Dubaï-sur-Loire

Digues, arbres et urbanisme en zone inondable (1ère partie)

Dans la série des Grands Projets Inutiles Imposés (GPII), on avait les autoroutes, les aéroports, les LGV, les LTHT, les méga-stades, les méga-centre commerciaux… A cette vague actuelle de surenchère dans la démesure, faut-il ajouter aujourd’hui la géo-ingénierie des fleuves?

En toute logique technique non, sauf peut-être à Dubaï sur Loire. Dans les premiers cas typiques de GPII, le saccage des paysages naturels est immédiatement associé à une construction aussi monumentale qu’inutile. Dans le second cas, la dévastation spectaculaire de l’écosystème fluvial n’est pas directement suivie de construction, mais survient dans le contexte de brutale poussée urbanistique en zone inondable du Val de Loire.

Nul n’ignore que la ville de Tours est construite entre un fleuve et une rivière, la Loire et le Cher, dans le lit majeur de la Loire et, à ce jour, nul ne sait où et quand va s’arrêter le second rush urbain débuté en l’An 2000 avec le classement du Val de Loire au patrimoine mondial de l’Unesco.

Seul repère mesurable pour avoir une tendance forte fixant le contexte, « l’erreur monumentale » du quartier des Deux Lions. Cette technopole construite sur 5 mètres de gravas en zone inondable réunit en un rush la laideur architecturale et l’horreur urbanistique et, pour comble de provocation, elle est sans honte labellisée haute qualité environnementale.

En un temps record, les édiles ont détruit une zone humide, la plaine alluviale du Cher, comblé la sortie de ville pour la fusionner dans une conurbation ininterrompue de 15 kilomètres jusqu’à Montbazon sur la Nationale 10. D’autres projets de prestige, caprices des édiles et de toute évidence socialement inutiles au sein même de la ville sont prêts à sortir des cartons.

Nous ne savons rien de ce qui se manigance dans les arcanes du pouvoir régional, un Edward Snowden nous serait bien utile pour comprendre.

Dans ce contexte de frénésie bâtisseuse, comment comprendre les déboisements massifs du mois d’octobre sur les ilots de la Loire ? Sont-ils symptomatiques et prémonitoires de rushs urbanistiques futurs et zones à risque ou relèvent-ils d’une reviviscence de la vieille routine mercantile des « aménageurs massacreurs » de la grande époque des Trente Glorieuses?

En attendant une fuite d’information réellement éclairante sur ce qui se trame, la question est de saisir la portée historique du chantier de déboisement et d’arasement des ilots entrepris sur la Loire et d’en éclairer la signification anthropologique. Dans notre démarche critique, nous en sommes réduits à la mener sur la base des « causes actuelles » : faire des hypothèses à partir de ce que l’on sait et voit tous les jours à Tours et extrapoler.

L’arbre du crime a été abattu

Nul doute possible, une majorité silencieuse a dû lancer un grand cri de soulagement : « nous voici hors de danger, désormais protégé de la furie des eaux ; le chêne de la Chapelle-aux-Naux a été abattu ».

Au cours de l’été 2013, cet événement inattendu a bouleversé le Landerneau naturaliste tourangeau. Moi-même, si durement accoutumé à voir des milliers d’arbres tombés pour les « embellissements Buren » de ma ville, j’ai été profondément attristé en apprenant la nouvelle. Le choc fut encore plus violent sur les lieux. Arrivé sur la digue, mon regard sur l’horizon voyait l’immensité du ciel fusionner avec toute l’étendue de la plaine alluviale. Le chêne centenaire avait bien disparu.

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Son crime ? Il poussait sur la digue trop près du lit mineur du grand fleuve sauvage. Les services de l’État, guidés par les lumières de leur science hydrologique, ont fait leur devoir dans « l’intérêt général ». Par cet acte, le risque de catastrophe naturelle a été repoussé hors du siècle actuel, les statisticiens calculent le recul du risque dans le futur.

A l’échelle humaine, non éclairée par le paradigme sécuritaire des digues, il y avait un autre regard sur le coupable. Cet arbre était éminemment remarquable, inscrit dans les mémoires comme un repère dans le paysage local du Fleuve Royal. A cet endroit de la rive gauche, la digue s’étire comme une ligne de fuite vers l’horizon où le bleu du ciel fusionne avec les verts, les ocres et les jaunes de la plaine alluviale.

Le chêne poussait là, il n’était pas majestueux, mais à cet endroit il s’élançait droit vers le ciel et avec son houppier parfait il avait conquis une force de symbole. Il était l’hôte du lieu et remplissait pleinement son rôle. Pour les naturalistes habitués de cette rive, venant régulièrement observer la faune sauvage sur la Loire, les limicoles en migration et les pêches spectaculaire du balbuzard, ce chêne était un point de rendez-vous, un lieu de rencontre, d’échange d’expérience dans les observations et parfois de retrouvailles. Pour cette population de citadins, ce chêne était comme une croisée des chemins, un point d’arrêt et de dialogue sur les sentiers de la civilisation rurale.

Parmi tous ces paisibles promeneurs du dimanche, naturalistes, amoureux des choses de la nature habitués du lieu pour s’émerveiller des beautés sauvage de la Loire, nul ne pouvait imaginer que cet arbre puise un jour devenir complice d’un caprice du fleuve et se retrouver impliqué dans un crime contre l’humanité : sabotage de digue par les racines, seule la science hydrologique peut le savoir.

« La Loire dernier grand fleuve sauvage d’Europe », c’est pour les romantiques. Le bras armé de l’État éclairé par la Science défend l’ « intérêt général » .

Blindé dans sa logique sécuritaire prédictive, la Direction Départementale du Territoire avance souveraine et s’il y a un jour catastrophe naturelle, sûre de sa science elle pourra toujours dire « nous n’avons pas suffisamment abattu d’arbres le long de la Loire »

Faut-il se soumettre à cette logique totale puisqu’elle invoque pour elle « l’intérêt général » ?

N’y a-t-il pas abus de pouvoir ? Et quel est le rôle des associations de protection de la nature ?

Il y a là un grave problème anthropologique à la fois politique et éthique face à un arbitraire technique construit sur la science. Si les associations naturalistes et le conservatoire des espaces naturels dans leur action de protection de la nature n’assurent pas leur second rôle majeur de contre-pouvoir, si ces structures ne s’élèvent pas au niveau politique il faut craindre le pire dans les années à venir.

Aux temps jadis il arrivait qu’on rende justice sous un chêne, qui peut nous dire aujourd’hui si celui abattu sur la digue était réellement coupable de crime ?

A suivre

JMS, Tours novembre 2013

8 commentaires sur “Dubaï-sur-Loire

  1. Rémi

    Bonjour,

    Article intéressant, mais question, idiote peut-être, quel rapport direct ou indirect a-t-il avec le blog « carfree » ? (mise à part que l’auteur de l’article est sont fondateur 😉 )

  2. Avatar photoCarfree

    Rémi, je pense que tu dois confondre, l’auteur de cet article, Jean-Marc Sérékian, n’est ni fondateur ou même co-fondateur de Carfree France….

    Sinon, pour l’autre aspect de ta remarque, c’est un point déjà abordé plusieurs fois, mais il n’est jamais inutile de le rappeler. Carfree France est un site centré sur la mobilité sans voitures ET sur l’urbanisme en général, dans la mesure où l’urbanisme, l’aménagement du territoire, la planification, etc. ont un impact sur la mobilité.

    Pour le reste, nous ne nous interdisons pas d’aborder de temps en temps d’autres thèmes en lien plus ou moins périphérique, en fonction des différents auteurs et rédacteurs qui ont l’habitude de publier sur Carfree France.

  3. Rémi

    Désolé, effectivement j’ai lu un peu vite sa bio!
    Sur le point de l’urbanisme/mobilité, je suis tout à fait d’accord, notamment pour les problématiques d’étalement urbain.
    En ce qui concerne le sujet du jour, je ne vois en tout cas aucune problématique soulevée liée à la mobilité.

  4. struddel

    L’écologie environnementaliste est forcément liée de près ou de loin aux dérives de l’automobile , au progrès technologique et aux grands travaux humains.

  5. lynx

    « Si les associations naturalistes … dans leur action de protection de la nature n’assurent pas leur second rôle majeur de contre-pouvoir, si ces structures ne s’élèvent pas au niveau politique il faut craindre le pire dans les années à venir. »
    Bah oui… Bien d’accord. A titre personnel, originaire d’une autre région, je suis membre de la seule association du département. Elle se porte bien grâce à une équipe dynamique et compétente: action pédagogiques auprès des scolaires, une rubrique régulière dans le quotidien départemental pour sensibiliser un large public et se faire connaître, sorties naturalistes ouvertes au public, actions en justice (association reconnue par l’état), suivi de dossiers, participation aux réunions officielles en préfecture, suivi scientifique sur le terrain, Bilan plutôt flatteur quand on sait que ladite association compte moins de 500 adhérents. Ramené à la population du département cela fait 0.1%!!!

  6. Alain

    Rémi: on pourrait ne voir aucun rapport entre l’article de Jean-Marc et la mobilité ou l’étalement de l’urbanisme. Mais à Tours, rien n’est fait au hasard quand on abat des arbres, et en général des projets titanesques et inutiles ne sont jamais très loin. Ne parle t-on de zones sauvages? En fait, le maire de Tours a commencé à « ouvrir la ville sur le fleuve ». On a donc mis en place une guinguette l’été sur les bords de Loire, on parle de construire 2 hôtels de luxe en face du fleuve, on parle d’une cité de la gastronomie sur une île sur la Loire. Bref, le développement et l’artificialisation des espaces naturels et sauvages est en cours. L’article a donc toute sa place.

  7. Rémi

    Je ne critique pas la cause, je ne connais pas non plus Tours suffisamment pour établir une quelconque critique !
    Je me posais juste la question de la place de ce type d’article sur le blog, de référence me semble-t-il, de la vie sans voiture. Les articles qui touchent le cœur de la thématique ne risquent-ils pas d’être noyés dans la « timeline » du blog ? La problématique ayant apparemment déjà été abordée, il est temps de clore ce débat!

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