Ainsi, la catastrophe annoncée n’a pas eu lieu; le « big bang » des horaires de train s’est produit, selon un communiqué de la SNCF, sans anicroche majeure. Tant mieux et il faut rendre hommage au travail des cheminots qui y ont œuvré. Mais au-delà de l’aspect immédiat, ce « big bang » se produit dans le contexte d’une crise du système ferroviaire français, qui affecte son mode de gouvernance comme les moyens dont il dispose.
La révolution des horaires est due, d’après les pouvoirs publics, à la nécessité de faire de gros travaux et à celle de cadencer la circulation des trains. Les usagers du système ferroviaire sont en fait les victimes d’un effet de retard : pendant des années, la maintenance du réseau a été insuffisamment assurée, comme le dénonçait le rapport Rivier il y a six ans. Les travaux à venir ne sont en fait qu’un rattrapage et nous sommes loin d’une véritable relance du transport ferroviaire.
Quant au cadencement, la France est en retard par rapport à ses homologues européens. La SNCF a longtemps été rétive à ce concept, considérant qu’il ne convient qu’à des pays denses comme la Suisse ou l’Allemagne.
Mais dans ces deux pays, le cadencement a été mis en place il y a trente ans, à une époque où le réseau était beaucoup mieux entretenu que le réseau français aujourd’hui, et dans le contexte où une entreprise unique gérait l’ensemble des opérations ferroviaires de manière intégrée. Deux conditions qui, non réunies aujourd’hui, nous font dire que l’avenir du cadencement à la française risque de s’avérer un concept de riche sur un réseau de pauvre.
La crise est aussi liée au mode de gouvernance. En quelques années, la compétence de gestion du réseau ferré, jadis relevant de la seule SNCF, a été totalement dépecée : RFF gère désormais le réseau conjointement avec la SNCF, l’EPSF gère la conformité des installations et du matériel aux règles de sécurité, l’ARAF régule, des sociétés concurrencent la SNCF dans le transport de marchandises. Les pouvoirs publics veulent désormais saucissonner la SNCF, en en séparant les activités de gestion des gares et de régulation du trafic. Ce faisant, l’État créé, de manière feutrée, les mêmes problèmes que dans les chemins de fer britanniques il y a quinze ans : des structures rivales, des « frères ennemis du rail » selon l’éditorialiste des Échos.
On déstructure lentement mais sûrement un service public, certes imparfait mais au savoir-faire éprouvé, pour la venue d’une concurrence dont les bienfaits se font attendre. Qu’il suffise de rappeler qu’en dix ans, le trafic de marchandises a baissé de moitié.
Or le big bang des horaires a aussi pour but de préparer l’arrivée de la concurrence : coïncidence et symbole à la fois, le premier train de voyageurs semi-privé est parti de la Gare de Lyon ce même dimanche. La concurrence dans le transports de passagers risque toutefois d’arriver en pure perte, peu de concurrents étant prêts. Selon l’expression de Sophie Boissard, dirigeante de la SNCF, la concurrence dans le transport de passagers, c’est le désert des tartares ; j’ajouterai la question : y aura-t-il seulement des tartares ?
De nombreux citoyens, élus et usagers, continuent de manifester leur mécontentement par des blocages de trains et des grèves de billets. La modification des horaires a en effet des conséquences sur la vie quotidienne des gens lorsqu’elle se solde par des suppressions d’arrêts, des horaires modifiés voire des suppressions de trains. Au-delà des aspects immédiats et locaux, la grogne des usagers est aussi le symptôme des impasses de la politique ferroviaire de la France.
Vincent Doumayrou,
Auteur de La Fracture Ferroviaire, Editions de l’Atelier, Paris, 2007. Préface de Georges Ribeill.
Photo: Guillaume Bonnaud pour Sud-Ouest
Quel plaisir de vous retrouver M. Doumayrou! Toujours aussi intéressant!