Les pistes cyclables

Rapport rédigé par M. Cochard, Secrétaire Général de la Chambre Syndicale Nationale du Cycle et du Motocycle et présenté au Congrès International du Tourisme, du Thermalisme et du Climatisme (Paris 21 Juin – 4 Juillet 1937).

PRINCIPE ET BUT DES PISTES CYCLABLES

Le principe de la piste cyclable est de ceux qui répondent à la fois à la logique, à l’intérêt général et aussi à l’intérêt des cyclistes. Il est l’application de cet autre principe plus général de la circulation routière: à chacun sa place sur la route.

Avec l’intensité de la circulation actuelle, il est en effet devenu nécessaire de mettre de l’ordre sur les routes, et il est apparu que l’un des meilleurs moyens était de séparer les divers modes de locomotion, les divers usagers: le véhicule à moteur, la bicyclette, le piéton. Il ne s’agit pas de se séparer des frères soit disant ennemis, mais de rendre pour les uns comme pour les autres la circulation plus facile et d’assurer leur sécurité, notamment pour les cyclistes.

En effet, la situation de ceux-ci sur la route est assurément de celles qui doivent retenir l’attention, car serrés de près par les voitures ou les poids lourds, ils se trouvent menés bien souvent à l’accotement ou à la chute. Pourtant la bicyclette, qui est un merveilleux moyen de transport et d’exercice au grand air, se développe de plus en plus parmi les ouvriers, les travailleurs agricoles, les employés. Il faut donc que la route réponde à ces besoins et que la masse populaire de nos huit millions de cyclistes puisse y trouver la sécurité indispensable.

Songeons qu’au 1er Janvier de cette année on comptait en France avec les huit millions de bicyclettes, deux millions et demi d’automobiles et cinq cent mille motocyclettes. Cela fait onze millions d’usagers auxquels il faut ajouter trois millions de véhicules agricoles de tous genres, sans compter les troupeaux!

Personne ne s’étonnera que nos routes ne soient pas adaptées à un tel travail et que leur aménagement et leur débit, surtout autour des grands centres, soient malgré tous les efforts faits depuis la guerre, encore insuffisants.

On a dit: « Les cyclistes ont droit à la route comme les automobilistes, car ils paient tout autant, ils n’ont pas besoin qu’on les « relègue ». Là n’est pas la question et sans doute les cyclistes ont leurs droits comme tout autre usager de la route.

Mais, sur cinq mille accidents mortels qu’on compte approximativement par an en France, on en enregistre un tiers imputable aux cyclistes ou dont ils sont surtout victimes. La question est donc avant tout une question de sécurité, qui ne parait pouvoir être résolue que par la discrimination des circulations.

Tout récemment, la statistique des accidents de la circulation publiée par le Ministère des Transports en Angleterre signalait que les accidents provenaient surtout du mélange des trafics, et que la solution qui consistait à les séparer en multipliant les trottoirs et les pistes cyclables est mieux susceptible de contribuer à la réduction du nombre des accidents que la limitation de la vitesse.

Avant d’examiner la situation des pistes cyclables en France, nous allons passer en revue l’état de cette question dans les principaux pays étrangers.

LES PISTES CYCLABLES A L’ÉTRANGER :

ALLEMAGNE

L’Inspecteur Général des routes allemandes adressait le 31 Octobre 1935 aux fonctionnaires chargés de l’entretien des routes une circulaire qui précisait que la création de pistes routières est une obligation urgente et qu’il ne pouvait être admis en aucun cas que cette question soit appréciée du seul point de vue financier, le trafic cycliste ayant droit à être convenablement satisfait autant que tout autre mode de transport et devant même au point de vue social, retenir une attention particulière. Il concluait en demandant que les Administrations locales entament la construction de pistes méthodiquement, en contact avec la Société Nationale pour la construction de pistes cyclables organisée avec l’agrément du Gouvernement pour réaliser la question du point de vue technique.

Tout un plan de campagne est actuellement en cours d’exécution: 400 kilomètres dans les environs de Magdebourg, 300 kilomètres dans les environs de Berlin, qui, au cours de 1936 a dépensé à ce sujet 350.000 marks, 200 kilomètres dans les environs de Hambourg, 3.000 kilomètres dans la Rhénanie et la Rhur où certaines villes industrielles seront dotées d’un réseau particulièrement important: 300 kilomètres à Gelsenkirchen, 450 kilomètres à Dortmund, etc… Au total, le chiffre impressionnant de 38.000 kilomètres.

D’après le recensement au 31 Mars 1936, il existait déjà environ cinq mille deux cents kilomètres de pistes. A remarquer qu’en Allemagne le réseau routier est moins dense qu’en France et que, par contre, le nombre de cyclistes est plus important puisqu’il est évalué à 17 millions.

ANGTETERRE

A la fin de 1935 les Anglais ont prévu un programme quinquennal de cent millions de livres sterling, pour la réfection, l’élargissement et l’aménagement des grands itinéraires. Le programme comporte l’établissement de pistes cyclables. Toutefois, certains clubs cyclistes ont protesté contre l’établissement de pistes spéciales en prétendant que celles-ci avaient l’inconvénient de forcer à une circulation individuelle et d’empêcher de rouler en groupe.

BELGIQUE

Deux grands groupements s’occupent en BELGIQUE de l’installation des pistes cyclables, le Touring-Club de Belgique et la Ligue Vélocipédique belge. Les résultats sont magnifiques: sur neuf mille kilomètres de routes on compte déjà près de trois mille kilomètres de pistes cyclables. Leur largeur est de 1 m 50 et leur construction est excellente; l’épaisseur du béton est de 8 cm. La piste est presque toujours séparée de la chaussée par une bande d’environ 50 cm qui est généralement gazonnée ou recouverte de pierrailles roulées.

Depuis le 17 Janvier 1936, « les cyclistes ne peuvent plus suivre la chaussée que si la voie publique est dépourvue de piste cyclable ou si cette dernière est impraticable ou encombrée. Dans ce cas ils doivent se mettre en file à l’extrême droite dès l’approche d’un autre usager ».

Ajoutons que toute route nouvellement construite ou refaite est immédiatement dotée d’un trottoir cyclable, car l’aménagement est prévu dans les crédits disponibles.

SUISSE

La SUISSE a reconnu la nécessité des pistes cyclables pour diminuer le nombre des accidents et a mis à l’étude le problème. Toutefois, l’exécution n’en est pas encore très avancée à cause des difficultés que rencontre l’élargissement des chaussées.

PAYS-BAS

On sait l’immense développement qu’a pris la bicyclette aux PAYS-BAS et on ne s’étonnera pas que la piste cyclable y soit née pour ainsi dire avec la bicyclette. Chaque route est bordée d’un trottoir cyclable, souvent de deux. Ceux-ci ont été améliorés lorsque les routes à grand trafic ont été refaites, de manière à y maintenir les cyclistes qui préféraient les revêtements bien roulants des chaussées. A noter qu’il est interdit aux cyclistes d’emprunter les routes à grand trafic.

Lire aussi :  Les vélos dans les trains internationaux: ça recule

DANEMARK

Comme aux PAYS-BAS et plus encore peut-être, puisqu’il y a deux millions de cyclistes pour cent trente mille voitures automobiles, la question des pistes cyclables est au DANEMARK de la plus haute importance. Les danois jugent que les pistes doivent toujours être établies des deux côtés de la chaussée et que leur surface doit être parfaitement roulante.

ITALIE

En ITALIE, l’aménagement de pistes cyclables est également reconnu nécessaire et aux environs des grandes villes on travaille à leur établissement.

En résumé, presque tous les pays d’EUROPE sont partisans de la piste cyclable. Ils estiment que la sécurité des cyclistes l’exige, mais que les trottoirs cyclables doivent être bien construits et entretenus et que l’obligation de les emprunter n’est justifiable qu’à cette condition.

LES PISTES CYCLABLES EN FRANCE

L’histoire des pistes cyclables en FRANCE, – du moins depuis la guerre – n’est guère qu’une suite d’espoirs auxquels répondent bien peu de réalisations.

On comptait avant la guerre (la première guerre mondiale), sur notre territoire, 1.180 kilomètres de trottoirs cyclables. Leur nombre était surtout important dans les régions du Nord où les chaussées étaient pavées. L’ensemble était bien entretenu et les cyclistes s’en montraient satisfaits. Ce réseau en somme convenait parfaitement pour l’époque où circulaient deux millions huit cent mille cyclistes, mais où le nombre des voitures automobiles était encore insignifiant. Bref, c’était alors plutôt une question de commodité et de confort, qu’une question de sécurité.

Le problème aujourd’hui n’est plus le même. D’une part les pistes ne furent plus entretenues. Certaines mêmes, comme la fameuse piste de LUZARCHES, furent défoncées à peine terminées. La plupart sont coupées de caniveaux, encombrées de matériaux ou d’ordures, en un mot utilisables seulement sur de courts tronçons.

D’autre part, les chaussées ont été refaites sur une nouvelle technique qui a donné à nos routes, des surfaces parfaitement roulantes.

Il en est résulté que les cyclistes ont abandonné la piste devenue impraticable — quand il y en avait – pour la chaussée, et souvent même se sont déclarés hostiles aux trottoirs cyclables devant l’excellence des routes.

Sans doute, mais ceci ne résout pas la question de sécurité qui, avec l’accroissement de la circulation s’impose avec plus d’urgence que jamais.

Toutes les grandes organisations intéressées au cyclisme, le Touring Club de France, la Chambre Syndicale Nationale du Cycle et du Motocycle, l’Union Routière de France, se sont intéressés au problème.

Celui-ci, reconnaissons-le, est pour une bonne part de nature financière et c’est ce qui explique que le réseau des pistes cyclables soit en France, non pas même stationnaire, mais plutôt en régression.

En 1931 pourtant, des promesses furent faites officiellement du haut de la tribune de la Chambre des Députés et un crédit devait être accordé pour la création de pistes cyclables dans le plan d’outillage national.

Hélas! Ces projets et ces promesses ne furent suivis d’aucune réalisation et dans le plan des grands travaux qui en 1935 a prévu la création de grands itinéraires, il n’était pas une fois question des pistes cyclables.

Nous devons pourtant reconnaître que l’Administration des Travaux Publics, persuadée comme nous de la nécessité des pistes cyclables, a étudié la question avec le plus grand soin et dans la mesure de ses faibles crédits aménage çà et là des fragments de piste comme sur la route nationale n°10, entre PARIS et RAMBOUILLET.

Le Ministre, comme le Directeur Général des Routes ont même promis il y a un peu plus d’un an, d’installer des pistes cyclables sur certaines sections des grands itinéraires qui doivent être aménagés aux abords des centres importants. Ce projet prévoit deux pistes, l’une pour la circulation ascendante, l’autre pour la circulation descendante; la largeur envisagée est de 1 m 20. Au cas où il ne serait possible d’établir qu’une seule piste, la largeur serait de 1 m 80.

Il faudrait aussi examiner les questions de construction des trottoirs cyclables, matériaux à employer, dimensions et profils de pistes. Ceci n’est pas de notre ressort, mais il est évident que la piste cyclable ne constituera réellement un progrès dans le problème de la circulation que le jour où elle sera d’une valeur égale à celle de la chaussée et offrira aux cyclistes autant de confort que de sécurité.

Au problème de la construction est lié celui de l’entretien qui nécessite l’établissement d’un statut spécial pour les pistes cyclables. En effet, jusqu’à ces dernières années, le trottoir cyclable une fois construit était abandonné à son sort ce qui en faisait très rapidement une sorte d’ornière. A la suite des démarches qui ont été faites au Ministère des Travaux Publics celui-ci a donné toutes instructions utiles aux Ingénieurs en Chef pour que les pistes aménagées sur les routes nationales soient constamment maintenues en bon état d’entretien. Ceci nous parait encore insuffisant et nous estimons qu’il y aurait lieu de définir exactement les servitudes des riverains et leur responsabilité pour les dégâts occasionnés.

L’obligation d’emprunter le trottoir cyclable ne peut être envisagée que si ces conditions de construction et d’entretien sont parfaitement réalisées. Encore convient-il d’ajouter que toute réglementation à cet égard devrait prévoir les cas de réfection, d’encombrement, de mauvais état ou d’accès difficile ou dangereux d’un trottoir cyclable.

Pratiquement d’ailleurs, le problème est loin d’être résolu en particulier pour des raisons financières. Aussi a-t-on pensé que l’on pouvait profiter de l’élargissement des routes pour réserver sur les bords de la chaussée un espace où le cycliste se sente en sécurité. Cet espace serait simplement indiqué par une bande de couleur.

Il est bien certain que la piste cyclable reste le moyen idéal de sauvegarder la circulation cycliste. Elle n’est pas désirable en rase campagne, mais elle est nécessaire aux abords des grands centres, et il faut qu’elle soit prévue dans les programmes routiers avec des moyens suffisants pour être construite aussi bien que possible et un règlement minimum qui la garantisse contre toute déprédation.

R. COCHARD

Source: Bulletin des cyclotouristes : organe mensuel d’informations, octobre 1938
Photo: Vintage Bicycles in Copenhagen, Denmark from Between the 1910s and 1950s

4 commentaires sur “Les pistes cyclables

  1. JMB

    En somme, on tourne donc en rond depuis 80 ans par l’absence de volonté politique…

  2. Hdkw

    1938

    L’histoire des pistes cyclables en FRANCE, – du moins depuis la guerre – n’est guère qu’une suite d’espoirs auxquels répondent bien peu de réalisations.

    2018

    L’histoire des pistes cyclables en FRANCE, – du moins depuis la guerre – n’est guère qu’une suite d’espoirs auxquels répondent bien peu de réalisations.

  3. Françoise

    Deux millions et demi d’automobilistes et 8 millions de cyclistes en 1937 !! Mais c’était le paradis !!

    Je regrette, mais je trouve vraiment, au risque de déplaire, que « c’était mieux avant »…

  4. Letard

    Bonjour à tous,

    Pour moi, une piste cyclable doit avoir au moins 1,5 mètres de largeur, sinon, pour moi, ce n’est plus une piste cyclable, c’est une sentier cyclable, même si c’est sur une voie carrossable.

    Pour la région bruxelloise, il m’a été répondu que nous ne pouvons généralement garantir que des pistes cyclables de 1,35 mètres de largeur maximum.

    J’ai alors répondu que si une piste cyclable est d’une largeur inférieure à 1,5 mètres, elle doit être placée en zone 30. Donc pour moi, toute la région bruxelloise dans son intégralité devrait être signalée « zone 30 » et pas qu’un jour par an, lors de la journée dite « sans voiture », mais toute l’année, 24h sur 24, sauf aux endroits où il est interdit aux cyclistes de circuler.

    Donc, pour moi, toutes les villes du pays, de France ou d’ailleurs, donc, du monde entier devraient être signalées « zone 30 »

    Pour moi, le meilleur cadre de sécurité pour l’usage du vélo est la zone 30 en agglomération, en ville.

    Qu’en pensez-vous, s’il vous plaît? Merci.

Les commentaires sont clos.