Deux experts démissionnent du Conseil national de la sécurité routière qu’ils jugent « en perdition ». Claudine Perez-Diaz, sociologue et chargée de recherche au CNRS, et Claude Got, professeur de médecine spécialiste de l’accidentologie, annoncent dans une tribune au journal « Le Monde » leur décision de démissionner du comité des experts auprès du Conseil national de la Sécurité routière, estimant que l’organisme « n’assume pas ses fonctions ».
Les deux chercheurs regrettent l’abandon de l’abaissement de 90 à 80 km/h de la vitesse sur route, le manque de moyens alloués aux radars mobiles et le manque de volonté politique pour réduire la mortalité routière. Les mots des deux chercheurs sont très durs, ils parlent « d’incompétence », de « surdité », « d’obstination dans l’erreur », de « dérives », de « démagogie », de « pseudo-démocratie », de « désastre », de « défaillances »…
En cause, Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, accusé d’avoir ridiculisé le Conseil national de la sécurité routière, et Ségolène Royal, ministre de l’écologie et des transports, « dont l’inexistence dans ce débat est flagrante« . Ambiance…
Nous publions ci-dessous leur tribune, parue dans Le Monde daté du 18 mars.
Tribune de Claudine Perez-Diaz, sociologue et chargée de recherche au CNRS, et Claude Got, professeur de médecine spécialiste de l’accidentologie
« Refusant d’être associés sans réagir à l’incompétence, la surdité et l’obstination dans l’erreur, nous démissionnons du comité des experts auprès du Conseil national de la sécurité routière. Quand des organisations n’assument pas leurs fonctions, il faut expliquer pourquoi et les quitter. Toute autre attitude relève d’une forme de compromission irresponsable conduisant à la culpabilité.
Pour la première fois depuis douze ans, la mortalité annuelle sur les routes a progressé de 171 tués au cours des treize derniers mois. L’objectif gouvernemental d’abaisser à 2 000 la mortalité sur les routes en 2020 ne sera pas atteint avec les méthodes de gestion actuelles, et l’accident de la route demeurera la première cause de mort des jeunes adultes. A ces disparitions s’ajoute un nombre équivalent de handicaps graves.
La recette du succès est connue
L’insécurité routière exprime dans des délais courts la qualité ou les défaillances du fonctionnement politique. En soixante ans, la mortalité au kilomètre parcouru a été divisée par dix-sept. Plus de 100 tués pour 1 milliard de kilomètres parcourus au début des années 1960, et 5,8 en 2013. Ces résultats prouvent que la recette du succès est connue, l’échec est donc insupportable, car il exprime la passivité et l’incompétence des gestionnaires.
Le Conseil national de la sécurité routière (CNSR) devait se prononcer le 16 juin 2014 sur l’abaissement de 90 à 80 km/h de la vitesse maximale sur le réseau non autoroutier. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, est intervenu avant la présentation du rapport de la commission spécialisée du CNSR qui devait précéder le débat et le vote. Il a annoncé qu’il n’adopterait pas cette mesure et qu’il ferait une expérimentation sur quelques tronçons de routes accidentogènes. Or, une application aussi restreinte ne pouvait ni améliorer significativement la sécurité routière, ni contribuer à améliorer des connaissances établies depuis des décennies avec des méthodes plus adaptées. En refusant d’écouter avant de décider, le ministre a ridiculisé le CNSR – il a écarté la mesure qui permettait de renouer avec de bons résultats et d’atteindre l’objectif fixé par le gouvernement. La démagogie a prévalu sur l’efficacité.
Une erreur isolée peut se corriger. L’espoir est faible quand elle s’intègre dans un dispositif de gestion qui s’est dégradé année après année.
En 1972-1973, à la demande du premier ministre, Jacques Chaban-Delmas, un petit groupe de gestionnaires et d’experts a consulté, observé ce qui avait été fait dans d’autres pays, puis proposé l’obligation du port de la ceinture de sécurité et des limitations de vitesse, notamment 90 km/h sur le réseau non autoroutier. La mortalité sur douze mois s’est abaissée de 17 022 tués de fin novembre 1973 à 14 296 fin novembre 1974.
En 2002, Jacques Chirac a fait de la sécurité routière une priorité. Après une journée de consultation (Etats généraux de la sécurité routière du 17 septembre 2002), un groupe limité de conseillers a su faire de bons choix et les mettre en œuvre avec des gestionnaires compétents : le dispositif de radars automatiques, la fin des indulgences abusives et la réduction des tolérances sur les excès de vitesse ont exprimé leur efficacité. La mortalité sur les routes a été divisée par deux en moins de dix ans, passant de 8 000 à moins de 4 000.
Le contraste est évident entre de telles pratiques et la mise en œuvre d’une pseudo-démocratie consistant à multiplier les conseils, comités et commissions, dont les niveaux de compétence et de représentativité sont à géométrie variable. La politique actuelle de sécurité routière associe toutes les dérives d’une organisation qui ne peut produire que des conflits et aboutir à des impasses décisionnelles.
Mesures contraignantes
L’erreur du gouvernement a été de croire que les bons résultats de 2013 relevaient de la poursuite automatique de la tendance des années précédentes. Or, les progrès réguliers mais lents de la sécurité routière sont assurés par l’évolution des véhicules et des infrastructures. Par contre, les actions politiques visant à modifier le comportement des usagers sont d’une autre nature. Leur pertinence se traduit par des ruptures parfois importantes, obtenues dans des délais courts. Elles ne sont pas produites par des campagnes de communication visant à « sensibiliser » les usagers, dont les effets sont éphémères. En ces matières, la responsabilisation individuelle est connue pour être de peu d’efficacité. Ce sont les annonces de mesures crédibles et contraignantes qui ont fait leurs preuves partout dans le monde, comme cela a été le cas en France fin 1972 et fin 2002.
Faute d’analyse fine du retournement de la situation entre 2013 et 2014 par un observatoire de la Sécurité routière dépourvu de réactivité et aux moyens insuffisants, les gestionnaires n’ont pas compris l’épuisement rapide de l’effet d’annonce de la mise en service d’une nouvelle génération de radars mobiles opérant à partir de véhicules banalisés en déplacement. Cette nouvelle technique, capable de réduire l’efficacité des avertisseurs de radars, n’a pas été mise en œuvre avec des moyens suffisants. Dès la fin 2013, les usagers les moins respectueux des règles avaient compris que le risque d’être contrôlés par ces nouveaux radars mobiles était faible. En conséquence, la dégradation des résultats est devenue indiscutable à partir de mars 2014. Elle imposait la définition de nouvelles mesures efficaces qui ne sont pas venues. Faute de comprendre les ressorts d’une politique de sécurité routière pertinente, les décideurs politiques ont cru pouvoir ne rien faire et attendre. Leur erreur est maintenant d’une gravité évidente.
La construction de ce désastre n’est pas attribuable au seul désaccord entre le ministre de l’intérieur qui a en charge la sécurité routière et le CNSR. La perte du caractère interministériel de la gestion de l’insécurité routière a joué un rôle important. Pendant la construction du succès de 2003-2006, au moins deux comités interministériels se tenaient chaque année. Il n’y en a pas eu un seul depuis mai 2011. C’est le signe évident que la lutte contre l’insécurité routière n’est plus une priorité politique gérée au niveau gouvernemental.
L’inexistence de la ministre ayant en charge l’écologie et les transports dans ce débat est flagrante. Alors que la France sera au cœur du processus de sauvetage du climat à la fin de cette année et que les transports représentent un tiers de la consommation de produits pétroliers, la loi sur la transition énergétique ne contient aucune mesure de réduction des vitesses maximales sur les réseaux hors agglomération, alors qu’il s’agit de la mesure la plus immédiatement efficace que l’on pouvait adopter pour réduire la production de dioxyde de carbone. Les synergies entre les effets sur le climat et sur la sécurité routière n’ont pas été exploitées, faute d’une vision interministérielle des problèmes.
Echec des pouvoirs publics
Le déficit de gestion a été d’autant plus inévitable que ce désintérêt se greffait sur une tare ancienne de notre fonctionnement politico-administratif, qui est la peur de l’évaluation des politiques publiques. L’évaluation est une forme de contrôle de qualité, elle ne peut se limiter aux aspects financiers du fonctionnement de l’Etat. Quand une loi rend possible l’usage des éthylotests antidémarrage en tant que peine complémentaire destinée à prévenir la conduite sous l’influence de l’alcool, il est indispensable de produire un bilan de l’application de la mesure au niveau départemental. Quatre ans après l’adoption de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, ce bilan n’est toujours pas disponible. Les exemples de ce type sont multiples.
Les défaillances de l’Observatoire national de la sécurité routière se sont accumulées au cours des dernières années. Après deux années d’échec des appels d’offres sur les mesures des vitesses de circulation, déterminants principaux de l’accidentalité, de nouveaux dispositifs de mesure ont été mis en place, sans validation par le comité des experts, alors que ce dernier « oriente la méthodologie des recueils et analyses statistiques ainsi que des études de l’observatoire.Il peut également être consulté sur la qualité scientifique des publications mises à la disposition du public en matière de sécurité routière (article 7 du décret du 28 août 2001) ». Il y a dix ans, l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR) avait à gérer un nombre d’accidents deux fois plus important, et l’analyse du bilan annuel était disponible cinq à six mois après la fin de l’année civile. Celui de 2013 est encore sous une forme purement descriptive, intitulé « Recueil de données brutes – document de travail », quatorze mois après la fin 2013.
Le comité des experts a également sa part de responsabilité dans l’échec de la définition d’une politique publique correspondant aux objectifs gouvernementaux. Au lieu de privilégier le meilleur dispositif possible, simple et à l’efficacité assurée, il a voulu faire plaisir à tout le monde. Retenir l’abaissement à 80 km/h de la vitesse maximale sur le réseau non autoroutier, où surviennent la moitié des accidents mortels, était un conseil pertinent. Indiquer ensuite la possibilité d’expérimenter la mesure sur une partie du réseau était une erreur, car elle laissait penser qu’une telle expérimentation avait un intérêt scientifique, alors qu’il ne pouvait être que marginal. Créer des comités d’experts en mélangeant des spécialistes de la mise en œuvre de décisions opérationnelles et des spécialistes en développement des connaissances est une source de conflits.
Les savoir-faire et les objectifs sont différents. Le chercheur qui vise à faire émerger des connaissances nouvelles teste des hypothèses, il organise des études, son calendrier n’est pas celui du politique. Lorsqu’il accepte un rôle d’expert, un chercheur doit privilégier la prise de décision et identifier les mesures capables d’associer efficacité et possibilité de mise en œuvre effective. En se limitant à l’accroissement des connaissances, il exprime l’incompréhension du rôle de conseiller en décision.
Une dégradation de cette gravité peut-elle être inversée au cours de l’année à venir ? Il est possible d’avoir de bons résultats mensuels, notamment par comparaison avec les mauvais mois de mars, avril et mai 2014, mais la politique actuelle ne permettra pas d’abaisser la mortalité à 2 912 à la fin de l’année 2015, ce qui correspondrait à l’étape intermédiaire de l’objectif gouvernemental de 2 000 tués en 2020. Nous quittons donc ce dispositif en perdition pour agir au sein d’autres structures, notamment associatives, avec une parole libérée de tout devoir de réserve. »
Que répondent les non-démissionnaires à cette démission ?
A priori leur départ semble bien justifié…Mais c’est parfois un peu compliqué un groupe d’humains…Tout le monde n’a pas la possibilité d’écrire une tribune dans le Monde…
D’ailleurs à quand une tribune dans le vieux journal de Carfree ? Ca ferait grand bien !
La première violence routière, c’est ce constat:
l’automobiliste n’est pas pourvu de morale.
Il est cet animal stupide qui ne réagit qu’au bâton, incapable de contrôler sa conduite par empathie.
Je n’y croyais longtemps pas mais je m’y résous.
Le scénario du film « Mad Max » est crédible.
Une bande de dégénérés agglomérée autour d’une flaque de merde se dézinguent quand l’herbe verdit et que les oiseaux chantent.
J’ai visité dernièrement un petit pays (pourtant en Amérique latine, pas a priori une référence pour la sécurité routière) où la vitesse maximale autorisée est de 80 kmM/h-sur la plupart des routes, c’est plutôt 60 km/h.
Lorsqu’on revient en France avec certains tronçons aménagés comme un circuit des 24 heures du Mans par nos chers ingénieurs de la DDE, -à quoi çà sert dans ces conditions les panneaux de limitation, je vous le demande, la tentation est là pour l’automobiliste moyen d’appuyer sur le champignon- on perçoit davantage que lorsqu’on n’a pas l’occasion de comparer avec l’étranger la vitesse élevée du flux automobile. Cette vitesse est globalement excessive, mais face au lobby auto-moto-poids lourds (un Christian Gérondeau en ce qui concerne ce dernier fait littéralement la pluie et le beau temps au Ministére des Transports), les contestataires font pâle figure.