Livraisons à vélo

Qui dit livraison de marchandises à vélo pense immédiatement aux limites de la bicyclette par rapport à la contenance de camions ou même de camionnettes. Or, les modèles récents de bicyclettes, type vélos cargos, peuvent transporter facilement jusqu’à 300 kilogrammes de marchandises, et parfois même jusqu’à 500 kilogrammes avec une assistance électrique.

Dans les centres villes, particulièrement, le dernier kilomètre de livraison est source de nombreuses nuisances. Sur ce segment, les marchandises livrées font très souvent
moins de 500 kilogrammes et sont, de plus, transportées dans des véhicules motorisés surdimensionnés, très souvent à moitié vides.

En termes de nuisances, le transport de marchandises en milieu urbain représente 15% à 20% des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) contre 30% pour les voyageurs, le reste étant imputable à d’autres secteurs que les transports. En matière d’émissions de polluants, le transport de marchandises est responsable de 30% des émissions de NOx (oxydes d’azotes) et de 20% des émissions de particules (PM10). C’est donc un secteur important sur lequel il est nécessaire d’agir (1).

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Selon l’association Départements et Régions Cyclables, 42% des marchandises transportées en ville sont en fait des marchandises légères qui ne nécessitent pas obligatoirement des camions (2). Cela offre un marché gigantesque pour le développement de la livraison à vélo.

L’ECF (European Cyclists Federation) a mené une étude montrant que 25% des marchandises et 50% des marchandises légères pourraient dès aujourd’hui être transportées à vélo en ville. Mieux encore, l’Institut allemand du transport a observé qu’à Berlin 85% des livraisons pourraient être effectuées par vélos-cargos.

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Une autre enquête menée à Breda (Pays-Bas) a fait ressortir que sur les 1.900 camions qui transitent chaque jour dans la ville, moins de 10% des marchandises livrées nécessitent d’être effectivement transportées par camion et 40% des livraisons tiennent dans une boîte.

Aujourd’hui, des entreprises de livraison à vélo se développent un peu partout en Europe. En examinant attentivement le potentiel de la logistique cycliste, il apparait clairement que cette approche devrait se développer bien au-delà d’une simple activité de niche.

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Une étude anglaise pour la ville de Londres a pu lister les très nombreux avantages du développement de la livraison de marchandises à vélo (3):

  • Des coûts moins élevés qu’avec un véhicule motorisé : un prix d’achat inférieur, des coûts de gestion moins importants (taxes, assurances, essence, entreposage) et pas de coûts de parking. GobaX, un fabricant allemand de vélos cargos, a même pu calculer qu’une pizzeria pourrait économiser 6.300 euros chaque année en choisissant de livrer ses pizzas à vélo plutôt qu’en voiture. Le projet européen CycleLogistics a également produit une analyse économique similaire en faveur des vélos cargos.
  • Des livraisons rapides, même en cas de congestion : les bicyclettes sont beaucoup
    moins concernées par les difficultés du trafic automobile que les camions et camionnettes et sont par conséquent plus rapides et plus fiables.
  • Les vélos sont autorisés même dans les zones sans voitures : des ruelles étroites, des rues piétonnes ou interdites d’accès pendant la journée ? Aucun problème pour les vélos cargos qui peuvent venir livrer au plus près du destinataire final.
  • Un moindre impact environnemental : via notamment la réduction des émissions de polluants et des émissions de CO2. L’Université de Westminster a calculé une réduction potentielle de 62% de ces dernières dans le centre de Londres.

  • Une image écologique : c’est un atout important, particulièrement auprès de consommateurs de plus en plus exigeants en matière d’environnement.

  • Un facteur de cohésion sociale : aucun permis de conduire n’est requis pour conduire un vélo! La livraison à vélo peut créer des dizaines de milliers d’emplois en Europe, en particulier à destination de personnes peu ou pas diplômées, très souvent exclues quand elles ne possèdent pas le permis de conduire.

  • Une meilleure qualité de vie : la livraison à vélo ne provoque pas de pollution sonore, est moins dangereuse pour les citadins que la multiplication des camions ou camionnettes, et fournit enfin plus d’espace pour permettre à tout le monde de circuler.

velo

Au vu de tous les avantages procurés par la livraison des marchandises à vélo, on est donc en droit de s’interroger sur leur encore trop faible développement en France et en Europe.

En fait, il n’y a pas de secrets. Les pays les plus en avance, comme les Pays-Bas ou le Danemark par exemple, sont ceux qui ont très tôt fait le choix politique de créer une vaste infrastructure cyclable.

C’est pourquoi, c’est bien la mise en place d’une politique cyclable volontariste qui apparaît comme le préalable nécessaire à la généralisation de la pratique vélo comme mode de déplacement, puis comme facteur de développement de multiples activités de livraisons à vélo.

Lire aussi :  Vers un effondrement du transport ferroviaire?

L’infrastructure cyclable sert autant aux cyclistes quotidiens qu’aux professionnels (coursiers à vélo, livreurs à vélo).

Le développement des aménagements cyclables participe donc directement à la création d’emplois dans le secteur de la logistique vélo.

L’exemple français illustre tout à fait ce constat. Ainsi, l’entreprise de livraison à vélo La Petite Reine fait à la fois figure de précurseur et de leader. C’est de loin le plus grand projet de livraison à vélo en Europe. L’opération a commencé à Paris en 2001 avec un chiffre d’affaires de seulement 28.000 euros. L’entreprise a bénéficié d’aides publiques au départ et dès 2007, elle opérait déjà dans quatre villes (Paris, Bordeaux, Dijon et Rouen), avec 50 salariés, 53 vélos et un chiffre d’affaires de 1,3 million d’euros. Selon leurs propres calculs, ils transportaient en 2007 700.000 paquets par an, chiffre qui dépasse aujourd’hui le million de paquets par an. Désormais, ils utilisent environ 60 vélos de fret dans toute la France, à Lyon, Bordeaux, Rouen et même à Genève en Suisse.

En fait, leur développement semble avoir suivi la prise en compte du vélo comme mode de déplacement, à Paris et dans les villes de province.

De nombreuses possibilités d’utilisation des vélos pour le fret font aujourd’hui leur apparition, en particulier dans les centres urbains congestionnés par la voiture, où le stationnement est cher et les temps de trajet en transports motorisés sont lents. L’argument le plus puissant pour l’utilisation des vélos pour la livraison de marchandises pour la majorité des entreprises est la baisse du coût par rapport au transport motorisé.

Le potentiel de l’utilisation du vélo pour le fret et le transport de marchandises semble donc immense. Selon l’étude londonienne déjà citée, on estime que la moitié de toutes les marchandises légères transportées, et un quart de toutes les marchandises pourrait être transporté par le vélo en milieu urbain.

Bien mieux, si on observe le taux de motorisation à l’échelle européenne selon le motif de déplacement (à partir de la base de données TEMS sur 322 villes européennes), on constate l’écrasante domination du transport motorisé pour ce qui concerne le transport de marchandises.

Alors que les modes de déplacements alternatifs à l’automobile peuvent être assez importants pour tous les motifs de déplacement, seul le transport de fret et de marchandises reste pour l’instant à l’écart du phénomène.

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Le graphique situé ci-dessus montre ainsi les possibilités immenses du vélo pour la livraison de marchandises. Environ 99% des marchandises transportées en ville par des professionnels le sont encore par des véhicules motorisés.

Alors que le vélo connaît un développement important depuis maintenant quelques années, le fret et le transport de marchandises demeurent encore à l’écart du phénomène, laissant entrevoir des possibilités immenses de développement.

Or, le futur risque de ne pas être très amical pour les camions et les camionnettes de livraison en ville. La tendance actuelle fait que les centre-villes du futur seront soit interdits aux véhicules motorisés ou en tout cas aux véhicules de livraison motorisés, soit le coût de ces livraisons motorisées deviendra exorbitant, avec le prix de l’essence en hausse, le stationnement, les taxes environnementales, etc.

Par ailleurs, les camions ont de moins en moins la cote auprès des politiciens et des décideurs. Outre la congestion, la pollution et l’usure des routes, ils tuent des gens et les cyclistes en particulier.

Dans le même temps, les modes motorisés vont être de plus en plus en concurrence, à la fois entre eux et avec les cyclistes, pour ce qui concerne la répartition d’un espace public de plus en plus convoité.

Près de 70 villes en Europe ont signé la Charte de Bruxelles, appelant à une augmentation de la part modale du vélo à 15% à travers l’Europe (4).

Cela se traduira par plus de 70 millions de cyclistes sur les routes de l’Union Européenne, ayant plus que jamais besoin d’infrastructures cyclables de qualité qu’il faudra bien prendre sur l’espace jusqu’ici réservé aux modes motorisés.

La logistique du vélo a donc l’avenir devant elle. Mais il faut commencer à prendre sa place dès maintenant.

livre-vélogistique

Vélogistique
Marcel Robert
Carfree France Editions, 2013
400 photos, 166 pages, 100 villes, 5 continents

>> Accéder à la page du livre

Notes

(1) TRANS FLASH, Bulletin d’information des déplacements urbains départementaux et régionaux, n°386, novembre 2013.
(2) departements-cyclables.org
(3) Cycle freight in London: A scoping study, mai 2009.
(4) http://www.ecf.com/manifesto/charter-of-brussels/

4 commentaires sur “Livraisons à vélo

  1. pim

    Lorsque je vais chercher un colis en point relais à 800m de chez moi, de taille 40x50x60cm ou plus, le commerçant et les autres clients me regardent bizarrement avec un sourire en coin attacher mon colis sur mon porte bagages avec des tendeurs…

    Lorsque je ramène un panier (1 ou 2 sacoches velo) plein de 10-15 kg de fruits et légumes et autres victuailles (meme des oeufs) du marché sur 4-5km, mes voisins ont la même réaction, encore plus si j’y ajoute ma fille à l’avant (sur siège). Dans ce dernier cas, c’est plutôt un regard critique qui voudrait presque dire : « cet homme là se rend il compte du danger qu’il fait courir à son enfant? Pauvre petite! ».

    Décidément, l’ère du remplissage de coffre de bagnole au supermarché, avec un enfant ligoté à l’arrière n’est pas révolue dans l’esprit populaire !

  2. Vincent

    S’ils avaient deux neurones en fonctionnement, ils sauraient que 1) les déplacements en zone urbaine* font moins de quelques kilomètres** et 2) le TCO d’une bagnole se monte à plusieurs milliers d’euro par an.

    Rouler à vélo permet donc de se payer des trucs plus plaisants que de cramer du pétrole dans les embouteillages.

    Et encore, 40x50x60 : y a de la marge 🙂

    https://fbcdn-sphotos-a-a.akamaihd.net/hphotos-ak-xat1/v/t1.0-9/12348064_10207435210254678_1054047244438392961_n.jpg?oh=a35076192ab0aa667bb149229b5d6e1d&oe=56D6D3E8&__gda__=1461036842_c2f2c37afef09fd447ce613a3f6a12ab

    * 80% des Français vivent en zone urbaine
    ** http://carfree.fr/index.php/2015/10/01/les-embarras-de-paris/

  3. emmp

    Bonjour à tous,

    Bien souvent, dans les articles comme dans les commentaires, je trouve l’argument des déplacements de « 4 ou 5 km en milieu urbain ». Je ne nie pas qu’il est très important, car il concerne la majeure partie des déplacements que plein de monde pourrait (et devrait) faire autrement qu’en ouature.

    Mais… (vous attendiez le mais, hein, les aminches ?) ne limitons pas l’usage du vélo à ce secteur. Même quand on n’est pas en ville, on peut pédaler pour tout et n’importe quoi. Ici, à la campagne, je fais tout, ou presque, à vélo : 10 km dans les bois pour aller au marché deux fois par semaine, ce n’est pas surhumain, juste un peu lent les premiers mois, le temps de prendre du mollet et du souffle. Douze kilomètres dans les champs pour aller à la gare, ce n’est pas non plus impossible, même si ce n’est pas quotidien dans mon cas. Il faudra beaucoup prêcher pour que les gens prennent leur vélo en ville, mais plus encore dans les coins isolés où « on ne peut pas se passer de voiture », selon eux.

    Anecdote : lorsque j’ai vidé mon stand au marché de Noël, j’ai mis mes quatre gros cartons dans le charreton attelé au vélo, et j’étais la première à quitter le parking où tous les autres manœuvraient leurs grosses machines et me regardaient avec leurs gros yeux étonnés (ou pris de pitié). Avec de bonnes lumières, j’ai longé la rivière et la forêt où grondaient les sangliers, et je suis arrivée chez moi alors que les autres râlaient encore à la salle municipale du patelin d’à côté…

    Faisons campagne même en campagne !

  4. Catherine Bonne

    bonjour

    Un article qui concerne les 2 roues utilitaires a attiré mon attention et je voulais  vous en faire part :

    suite à la réponse du ministère de l’économie au député P. Vignal de décembre dernier, il a été confirmé que  les entreprises achetant des véhicules deux roues utilitaires n’ont pas le droit de déduire cette TVA
    motif : par nature un véhicule utilitaire est conçu pour transporter des personnes ou à usages mixtes …
    Evidemment cela ne concerne que les entreprises soumises à la TVA (celles générant au minimum 32900€ HT de Chiffre d’affaires en prestations)

    http://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-50403QE.htm

    ou http://www.legifiscal.fr/actualites-fiscales/950-les-2-roues-utilitaires-exclus-de-la-deduction-de-tva.html?print

    Je trouve cette mesure particulièrement injuste pour des véhicules non polluants et qui pour une majorité ne sont pas destinés aux transports de personnes.

    Evidemment, tout le monde ne respecte pas toujours les lois mais nul n’est censé n’ignorer la loi … et déduire la TVA présente un risque en cas de controle fiscal.

    Je ne sais pas si beaucoup sont au courant mais je vous invite à vérifier mon info (auprès d’un expert comptable par exemple) et réclamer cette déductibilité au gouvernement. Tant que vos entreprises ne fonctionnent qu’avec un vélo cela ne vous concerne pas vraiment mais pour ceux qui travaillent à 2 ou 3, la question peut se poser.

    Pas vraiment transition écologique la réponse du ministère.

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