Le vélo, passeur de justice sociale

Il faisait un froid glacial hier matin en pédalant vers mon bureau. Le thermomètre digital de la pharmacie du quartier affichait -5 °C. Après une demi-heure de trajet, je suis arrivé gelé. J’ai repensé aux SDF qui dorment dehors. Je les ai un tout petit peu rejoins, je les ai un peu mieux compris.

Aujourd’hui, je suis fatigué. La route à parcourir à vélo me semble interminable. Je ne lève pas les yeux au-delà de mon guidon de peur de me décourager du chemin restant à parcourir. Je regarde mes pieds et leurs courtes victoires, tour de pédale après tour de pédale. Je me remémore ce vieillard luttant debout contre lui-même avec sa canne, pour gagner quelques mètres. Je me souviens de ce blessé faisant ses premiers pas hésitants à la sortie de l’hôpital. Je les ai un tout petit peu rejoins, je les ai un peu mieux compris.

Mes petits défis à vélo me rapprochent des hommes, de leurs misères et de leurs combats. (1) Aurais-je eu la même attention aux autres, assis bien au chaud sur une banquette moelleuse de voiture, spectateur de pare-brise? Ah ce confort qui endort sournoisement, fabrique d’âmes insensibles et habituées ! Le vélo serait donc un passeur de justice sociale ? C’est un académicien qui l’a écrit : « Obligez ce gras bourgeois qui nie l’injustice sociale à gagner, en plein hiver, son bureau en vélo à sept heures du matin. Au troisième départ, par nuit noire, son point de vue aura changé. » (2)

Loïc TERTRAIS

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Illustration Bertrand Dosseur

(1) Extrait de A Vélo – Editions du jubilé 2014 (Loïc Tertrais – illustrations Bertrand Dosseur)
(2) Jacques de Bourbon Busset – La Nature est un talisman –Editions Gallimard 1966