Quand l’obligation du casque vélo est mauvaise pour la santé

Périodiquement, la question du port du casque vélo obligatoire pour les cyclistes revient dans le débat public, en général via des hommes politiques qui n’y connaissent rien en matière de vélo. Or, il se trouve qu’un pays, l’Australie, a rendu le port du casque obligatoire en 1991, ce qui a provoqué une baisse de 30 à 40 % du nombre de cyclistes et un bilan largement négatif en matière de santé publique.

Dans cet article de 2011, Chris Rissel, professeur de santé publique à l’Université de Sydney en Australie, fait un bilan de la mesure rendant obligatoire le port du casque pour les cyclistes.

L’abandon des lois sur le port du casque à vélo serait meilleur pour la santé

Les épidémies de diabète et d’obésité menaçant de ruiner les budgets de santé des États, les gouvernements doivent élargir leurs stratégies pour encourager l’activité physique.

En autorisant les cyclistes à rouler sans casque, on lèverait un obstacle commun à la pratique du vélo et on encouragerait davantage d’Australiens à enfourcher une bicyclette. Même s’il y a un petit risque.

L’histoire de la législation sur le port obligatoire du casque de vélo en Australie commence réellement dans les années 1970. Après la Seconde Guerre mondiale, le paysage des transports urbains a été envahi par les véhicules motorisés privés et, dans les années 1970, les traumatismes routiers ont atteint un niveau record.

Tout au long des années 1980, une série de mesures de sécurité routière ont été introduites en Australie et dans d’autres pays en développement. L’abaissement des limites de vitesse, la modération du trafic, les contrôles aléatoires de l’alcoolémie et d’importantes campagnes médiatiques sur la sécurité routière ont permis de réduire considérablement le nombre de blessés parmi tous les usagers de la route, y compris les cyclistes.

À la suite de cette époque glorieuse de la sécurité routière, l’attention s’est portée sur les cyclistes. Les motocyclistes avaient déjà été soumis à une législation les obligeant à porter un casque, avec un certain succès en termes de réduction des traumatismes crâniens, de sorte qu’il était logique de penser que les cyclistes pourraient eux aussi bénéficier du port d’un casque.

En 1991, l’Australie a introduit des lois sur le port obligatoire du casque de vélo, obligeant tous les adultes et les enfants à porter un casque à tout moment lorsqu’ils font du vélo, malgré l’opposition des groupes de cyclistes.

La législation a permis d’augmenter le taux de port du casque – de 30 à 80 % environ – mais elle s’est accompagnée d’une baisse de 30 à 40 % du nombre de cyclistes.

Les taux de traumatismes crâniens chez les cyclistes, qui avaient diminué dans les années 1980, ont continué à baisser avant de se stabiliser en 1993. Nous n’avons pas observé le type de réduction marquée des taux de traumatismes crâniens que l’on aurait pu attendre avec l’augmentation rapide du port du casque. En fait, toute réduction des blessures peut simplement être due au fait qu’il y a moins de cyclistes sur la route et donc moins de personnes exposées au risque de blessures à la tête.

Un chercheur a noté qu’après l’introduction de lois sur le port obligatoire du casque, la diminution des traumatismes crâniens a été plus importante chez les piétons que chez les cyclistes. Les améliorations de l’environnement général de la sécurité routière introduites dans les années 1980 ont probablement contribué beaucoup plus à la sécurité des cyclistes que la législation sur le port du casque.

Cela pose un problème : si les casques de vélo protègent la tête des blessures, il est certain que si tous les cyclistes en portaient un, il y aurait moins de traumatismes crâniens.

Les normes de conception des casques garantissent que les casques vendus en Australie sont capables d’absorber l’impact d’un coup équivalent à un choc direct à environ 19,5 km/heure. La vitesse moyenne des cyclistes est de 20 à 25 km/heure, et celle des cyclistes sportifs est souvent supérieure à 30 km/heure.

Pour être efficaces, les casques ne doivent pas être trop vieux (ils deviennent cassants et se fissurent), ils doivent être bien ajustés et être portés correctement. Cela peut être un problème pour les cyclistes peu fréquents. Il est également fort probable que les casques modernes (à coque souple) augmentent le risque de certains types de lésions cérébrales (par exemple les lésions axonales diffuses), les normes n’ayant été modifiées qu’en 2010 pour tenter de prendre ce problème en compte.

Une des premières études sur les casques, réalisée à la fin des années 1980, indiquait que les casques réduisaient le risque de traumatisme crânien de 85 %, ce qui est énorme. Bien que la méthodologie ait été critiquée à l’époque, ce chiffre a été fréquemment repris par les autorités chargées de la sécurité routière.

Mais une récente réanalyse de toutes les grandes études portant sur l’efficacité des casques a mis en évidence un important biais de publication dans les évaluations précédentes. La plupart des casques réduisent le risque de blessure à la tête de 15 % s’ils sont portés correctement.

Les casques offrent donc une certaine protection, mais l’environnement routier est bien plus important.

Le principal écueil de la législation sur le port du casque est qu’elle décourage les gens de faire du vélo.

En termes de sécurité, il existe un phénomène appelé « sécurité du nombre ». Plus il y a de cyclistes, plus nos routes sont sûres pour eux. Les conducteurs s’habituent à voir des cyclistes et adaptent leur comportement, et les infrastructures ont tendance à être améliorées pour mieux répondre aux besoins des cyclistes. Même si les cyclistes portent un casque, ils sont moins en sécurité s’il y a moins de cyclistes sur la route que s’il y en a plus.

Lire aussi :  Chronovalve, un défi lancé aux automobilistes et aux usagers des transports en commun

Le port du casque est un obstacle pour les nouveaux cyclistes, en particulier pour les cyclistes occasionnels et non réguliers. L’obligation de porter un casque renforce le message selon lequel le vélo est dangereux, la perception du danger étant l’une des principales raisons invoquées par les gens pour ne pas faire de vélo.

Tous les niveaux de gouvernement australien ont désormais des politiques ou des plans visant à augmenter le nombre de cyclistes dans la population. Les avantages sont évidents: augmentation de l’activité physique, réduction de la pollution de l’air et des embouteillages.

Les avantages de l’activité physique pour la santé sont particulièrement importants. Une vaste étude menée au Danemark a montré que la pratique du vélo pendant seulement trois heures par semaine pour se rendre au travail réduisait de 39 % le nombre de décès (toutes causes confondues, y compris les maladies cardiaques) par rapport aux non cyclistes, en tenant compte d’autres activités physiques de loisir et d’autres facteurs explicatifs.

Une analyse récente a comparé les risques et les avantages qu’il y a à laisser sa voiture à la maison et à se déplacer à vélo. Elle a révélé que l’espérance de vie gagnée grâce à l’activité physique était bien plus élevée que les risques de pollution et de blessure liés à l’utilisation du vélo.

L’augmentation de l’activité physique ajoute de 3 à 14 mois à l’espérance de vie d’une personne, alors que l’espérance de vie perdue à cause de la pollution atmosphérique est de 0,8 à 40 jours. L’augmentation des accidents de la route a réduit l’espérance de vie de 5 à 9 jours.

Il est clair que les avantages du cyclisme l’emportent sur les risques, la législation sur le port du casque coûtant en réalité plus cher à la société en raison des gains de santé perdus que des économies réalisées grâce à la prévention des blessures. L’Australie et la Nouvelle-Zélande étant les seuls pays où le port du casque est obligatoire pour les cyclistes, nous avons beaucoup à apprendre de nos cousins étrangers.

Chris Rissel
Professeur de santé publique, Université de Sydney, Australie.

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

Contexte

La législation a fait progresser le port du casque – de 30 à 80 % environ – mais elle s’est accompagnée d’une baisse de 30 à 40 % du nombre de cyclistes:

Gillham C. Bike numbers in Western Australia: government surveys.

Smith NC and Milthorpe FW. An Observational Survey of Law Compliance and Helmet Wearing by Bicyclists in New South Wales – 1993, Sydney: NSW Roads and Traffic Authority; 1993. (not available on-line, but many on-line references to it)

Finch CF, Heiman L, Neiger D. Bicycle use and helmet wearing rates in Melbourne, 1987 to 1992: the influence of the helmet wearing law. Melbourne: Monash University Accident Research Centre; 1993.

Finch CF, Newstead SV, Cameron MH, Vulcan AP. Head injury reductions in Victoria two years after introduction of mandatory bicycle helmet use. Melbourne: Monash University Accident Research Centre; 1993.

The same thing happened in New Zealand when helmet legislation was introduced there:

Land Transport New Zealand. Sustainable and safe land transport – trends and indicators.

Rates of head injuries among cyclists, which had been dropping through the 1980s, continued to fall before levelling out in 1993:

Hendrie D, Legge M, Rosman D, Kirov C. An economic evaluation of the mandatory bicycle helmet legislation in Western Australia. Road Accident Prevention Research Unit, 1999.

Finch CF, Newstead SV, Cameron MH, Vulcan AP. Head injury reductions in Victoria two years after introduction of mandatory bicycle helmet use. Monash University Accident Research Centre. Report No. 53, 1993 p10

Mortality rates parallel that of head injuries:

Australian Transport Safety Bureau. Monograph 17 Cycle Safety. 2004.

It is very important to note that the statement in this document “An ATSB study which reviewed numerous epidemiological studies published during the period 1987 to 1998, found ‘overwhelming evidence in support of helmets for preventing head injury and fatal injury.’ refers to a study now discredited for publication bias in a recent re-analysis.

Elvik R. Publication bias and time-trend bias in meta-analysis of bicycle helmet efficacy: A re-analysis of Attewell, Glase and McFadden, 2001. Accident Analysis and Prevention 2011;43(3):1245-51.

There is no question that cycling has many health benefits:

The classic Danish study that found commuter cycling for just three hours a week led to 39% fewer deaths: Andersen LB, Schnohr P, Schroll M, Hein HO. All-cause mortality associated with physical activity during leisure time, work, sports and cycling to work. Archives of Internal Medicine 2000,160:1621-1628.

It is clear that the benefits of cycling outweigh the risks:

de Hartog, J. J., Boogaard, H., Nijland, H., and Hoek, G. Do the Health Benefits of Cycling Outweigh the Risks? Environmental Health Perspectives 2010: 118: 1109-1116.

Helmet legislation actually costs society more from lost health gains than saved from injury prevention:

De Jong P. The health impact of mandatory bicycle helmet laws. (February 24, 2010).

7 commentaires sur “Quand l’obligation du casque vélo est mauvaise pour la santé

  1. promeneur

    Je fais du vélo et de la randonnée à vélo depuis vingt ans.

    Mon point de vue est individuel, je ne gouverne pas.

    Au premier ordre de grandeur chez les cyclistes comme chez les automobilistes ce qui tue est la vitesse.

    Ma vitesse moyenne est 12 Km/h. Cette vitesse me protège en cas de chute. Je ne porte pas de casque. A pondérer averc le problèmes des obstacles, voir ci-dessous.

    En randonnée on rencontre souvent des descentes peu sinueuses, longues (5-20 Km) qui incitent à la vitesse. Effectivement c’est un délice car juste avant il a fallu grimper pendant des Km. On est rapidement à des vitesses de 50 Km/h sinon plus. certains sont arrivés à 90 Km/h! Vélo+bagage+cycliste, on a un projectile de 114 Kg à 20 Km/h qui a une énergie capable de vous fracasser le crane en cas de rencontre avec un obstacle. A 50 Km/h si vous vous écrasez sur un mur, rien ne vous sauvera.

    Le problème n’est pas la chute en soi, on ne tombe pas de haut, mais la vitesse de glissade et les obstacles.

    Vous pouvez chuter à grande vitesse. Si vous ne rencontrez aucun obstacle, vous n’aurez que des blessures dues au frottements. C’est ce qui arrive à certains motards. Mais si vous rencontrez ,votre tête ou autre, un obstacle, là ça peut-être grave.

    En ville il y a plein d’obstacles : rebord de trottoir, borne et poteau anti-voiture, etc.

    A chacun d’optimiser les contraintes, de décider en fonction des avantages/désavantages, du coût/bénéfice.

    En ville il y a beaucoup d’obstacles dangereux en cas de chute mais à 12 km/h la probabilité d’un accident est très faible. Je ne porte pas de casque. Par contre avec un VE à 20 Km/h et plus, je me poserai la question.

    A la campagne, en dehors des zone urbaines, les obstacles sont rares et à 12 Km/h je suis tranquille. Dans les descentes, je limite ma vitesse à 15 Km/h. Je ne porte pas de casque. Par contre  à fond les manettes, je me poserai la question.

    Je suis surpris de voir que des gens ont renoncé au vélo à cause de l’obligation du port du casque. J’ai porté un casque les premières années. Vraiment parler de contrainte est exagéré. Je suis motard le casque n’est pas une contrainte. Je ne renoncerai pas au vélo pour cela.

     

  2. pedibus

    je n’ai pas pu – pas au-delà certes de quelques minutes de recherches sur la Toile… – trouver des articles de recherche plus récents, pour aller dans le sens de notre universitaire en santé publique, qui avait bien campé les enjeux au début des années 2010, fort du constat de l’effondrement de la pratique du vélo en Australie suite à la législation obligatoire du port du casque…

    on constatera par contre une littérature truffée, trustée par les questions en lien exclusif avec l’accidentologie, mettant curieusement de côté la pandémie mondiale d’obésité et de surpoids, mais également l’aménagement et l’urbanisme, puis surtout le système automobile dans les représentations et le jeu social :

    « we trust the dollar, we trust the car too » (« nous faisons confiance au dollar, nous faisons confiance à l’automobile également »), pourrait être la devise, où la croyance dans la remédiation technique d’un casque expliquerait beaucoup de choses… en laissant le reste tranquillement prospérer :

    dès lors il faut se mettre en situation de contrattaque, avec une meilleure posture sur le terrain de la communication, en affirmant :

    il faut faire porter le chapeau au système automobile

    avec à la clé tout un dispositif de contrôle de nos ami-e-s bagnolard-e-s, en commençant évidemment par celui de la vitesse pratiquée, réinternalisant en quelque sorte chez nos « ami-e-s » le premier danger physique immédiat de l’énergie cinétique…

  3. Vincent

    « Les casques offrent donc une certaine protection, mais l’environnement routier est bien plus important. »

    Sans parler de physique niveau collège, il aurait suffit à l’auteur de faire un voyage aux Pays-Bas.

  4. Rig

    Je ne suis pas pour l oblgation du casque mais ne comprend pas ce qui gene a porter un casque. Quand j attache mon velo je glisse l antivol entre les lanieres du casques et puis voila.

  5. Dexter38

    Je pratique le VTT et le vélo depuis 40 ans, j’ai toujours porté un casque. Ou est le problème ? Sans casque, je ne partiras même pas pour faire 100m. Sinon, mieux vaut prendre un casque MIP.

  6. Bibinato

    A chaque fois qu’il est question de l’obligation du port du casque, la conversation dévie sur le port du casque lui-même, et chacun.e de raconter comment ça lui aurait sauvé la vie, ou, a contrario d’expliquer que le casque ne sert à rien.
    Qu’est-ce que vous ne comprenez pas dans l’expression « obligation du port du casque » ?
    Est-ce que si j’écris : « je suis pour le port du casque, mais contre l’obligation de le porter », ça percute la petite glande qui prend bien en compte tous les mots dans le cerveau ? 😉
    Dans la vélo-école que j’ai l’honneur de présider, lorsqu’on me demande si nous fournissons des casques, je réponds par la négative, mais indique aux futures élèves qu’elles sont LIBRES de s’en coiffer ou pas, pour moi, ce qui compte dans un premier temps, c’est de les rassurer sur la pratique du vélo, si je sens que le casque va les angoisser, j’essaie de les dissuader d’en porter, si je sens que ça va les rassurer, je les encourage à en chercher un à leur taille et qui ne fasse pas trop tête de b…

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