Montréal adore le vélo. En 2013, le Copenhagenize Urban Cycling Index a placé la métropole québécoise au haut du classement des villes les plus cyclables en Amérique du Nord, et au onzième rang dans le monde. Sur l’île de Montréal, 36 % des adultes et 57 % des mineurs pédalent au moins une fois par semaine, et une centaine de boutiques de vélos vendent près de 90 000 nouvelles montures chaque année.
Mais plus frappante encore est l’ampleur de l’engagement de la part de la ville de Montréal pour le vélo urbain dans les dernières années. Montréal possède présentement l’un des plus grands réseaux de pistes et voies cyclables en Amérique du Nord (plus de 600 km), en plus d’offrir avec ses 5 000 BIXI un très populaire — bien qu’il connaisse de récents ratés financiers — système de vélos en libre-service qui s’est exporté vers neuf autres villes à travers le monde.
Alors que l’automobile demeure le moyen de transport de prédilection dans les villes américaines, il semblerait que Montréal soit devenue l’un des rares endroits où la modeste bicyclette soit en mesure de défier la domination du motorisé.
Cependant, l’avenir n’a pas toujours été aussi radieux pour le vélo à Montréal. Au milieu des années 1970, malgré la popularité croissante du vélo comme moyen de transport, son utilisation dans les rues de la ville est difficile et hasardeuse. À l’hôtel de ville, l’administration du Parti civique de Montréal manifeste peu d’intérêt à accommoder les cyclistes.
Devant cette situation, en 1975, un petit groupe de citoyens se rassemble pour fonder le premier groupe important de défense du vélo urbain au Canada, le Monde à bicyclette (MÀB). Influencé par le mouvement environnemental, l’émergence des groupes cyclistes en Europe et aux États-Unis, et d’autres courants intellectuels et sociaux, le MÀB développe un cocktail singulier d’idées et de tactiques concentrées autour de la promotion des bénéfices sociaux et environnementaux du vélo. Le groupe se distingue rapidement sur la scène publique montréalaise par ses performances de théâtre de rue provocatrices et créatives (des cyclo-drames) de même que par ses appels à une vélorution qui mettrait fin à la domination de l’automobile. En faisant du vélo leur outil de résistance face à la culture automobile et la dégradation de l’environnement, le MÀB ancre sa critique contestataire dans la vie quotidienne, tout en ajoutant un élément de mise en scène spectaculaire à ses manifestations.
Basé sur de nombreux articles de journaux montréalais, des entretiens avec d’anciens membres du groupe, et surtout sur les archives et le bulletin du MÀB, Daniel Ross, doctorant en histoire à l’Université York (Toronto) propose ici un examen de la genèse et des activités du groupe pendant les cinq premières années de son existence. Avec cet article, il souhaite mettre en évidence la manière dont s’écrit l’histoire du militantisme cycliste post-1960. Aujourd’hui, alors que la popularité du cyclisme continue à prendre de l’ampleur en Amérique du Nord et en Europe, plusieurs chercheurs d’autres disciplines commencent à étudier plus sérieusement la place du militantisme cycliste dans les débats contemporains concernant la planification urbaine et l’environnement.
Quelques-uns d’entre eux ont identifié une « contre-culture cycliste » qui reposerait sur l’utilisation du vélo comme outil de contestation politique. Faisant un retour sur le passé, ils ont attribué l’origine de ce mouvement au radicalisme des années 1960.
En s’appuyant sur leur travail, l’auteur cherche, avec cette étude de cas, à souligner l’importance cruciale qu’ont eue les mouvements sociaux et les courants culturels de la période 1965-1975 dans l’origine et le développement de ce militantisme cycliste. Le Monde à bicyclette et d’autres groupes ailleurs en Amérique du Nord ont d’abord connu un essor grâce au nombre croissant de cyclistes et au manque d’infrastructures appropriées pour la pratique cycliste dans la ville; mais ils ont également été fortement influencés par le contexte de mobilisation citoyenne et l’émergence de nouvelles visions – parfois radicales – de la ville dans lesquels ils ont été originalement formés. Plus largement, l’auteur considère que cette étude d’un groupe militant montréalais spécifique est également pertinente à l’étude de l’histoire de cette ville. Reprenant l’approche développée par l’historien Sean Mills dans ses travaux sur les années 1960, il situe le MÀB dans le contexte plus large d’un « Montréal alternatif » des années 1970, ancré dans plusieurs quartiers spécifiques et composé d’une constellation de groupes militants animés par une vision commune d’une ville meilleure.
L’auteur souhaite, avec cette étude, jeter un nouvel éclairage sur cette culture dissidente montréalaise en pleine effervescence, et sur les influences tant locales qu’internationales qui ont contribué à lui donner forme.
Lire la suite: « Vive la vélorution ! » : Le Monde à bicyclette et les origines du mouvement cycliste à Montréal, 1975-1980, Daniel Ross, p. 92–112
Source: Le militantisme environnemental au Québec, Sous la direction de Valérie Poirier et Stéphane Savard, Bulletin d’histoire politique, Volume 23, numéro 2, hiver 2015.
Image: caricature d’Aislin, parue dans la Gazette du 8 juin 1976, qui illustre bien la perplexité des conducteurs confrontés aux défenseurs du vélo. Terry Mosher/Musée McCord M-988.176.310.
Bonjour,
Pour approfondir le sujet, il y a aussi ce mémoire universitaire concernant le cyclomilitantisme.
https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01445326/document
Cordialement,
Pablo
Merci pour l’info, on en fera un article prochainement.