Décidément, la pratique du vélo peut être très enrichissante. On démontre souvent la richesse endorphinique que procure le vélotaf, c’est-à-dire le sentiment de bonheur auquel conduit la pratique matinale d’aller au bureau à vélo et donc de commencer la journée par un effort acceptable et beaucoup plus agréable que les coups de klaxon dans les embouteillages.
Ce que je peux remarquer, c’est que faire du travail de terrain à vélo permet un bonheur infiniment plus grand encore. Outre le fait de vraiment connaître son territoire (à l’inverse du parcours entre le dodo et le boulot, le travail sur le terrain nous fait rouler sur des routes parfois inconnues), atout non négligeable pour quelqu’un qui veut aimer son coin de vie et in fine son cadre de vie et donc un peu de sa vie, l’atout incalculable vient aider le « vélo-arpenteur » (ainsi appellerons-nous celui qui va sur le terrain à vélo) au moment de rencontrer des gens sur le terrain. Si le boulot nécessite d’avoir pris un rendez-vous sur le terrain, alors l’avantage (minime encore) est de faire montre que le rendez-vous vous a demandé du temps actif pour rejoindre la personne. La personne en face de vous ne vous toise pas comme si vous aviez un chauffeur personnel et une berline luxueuse à votre disposition.
Le gros avantage vient quand vous avez à rencontrer des personnes sur le terrain, au hasard, au gré des rencontres. Quel que soit votre boulot, aller aborder des gens n’est jamais facile; une méfiance est toujours de mise, surtout dans les territoires ruraux. Quand vous arrivez à vélo, freinez, vous arrêtez et abordez une personne avec le sourire d’une personne dans l’effort du cycliste, regardez les lueurs brillantes dans les yeux de votre interlocuteur. Vous pourriez être agent d’enquête (ce boulot parfois ingrat dans lequel les gens vous prennent pour un naïf de croire que vous allez réussir à les convaincre de vous consacrer du temps, le temps étant cette denrée rare et non partageable dans notre société individualiste d’aujourd’hui) qu’il s’en ficherait, votre interlocuteur… Qu’à cela ne tienne: voici un agent d’enquête qui n’arrive pas « envahissant »… Le mot est là. Essayez d’arriver en voiture sur une place, vous ne ferez pas le même effet aux autochtones. L’agent d’enquête gagne tout à s’inviter en simplicité sur le terrain d’enquête.
Même quand vous n’êtes pas agent d’enquête et que vous avez un boulot de terrain plus agréable (photographe par exemple), arrivez à vélo dans un lieu plutôt reculé et demandez des témoignages au sujet du patrimoine local que vous êtes venu photographier. Aucune dent contre « le p’tit Poulidor qu’est arrivé sur sa bicyclette, vé ! » Il se pourrait même que les gens, pour narrer leur témoignage, vous invitent à boire « une p’tite grenadine! »… Ou « un muscat! Avé la terrine! » (cette proposition n’est pas une fable, j’ai mangé de la terrine avec une grosse miche de pain et un muscat bien frais avant de remonter en selle).
Quand vous avez le temps, ne vous focalisez pas sur le temps que vous mettrez à aller sur le terrain. Admirez la facilité des rencontres sur le terrain et la qualité, autant humaine que professionnelle (les sésames me sont souvent donnés quand j’arrive à vélo).
Le vélo jouit d’un capital sympathie, c’est peut-être en fait tout à fait normal par rapport à la destruction de la convivialité par la voiture. On ne s’en rend plus compte parfois, mais Ivan Illich avait bien raison: la voiture a bien détérioré nos rapports, la « convivialité »…
Pour ces missions de terrain à vélo, le plus simple est encore de partir sur le terrain le week-end (encore que je l’aie déjà fait en semaine, pendant les jours classiques de boulot): on a tout le temps qu’on veut, on peut même visiter l’éco-musée du coin en sus, voire reprendre « un p’tit coup de muscat pour la route ! »
Photo: « Des voitures ou des hommes? » Slogan peint en 1975 à Amsterdam (par Amsterdamize)
Magnifique texte ! Alors je découvre qu’à défaut d’être un « vélotafeur » (j’ai un bureau à domicile) je suis un « vélo-arpenteur » car effectivement j’effectue tous mes déplacements de travail à moins de 10 km à vélo (2 ou 3 AR plus ou moins long par jour) et pour les autres, je mets le vélo dans le TER.
Je confirme tout ce que l’article exprime sur l’accueil bienveillant reçu et sur la disponibilité de la rencontre en cours de chemin. A cela s’ajoute la pause que le vélo peut procurer entre deux visites. En contexte rural j’ai parfois un peu peur qu’on me considère comme un « glandeur » qui prend son temps à vélo mais je m’aperçois que non seulement ce n’est pas cas mais en plus cela m’oblige à mieux organiser mes déplacements. La voiture ne nous pousse pas autant à optimiser les RDV car on perd la valeur du déplacement.
Au risque de choquer les anticléricaux, le boulot en question est celui de pasteur protestant…
Alors, Alain, je dirai que la miche de pain partagée et le muscat partagé ressourcent le corps et l’esprit…
Je me vois dans l’obligation de refuser des trop grandes quantités d’alcool (beaucoup de gens m’en proposent) ; c’est convivial, mais pas trop sage quand il faut repartir en selle sous le soleil !
Mais le muscat « maison », je ne pouvais passer à côté !
Terrine « maison » aussi et pain « maison »… Bref, du bonheur calorique (plus qu’éthylique) !
C’est vrai que le vélo est un outil formidable pour faire du terrain et en particulier découvrir une ville. A la fac, je faisais toujours mon travail de terrain à vélo et je me rappelle même d’un prof nous disant: »pour découvrir les paysages, la marche ne va pas assez vite et la voiture va trop vite, le vélo permet la vitesse idéale de découverte ». Et en plus, on peut s’arrêter n’importe où et à tout moment, pour faire une photo, lire une inscription ou parler à quelqu’un.
Oui, pour le paysage, le vélo est parfait (l’échelle est la bonne). Mais pour se rapprocher plus du microcosme (ne serait-ce que pour faire le naturaliste, l’observateur de la nature dans ses petits détails), alors la marche est meilleure. Tout dépend ce que l’on recherche.
Idem pour la question d’échelle. Découvrir une ville se fait bien à vélo si l’on n’a qu’un courte demi-journée et que l’on veut parcourir ses différents quartiers. Si l’on veut rentrer plus en profondeur dans un quartier et s’y immerger, je pense que la marche permet plus de choses. Observer les coins de rue, les pignons sur rue, les colombages, le tympan d’une église, observer une place vivre au gré des heures, ou même la traverser comme tout autre passant, pour cela, je pense que la marche a bien des avantages aussi en ville.
A la campagne, pour s’en mettre plein la vue en voyant une diversité époustouflante en une journée (plaine, plateaux, vallées et sommets, flancs de montagne, adret et ubac), alors le vélo me semble meilleur que la marche. Pour observer une espèce dans son habitat ou observer l’étagement de la végétation, alors la marche est bien meilleure à mon avis. Ces expériences, toutefois, se ressentent plus qu’elles ne s’expliquent. Tout le monde trouve l’échelle qui lui convient et le transport qui permettra d’atteindre la poésie équivalente. Mais les gens qui foncent en pique-nique avec leur voiture pour les 3 heures entre 12h et 15h n’ont rien compris de la poésie qu’il peut y avoir dans la « démarche d’aller vers ».
Moi la bouteille de Muscat, elle est dans la sacoche!
Legeographe a tout a fait raison pour la marche et le vélo…
J’ai oublié tant de bons souvenirs…
J’ai aussi déjà été invité dans des repas de communion (tu parles avec une personne qui est à l’extérieur de la salle des fêtes, elle t’amène à l’intérieur pour te faire rencontrer le doyen de la famille qui connaîtra toutes les réponses à tes questions, puis on te propose de manger : de l’entrée, du plat de résistance, du fromage, du dessert, du vin… puis tu te dis qu’il faut repartir, et que c’est bien sympa pour avoir permis d’éviter l’hypoglycémie, la fringale, mais qu’il ne faut pas être trop chargé pour gravir le col à +1000 mètres alors que tu n’es qu’à +150m).
J’ai aussi eu des gens qui m’ont donné des fruits, des biscuits, du chocolat alors que je ne leur demandais que de l’eau (parfois, ces dons n’étaient pas de refus)…
J’ai eu aussi l’occasion de participer à un triathlon le lendemain de ma rencontre de terrain : un petit triathlon (et non un Petit Trianon ^^) qui était organisé par une grande famille en vacances). Ils m’ont invité à y participer ; le lendemain, je suis retourné chez eux, j’ai emprunté un VTT à une collègue (je n’avais qu’un vélo de course chez moi, alors que le triathlon empruntait des pistes forestières et même un peu de chemin de descente et de la rocaille) et j’ai concouru… Natation médiocre, puis je me suis à donné à fond sur le vélo pour passer en tête… Crevaison, enfin plutôt explosion de chambres à air, devrais-je dire (ma collègue avait des chambres à air trop larges pour les fines jantes qu’elle avait, donc le gonflage des pneus n’a pas été très bon !). J’ai continué à pied le parcours des vélos, je me suis arraché, j’ai terminé donc par une course à pied bien plus longue que pour tous les autres (je n’ai pas gagné…). Tout ceci était parti d’un travail de terrain à vélo (ce jour-là de travail de terrain), j’avais pourtant mis le vélo dans la voiture (c’était carrément loin pour un jour de semaine où je devais regarder mon efficience dans les heures de travail, j’ai donc mis le vélo dans la voiture et j’ai fait à vélo les km d’exploration du petit périmètre (des pistes forestières avec le VTT emprunté à ma collègue). Voilà où peut vous amener le vélo-arpentage !
Que des bons souvenirs. S’il fallait recommencer, je le ferais à l’identique en encore plus fou : encore plus de km avalés à vélo !
Pardon, je n’apostrophais pas Alain, mais bien Robin, dans mon 1er commentaire.
J’ai été vélotafeur, mais il m’était interdit d’être véloarpenteur! Voiture de service obligatoire pour faire 3km alors que je venais tous les matins de 15km! Ouf, retour au chomage!
Baillecycliste : … ou quand le fait d’être salarié peut devenir très très con…
Comme baillecycliste, mais en moins pire :
J ai occupé un emploi, où une voiture était partiellement nécessaire (transport sur plus de 10 km, avec légère pente, de plus de 300kg * ), mais les 3/4 des transports faisaient +/-3km avec moins de 60kg :
J aurais bien voulu pouvoir en faire certains en triporteur ou vélo+remorque (voire marche+charette pour les plus courts), mais ce n etait pas prévu (dur de couper l arrière d’un berlingot pour le transporter ^^).
Enfin, j’en profitais pour rouler de façon plus coulée (entre une conduite cool et une « sportive », la sportive est plus dangereuse, et peut entrainer jusqu à 40% de surconsommation), de façon à consommer moins, et à apaiser la conduite de mes suiveurs.
* un vélo/triporteur avec assistance élec (+ remorque) aurait dû faire certains voyages en 2 fois, au lieu d’une, ce qui n’était pas possible, vu le temps laissé.
cependant, financiérement, en payant en heure sup/en prenant un temps partiel pour faire certains voyages, avec une fourgonnette en moins, celà aurait été rentable pour la boite.
Mais, par chance, les coursiers à vélo et autre livraisons à vélo sont en train de se développer, donc les possibilités de bosser à vélo se multiplient 🙂
Très beau texte. En tant que cycliste du week-end je dois confirmer que ça permet de découvrir tellement de beaux paysages. Et on peut emprunter des routes et sentiers où on ne pourrait pas accéder en voiture !!
En ce qui concerne les paysages, je vais apporter un témoignage sur la marche puisque j’en reviens (un grand samedi de marche, avec quand même une diversité de paysages visuels). Mais la « supériorité » de la marche sur le vélo « s’entend » dans les paysages sonores. Un paysage sonore ne s’entend jamais aussi bien que quand on marche. A vélo, ma vitesse et donc le souffle de l’air m’empêchent d’entendre toute la symphonie animale. Pour avoir passé un week-end sans toucher une seule fois le vélo (très très rare pour moi !), je peux, pour le moins, dire que c’est différent, la marche et le vélo (ce que je savais déjà, mais cet argument du paysage sonore vient s’ajouter au jeu des différences entre marche et vélo).