Réchauffement climatique : sacrée voiture !

Le coût du réchauffement climatique a été chiffré à 5.500 milliards d’euros d’ici 2050, soit autant que les deux guerres mondiales ou la crise de 1929 ! Si l’on veut prévenir cette catastrophe ou en limiter l’ampleur, il faudrait diviser par quatre les émissions annuelles de carbone dans les pays industrialisés tels que la France. Voir aussi : « Le réchauffement climatique ?… Connais pas » et Réchauffement climatique : la guerre façon Churchill

En France, les émissions de gaz à effet de serre s’élevaient en 2004 à un total de 562,6 millions de tonnes équivalent carbone (MtC) dont au moins la moitié dans les transports terrestres, le tertiaire et le logement résidentiel. Il en ressort que l’objectif de diviser par quatre les émissions de carbone implique une remise en question de notre mode de vie. Les plus gros efforts seront requis dans le transport (automobiles, fret routier et avions), principal poste de consommation énergétique, par exemple : – en remodelant les villes pour permettre à chacun de s’y épanouir sans l’obligation de posséder une voiture, – en luttant contre l’étalement urbain et en dissuadant les jeunes ménages de fuir loin des villes et des bourgs, dans des zones pavillonnaires coûteuses en frais d’exploitation et en déplacements tant pour la collectivité que pour les habitants, – en renversant aussi la vapeur en ce qui concerne le tourisme aérien.

Sacrée voiture !

Il y a quarante ans, l’économiste et démographe Alfred Sauvy avait déjà entrevu l’impasse du tout-automobile (Mythologie de notre temps, 1965) : saccage des villes et des campagnes, ruine de l’urbanisme, pression sur les budgets des ménages, importations de pétrole,… Et il ne connaissait rien du réchauffement climatique ! Un peu plus tard, le philosophe Ivan Illich a relancé la critique de la société automobile dans un petit livre à succès (La convivialité, 1973). Étonnamment, le tout-automobile ne suscite plus aucun débat dans les pays développés. Les diatribes d’Alfred Sauvy et Ivan Illich semblent appartenir à un très lointain passé et personne n’imagine plus de pouvoir vivre sans une voiture, avec en prime la faculté de s’évader chaque année en avion vers des villégiatures paisibles. La France et l’Europe se sont alignées sur l’antimodèle américain, avec près d’une voiture par adulte et la dissolution des villes. Les vieux centres urbains et les villages, fruits d’une lente maturation historique, sont étranglés par des zones pavillonnaires, commerciales, industrielles et routières qui ne ressemblent plus à rien. Le mitage péri-urbain aura mis moins d’une génération à détruire les campagnes modelées par quarante générations de paysans précautionneux. Pour ne rien arranger, on lotit aujourd’hui les campagnes françaises par lots d’une surface minimale de 2500 m2. À raison de quatre maisons par hectare, cela signifie une densité moyenne d’environ 1.000 habitants/km2, de quoi transformer tout le territoire national en immense lotissement tissé de voies de communication et de zones d’activité et de commerces ! L’éclatement urbain est l’une des principales causes du gaspillage d’énergie à l’origine du réchauffement climatique : – il rend nécessaire de longs trajets quotidiens en voiture, – il entraîne les familles dans une fuite en avant, toujours plus loin, vers les derniers lieux encore épargnés par la saturation automobile, le bruit et la pollution, – il accroît les coûts d’infrastructures (réseaux routiers, électriques,…) et les nuisances ordinaires (bruit, pollution, maladies respiratoires, gâchis visuel, saccage de paysages ancestraux,…). La justification communément apportée à ce phénomène est l’impossibilité de se loger à un prix raisonnable dans les villes. Mauvais calcul : une voiture coûte à son propriétaire 500 € par mois d’après l’Agence de l’Environnement (ADEME), non compris les coûts inhérents à la collectivité (entretien de la voirie,…). En se logeant en centre-ville, beaucoup de familles pourraient faire l’économie d’une ou deux voitures, ce qui compenserait en général très largement le surcoût de leur loyer.

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L’impasse du tout-automobile

Nous sommes conscients au fond de nous que notre mode de vie ne peut être généralisé à l’humanité entière, et qu’il devra être réformé à plus ou moins brève échéance. Pourtant, nous nous comportons comme si la voiture particulière et les vols long-courriers étaient devenus des composantes inaliénables de notre identité d’homme moderne… et lorsque nous cherchons des remèdes au réchauffement climatique, nous imaginons des voitures et des avions non-polluants mais jamais une existence (presque) sans voiture ni avion ! Or, nous ne disposerons pas avant 2050 de technologies alternatives (nucléaire, moteur à hydrogène, éolien, photovoltaïque, biocarburants,…) capables de concilier la généralisation de ce mode de vie avec la préservation des énergies fossiles (ces technologies existent déjà mais sont encore très loin de pouvoir suppléer aux énergies fossiles). Comme le réchauffement climatique n’attendra pas jusque-là pour se manifester dans toute son ampleur, nous devons inventer sans attendre de nouveaux modes de vie fondés sur un usage limité de la voiture et de l’avion ainsi que sur des logements sobres en énergie. Cela dépasse la compétence des chercheurs et des constructeurs aéronautiques ou automobiles mais relève de choix politiques, économiques et urbanistiques.

L’urbanisme, clé de l’avenir

Des solutions sont à notre portée pour concilier bien-être individuel, harmonie sociale et environnement naturel. Paris nous en offre un timide aperçu ! Dans la capitale française, la moitié des ménages ne possèdent pas de voiture. Chacun ou presque peut en effet aller à son travail en métro ou en bus, voire en vélo, et la plupart des services et des loisirs sont partout accessibles à pied. Pour les sorties dominicales et les vacances, c’est le train ou la voiture de location. En matière de relations interurbaines, la Suisse offre un exemple à suivre. Dans ce pays, tous les villages sont accessibles dans de bonnes conditions par les transports publics, train, tramway, bus. Ainsi peut-on concevoir des sociétés modernes libérées de la pression automobile, où chacun peut combler ses besoins physiologiques, affectifs, éducatifs, culturels,… avec un minimum de contraintes de transport et dans de bien meilleures conditions qu’aujourd’hui : – des villes moyennement denses, organisées autour d’un ou plusieurs centres équipés en services et commerces aisément accessibles à pied, – des réseaux efficaces de transports publics interurbains (trains et autocars). L’idée n’est pas neuve. Il y a un siècle, dans Les cités-jardins de demain (1898), un urbaniste anglais, Ebenezer Howard, préconisait des villes en réseau d’une trentaine de milliers d’habitants chacune (un niveau considéré par l’auteur comme optimal du point de vue humain). Son idée a même reçu un début d’application en Angleterre avec la construction des cités-jardins de Welwyn ou encore Letchworth. Ces villes d’une densité d’environ 15.000 habitants/km2 permettent à chaque famille de vivre dans une maison avec jardinet, sans vis-à-vis important, avec des services publics et des lieux de travail pour la plupart accessibles à pied ! Seul sans doute un urbanisme de cette sorte se concilierait avec la lutte contre le réchauffement climatique. Mais sa mise en oeuvre devrait passer par une batterie d’actions publiques claires et fermes pour renverser le tout-automobile mis en place au cours des quatre dernières décennies (à commencer par une surtaxation progressive des énergies).

Source : www.herodote.net

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