-environnementaux, et les critiques à son encontre ne seraient pas fondées. Avec une consommation réduite du sol, une grande efficience des investissements dans les infrastructures et les équipements, mais surtout la constitution d’un substrat idéal pour les échanges sociaux, la production de richesse et l’innovation, ses qualités intrinsèques resteraient intactes. Le système de déplacements en son sein privilégierait les modes alternatifs à l’automobile, améliorant autant le bilan carbone que les externalités négatives, tous les motifs de mobilité confondus.

Seule ombre au tableau, dans le plaidoyer de l’auteur suisse en faveur de la ville compacte, un oubli qui renvoie au caractère à peine émergent d’une problématique récente de santé publique à l’échelle mondiale:

les centres-villes, en constituant un environnement relativement favorable à la pratique des modes actifs (et « semi-actifs » en intégrant les transports en commun…) constitueraient également une belle opportunité pour lutter contre la pandémie d’obésité, qui trouverait dans la motorisation individuelle une solide contributrice… Resterait enfin à promouvoir une plus grande place de la nature en ville, ce que l’auteur n’a pas oublié de faire dans ses préconisations finales (p. 382) pour l’aménagement des centres-villes : « préserver des zones compactes de nature et valoriser les berges et les promenades ». Les alignements d’arbres sur la voirie, débarrassée du stationnement automobile, est sans doute l’un des meilleurs exemples d’amélioration environnementale incitant à la randonnée pédestre urbaine…

Malgré cette démonstration convaincante la controverse scientifique continue, et chacun peut peser les arguments des uns et des autres, pour tenter de forger son opinion :
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/effet-barbecue-ville-compacte
et
http://fr.forumviesmobiles.org/controverse/2016/11/28/cadre-vie-et-mobilites-loisirs-remise-en-question-ville-compacte-3371

Lien d’accès à l’ouvrage (gratuit !) de Sébastien Munafò, « La ville compacte remise en cause?« : http://www.oapen.org/search?identifier=624512

Bonne lecture…

Notes

(1) Orfeuil J.-P. et Soleyret D. (2002), « Quelles interactions entre les marchés de la mobilité à courte et longue distance ?». Recherche Transport Sécurité, no 76, Inrets.
(2) Charmes E. (2010), « La densification en débat ». Études foncières no 145, 20-26.
(3) Bailly A. et Bourdeau-Lepage L. (2011), « Concilier désir de nature et préservation de l’environnement : vers une urbanisation durable en France ». Géographie, économie, société, vol. 13, 27-43.

3 commentaires sur “Les bienfaits de la ville dense remis au goût du jour par un géographe suisse

  1. Jeanne à vélo

    « Issue des travaux de sa thèse une présentation des effets pervers des modes de vie en zone urbaine en termes de mobilité à motif loisirs vient corriger des idées reçues » : j’ai du mal à totalement saisir le sens de cette phrase. Peut-être à reformuler ? Merci.

  2. Vincent

    « Issue des travaux de sa thèse, une présentation vient corriger des idées reçues sur les effets pervers des modes de vie en zone urbaine en termes de mobilité à motif loisirs » ?

  3. pedibus

    par pitié à l’égard de mes très rares lecteurs voici une autre version du début de ma prose techno cracrate :

    Sébastien Munafò, déjà coauteur d’un rapport (fin 2012) sur la pratique automobile dans les agglomérations suisses – et les constructions cognitives qui lui sont liées – , https://infoscience.epfl.ch/record/186362/files/Rapport%20choix%20modal.pdf – pourrait-il constituer un sérieux contrefeu face à l’entreprise de réhabilitation des territoires périurbains, telle qu’on peut la rencontre dans une certaine littérature, avec les qualités qui leur seraient reconnues, particulièrement en termes de modes de vie qu’ils autoriseraient.
    Ce jeune chercheur géographe, de l’université de Neuchâtel, vient sûrement troubler le barbecue des pourfendeurs de la ville dense, parmi lesquels on peut citer le statisticien et urbaniste Jean-Pierre Orfeuil[1] (2002) et plus récemment le sociologue et urbaniste Eric Charmes[2] (2010) ou encore le géographe Antoine Bailly[3] (2011). Issu des travaux de sa thèse, son ouvrage de 442 pages porte sur effets pervers des modes de vie en zone urbaine, particulièrement en termes de mobilité à motif loisirs, et tente de corriger des idées reçues :
    une fois finement analysées les pratiques de déplacements et leurs motifs il n’existerait pas de mobilité dans les zones urbaines denses qui pourrait être analysée comme une compensation à un manque de chlorophylle, et si les pratiques de mobilité y sont plus fortes pour certains motifs, cet excédent n’entraînerait pas globalement plus d’externalités négatives, en comparaison des habitudes des résidents des zones périurbaines…

    [1] Orfeuil J.-P. et Soleyret D. (2002), « Quelles interactions entre les marchés de la mobilité à courte et longue distance ?». Recherche Transport Sécurité, no 76, Inrets.

    [2] Charmes E. (2010), « La densification en débat ». Études foncières no 145, 20-26.

    [3] Bailly A. et Bourdeau-Lepage L. (2011), « Concilier désir de nature et préservation de l’environnement : vers une urbanisation durable en France ». Géographie, économie, société, vol. 13, 27-43.

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