Sacrilège devant le Salon de l’Auto

Ils étaient nombreux samedi porte de Versailles à faire la queue devant l’entrée du salon de l’auto, impatients d’admirer les rutilants bolides, ces symboles de standing et d’évasion. Une immense procession se pressait aux portes des lieux saints du Culte.

Soudain, ô profanation, un chemin de croix d’automobilistes repentis se fraye un passage dans la foule. En tête du défilé, un malheureux pénitent ahane sous le poids d’une lourde croix surmontée d’un pneu automobile. Un tortionnaire le fouette et l’invective: « Tu as payé, crétin, maintenant roule! » Suit un cortège d’autres pénitents traînant des vestiges automobiles divers, et distribuant des tracts invitant le public « à ne pas se laisser faire par les marchands d’autos qui vous ruinent, vous fatiguent, détruisent la ville et empêchent toute amélioration des transports. »

Les policiers, inévitablement présents sur les lieux, rongent leur frein (!), ne pouvant intervenir pour empêcher cette mascarade qui semble les excéder profondément mais a la faveur du public. L’un d’entre eux, brusquement saisi d’une rage folle, se précipite sur une innocente jeune fille qui arbore fièrement le titre de « Miss Épave 1978 » pour lui arracher la vieille portière de voiture qu’elle traîne. Les pénitents ne jugent pas opportun de porter plainte contre ce vol public, car ils ne veulent pas ajouter à la peine de ce pauvre policier qui est probablement un automobiliste en état de manque.

Qui sont ces audacieux blasphémateurs? Ils se présentent comme des usagers des transports, des cyclistes et des piétons protestant contre la marée automobile. Les propriétaires d’autos dans Paris, disent-ils, sont numériquement minoritaires mais cette minorité est… écrasante et bruyante, elle empuantit l’air et envahit le moindre espace disponible: piétons, cyclistes, garez-vous…

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Cet état de fait est dénoncé depuis des années. Mais les responsables de la circulation s’obstinent depuis vingt ans à vouloir transformer Paris en autodrome, en essayant de donner le change par quelques rues piétonnes et autres pistes cyclables-alibis.

C’est aussi pour forcer le mur du silence et de l’impuissance qu’ont été imaginées les « grèves de la circulation, » qui consistent en des blocages provoqués de la circulation automobile (la 6ème opération de ce genre, vendredi 13 octobre au métro Belleville, a bloqué un quartier pendant deux heures). Bien sûr, ces « grèves » sont mal ressenties par certains automobilistes dont on comprend les motifs. Mais y-a-t-il d’autres choix? Doit-on continuer à rédiger des tonnes de littérature sous forme de lettres aux autorités, livres, dossiers et articles, comme on le fait depuis dix ans, sans aucun résultat?

Patricia Philipp, Rémy Georgeot, Jean Macheras, militants de Paris-Ecologie et de Combat-Transport

Source: LA GUEULE OUVERTE N° 233 du 25 octobre 1978

2 commentaires sur “Sacrilège devant le Salon de l’Auto

  1. Adri1

    Plus de quarante ans se sont écoulés et ce constat reste tellement tristement actuel…

  2. pedibus

    Une immense procession se pressait aux portes des lieux saints du Culte.

    Les processions pour adorer Ste-Gnognole c’est désormais tous les jours et localisées dans les goulets d’étranglement du bénitier, devenu désormais le système automobile, abreuvé encore récemment de myriades de milliards d’€…

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