Irréaliste, violente, destructrice. La représentation de la mobilité au cinéma (6/6) : Furious 7

Ouuuuiiiii ! On se rassemble dans le désert et on est excités parce qu’on fait des courses de voitures ! On lève les bras pour brûler du pétrole ouiiiiiii !

« Accrochez-vous » comme on dit, on finit en ‘beauté’ avec le dernier film de notre série qui est de très loin le plus affligeant en matière de transport.

La série Fast and Furious, avec le viril Vin Diesel, brûle son essence et ses freins depuis 2001. Or, ceci correspond justement à la période où les années les plus chaudes jamais mesurées sur Terre ont été enregistrées. Que diraient des archéologues du futur en découvrant que cette série a été massivement regardée au début du nouveau millénaire? Au moment même où l’humanité réalise qu’elle est en train de brûler toutes les énergies fossiles que la Terre a accumulées pendant des millions d’années et provoque ainsi un réchauffement climatique qui aura des conséquences sur la vie des générations futures pendant des milliers d’années?

Alors que 2015 a été l’année la plus chaude depuis au minimum 1880 (date où l’on a commencé à enregistrer les températures), Fast and Furious 7 (4 637 718 spectateurs en France) a engrangé plus d’un milliard de dollars de recettes. Rien qu’en Chine, pays où le nombre de voitures et leurs victimes augmente de manière catastrophique, le film a fait 64 millions d’entrées, un record pour un film étranger.

Assez parlé, enchaînons les scènes ridicules: le générique de début montre une voiture dont le moteur rugit parce qu’elle fonce sur une route déserte. Quand le couple qui se trouve à l’intérieur parle, le bruit du moteur ne gêne pourtant absolument pas leur conversation. Ils arrivent ensuite sur le site de « Race Wars » où se trouvent des voitures de luxe et des femmes sexy en bikini (l’entrée doit être interdite aux femmes qui ne rentrent pas dans la norme). La copine de Vin est venu ici pour brûler de l’essence afin d’aller le plus vite possible en ligne droite. Dans la scène suivante, le personnage joué par l’acteur Paul Walker emmène son fils chez maman et on le voit mal à l’aise car il conduit une voiture « familiale ». La scène est censée être comique car on y voit l’acteur se faire déviriliser par sa conduite responsable. Un peu plus tard, ses amis disent d’ailleurs qu’il « se fait violence avec ce job de père au foyer », lui qui aimait tant « les filles et les voitures ».

Une première course-poursuite montre 2 voitures conduire dangereusement au milieu du trafic mais personne n’est blessé. Je suis gêné de commenter cette scène tant elle est ridicule mais les deux voitures se font ensuite face comme dans un duel de western et les moteurs rugissent, puis elles s’élancent  et… se rentrent dedans à toute vitesse. Pas besoin d’être ingénieur pour imaginer qu’une collision frontale à grande vitesse est obligatoirement mortelle. Ici, les deux conducteurs sortent de leur épave tranquillement et s’étirent. Dans un monde sans violence routière le film serait juste kitch. Sauf que dans ce monde où la violence routière tue des milliers de personnes chaque jour, cette scène est glaçante quand on réalise que le public principalement visé par le film  est un groupe sur-représenté en terme de mortalité routière : les hommes entre 17 et 25 ans.

Pour changer des films où les personnages prennent l’avion comme ils changent de chemise, nos héros prennent l’avion avec leur voiture et sautent en parachute avec… leur voiture. Celles-ci se collent ensuite les unes aux autres pour poursuivre des méchants à fond la caisse. Rien qu’en France des dizaines de personnes sont tuées à cause du non respect des distances de sécurité chaque année mais dans l’univers de la franchise Fast les lois de la physique doivent être différentes. La preuve, plus tard, une femme est accrochée sans problèmes sur le capot d’une voiture qui va à grande vitesse et qui se cogne à une autre voiture. En réalité le type de poussée qui accompagne ce genre de choc est bien supérieur à ce que peuvent encaisser des bras, on participe donc encore à la sous-estimation du danger de la vitesse alors que celle-ci est un facteur d’accident important. Passons sur la continuation de la poursuite en pleine forêt et la voiture du méchant qui chute de 30m en faisant des tonneaux (même pas mal) car arrive un nouveau moment d’embarras : Vince et la femme qui surfe sur les capots sont acculés par les méchants dans une voiture au bord d’un précipice. Dans un éclair de « réflexion », Vince donne un casque de moto à sa passagère (lui n’en a pas besoin), envoie un regard viril au méchant, fait vrombir le moteur puis… se jette de la falaise dans sa voiture qui fait des tonneaux sur environ mille mètres pendant qu’on le voit s’accrocher à la barre du toit avec ses gros bras. Rien que sur le plat, le tonneau a une très forte mortalité. Je n’ai hélas pas trouvé de statistiques sur les chutes de falaises de 1000m.

Tout le film n’est qu’une succession d’appels au crime écologique et de scènes en voiture édifiantes.

Après un passage où une voiture passe à travers 3 gratte-ciels de Dubaï en volant, je pense que la voiture dans Fast and Furious n’est plus seulement un véhicule mais une sorte de dieu tout puissant pour une secte fanatisée. A peine plus tard, les mêmes gars du début du film recommencent leur face à face viril façon western et se rentrent encore une fois dedans de plein fouet sans la moindre blessure. Ça a l’air tellement chouette que ça donne envie d’essayer… Je suis complètement atterré.

Lire aussi :  Führers et spéculateurs, le « marché à la sauvette » du nucléaire

Sans commentaire.

Avant de finir, il est difficile de ne pas mentionner une anecdote tristement ironique concernant Furious 7 : l’un des acteurs principaux, Paul Walker, s’est tué en voiture pendant la période de tournage du film. Lui et un ami étaient en train de conduire à environ 140km/h dans une zone résidentielle où la vitesse est limitée à 70km/h. Le virage où ils se sont tués est un « spot » connu des amateurs de course urbaine illégale et la voiture était modifiée pour être plus rapide. Walker possédait un magasin de voitures de luxe, a piloté en Rallye et disait qu’il aimait les belles voitures. J’ai épluché les articles parlant de la mort de l’acteur et absolument aucun article n’a fait de rapprochement entre l’accident et la fascination pour la vitesse automobile portée par la série! De nombreuses hypothèses ont été faites : défaut de la voiture, de la route, présence d’une autre voiture mais c’est seulement après une enquête scientifique établissant que la vitesse était la seule cause de l’accident que celle-ci sera brièvement mentionnée dans les médias. On est véritablement en présence d’un dogme et même la mort d’un acteur parce qu’il a conduit « comme dans le film » n’a absolument pas provoqué de remise en question de cette apologie de la vitesse (fast) et de l’agressivité (furious) au volant.

Véritable étendard de la civilisation automobile, Fast and Furious pourrait bien être une pièce à conviction importante dans le futur tant cette série est une illustration caricaturale de la sacralisation  de la voiture dans nos sociétés et du déni absolu en ce qui concerne ses impacts négatifs.

Dans ce film, la seule chose qui arrive après une collision, c’est de sortir de la voiture encore plus viril qu’avant. Dans la réalité c’est une autre histoire.

Quelques réflexions pour finir:

On a clairement vu, dans les 5 films analysés, une pratique de la mobilité irresponsable et incapable de se remettre en question : celle de riches qui refusent de voir la violence qu’ils exercent ou d’envisager des solutions autres que technologiques aux problèmes qu’ils causent. On peut s’interroger sur la surenchère d’effets et la mise en scène de la violence pour créer du spectaculaire et de l’émotion dans les courses poursuite en voiture. Ne peut-on pas susciter du suspense, de la surprise et de l’attente d’une autre manière qu’en multipliant les cadavres de bagnoles et les destructions matérielles ? Piloter demande juste de tourner ses mains à droite et à gauche et à appuyer sur la pointe des pieds. On peut pourtant faire des films d’action où c’est le corps qui agit: à vélo ou à pied! Ou faire un carton au box-office en transport en commun.

Il faut une réflexion au niveau individuel car nous avons la responsabilité des produits que nous finançons. Tant qu’il y aura des gens pour payer il y aura des Fast and Furious (oui le 9ieme épisode va sortir en 2019!). Le boycott n’est pas ringard et s’il y a des pressions de la part des enfants ça peut être l’occasion de discuter avec eux du potentiel politique du téléchargement illégal..

Il y a aussi beaucoup de possibilités au niveau de l’état :

Les catégories d’ages pour les films pourraient être revues. Pourquoi un film qui montre un buste de femme est déconseillé aux moins de 16 ans alors que des films qui cumulent des scènes d’accidents de la route ne sont pas problématiques au-delà de 12 ans ? Sachant que les catégories d’age influent fortement la diffusion et les recettes il y a là un levier fort pour calmer la violence routière à l’écran.

Aujourd’hui les producteurs de films ont droit à des crédits d’impôts si le film n’est pas « à caractère pornographique ou d’incitation à la violence ou utilisables à des fins de publicité ». On peut facilement imaginer exclure de ces crédits les films qui font la promotion de la violence routière ou de moyens de transport polluants (et appliquer la loi actuelle sur les films qui font des placements publicitaires comme Taxi!). Il y a d’autant plus d’urgence à légiférer qu’à l’heure actuelle le cinéma est l’une des industrie les plus polluantes qui soient!

Pour la publicité enfin, il y a déjà un code de déontologie qui prohibe la valorisation de la vitesse dans les spots pour voitures depuis 1988. Il serai temps d’interdire purement la publicité automobile en tant que problème majeur de santé publique (accident, pollution, obésité..) comme cela a été fait pour la cigarette.

On peut aussi considérer la contribution de la culture de la virilité à la violence routière. Combattre le sexisme ne peut qu’être bénéfique à notre époque où on peut encore entendre des remarques idiotes sur la conduite des femmes alors que ce sont avant tout les hommes qui tuent sur la route.


Des problèmes de virilité vous disiez ?

S’il est possible d’analyser les représentations de la violence directe due au transport au cinéma, la question des violences indirectes est purement absente et se fait attendre. On assiste tout juste à un début de prise de conscience sociétale en ce qui concerne par exemple le pillage des ressources ou la pollution atmosphérique.

La route est longue…

4 commentaires sur “Irréaliste, violente, destructrice. La représentation de la mobilité au cinéma (6/6) : Furious 7

  1. romain

    Pour ma part je suis un fan de la première heure, à l’époque j’étais fou de bagnoles.

    Après ma prise de conscience écologique, j’ai arrêté la bagnole comme un fumeur qui arrête la clope et je suis depuis plus de dix ans militant pro-velo.

    C’est donc très paradoxal pour moi de continuer de suivre les aventures de dom & co mais avec l’age ou prend du recul et c’est devenu une sorte d’exutoire ou défouloir.

    Un autre aspect de ces films surtout les derniers est la méga-surenchere d’action totalement irréaliste donc complétement non reproductible, tout le monde comprends ça même les plus jeunes et influençable.

    Voila je comprends parfaitement les arguments de l’article, c’est juste mon expérience personnel.

    Bonne continuation.

     

     

  2. Hdkw

    Pour ma part je suis un fan de la première heure, à l’époque j’étais fou de bagnoles.

    C’est intéressant d’avoir évolué alors que la série garde son cap.

    tout le monde comprends ça même les plus jeunes et influençable

    Quant j’ai fait mes recherches sur le film j’ai vu plusieurs articles ou des policiers parlent de pics de conduite dangereuse a chaque sortie d’un épisode de la franchise hélas.

    https://www.theguardian.com/film/2001/jun/26/news

     

    Il n’y a pas de recherche a la hauteur du problème (normal pour une violence de groupe social dominant) mais les sciences semblent d’accord sur une influence claire des médias sur la conduite a risque.

    Le mémoire suivant (en anglais) comporte beaucoup de références pour ceux qui veulent approfondir:

    Media Influence on Risky Driving Behaviors Among Adolescents and Emerging Adults

     

  3. Emma Prilatete

    Pour ma part, je pense qu’inconsciemment les Américains (ou du moins les réalisateurs américains) détestent les bagnoles : il n’y a qu’à voir le nombre de bagnoles détruites dans le moindre film d’action !

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