La pollution de l’air est une urgence sanitaire absolue. Son impact sur la santé est dévastateur. Il est nécessaire de réagir avec une très grande fermeté.
Le pouvoir politique prend petit à petit la mesure de cet enjeu. C’est en son nom que sont en train d’être d’être mises en place, dans plusieurs villes des zones à faibles émissions dites aussi « zones de basses émissions » (ou LEZ, pour Low Emission Zone). Le dispositif est entré en vigueur dans le centre-ville d’Anvers en février 2017. Il est d’application à Bruxelles (sur tout le territoire de la Région) depuis janvier. Gand l’annonce pour 2020. Liège l’a retenu dans la récente mise à jour de son projet de ville. Ces « LEZ » posent cependant lourdement question, quant à leur efficacité et quant à la conception de la justice dont elles sont le reflet.
La LEZ d’Anvers
La LEZ de Bruxelles
Tout d’abord, la fiabilité des normes européennes reste très relative. Le scandale des moteurs trafiqués (qui a touché VW et puis bon nombre d’autres constructeurs) est aussi arrivé parce que le dispositif de contrôle est étique. Avant de restreindre la mobilité de personnes qui n’ont parfois pas d’autre solution que la voiture pour se déplacer, il conviendrait a minima de disposer de normes fiables et d’organes de contrôle crédibles.
Ensuite, l’énergie grise doit aussi être prise en compte. Une étude récente du MIT (1) a montré que le bilan carbone d’une berline électrique était supérieur à celui d’une petite voiture à essence. Notamment en raison du coût écologique considérable de la filière de construction et de recyclage des batteries. Réduire la pollution locale en faisant augmenter les émissions de CO2 est-il réellement une bonne idée ?
Soulignons encore qu’instaurer des LEZ dans les grandes villes saturées, si l’on ne réduit pas en même temps la capacité du réseau routier, ne réduira pas la pression automobile. En vertu de l’effet d’appel, cela conduira au remplacement de certaines voitures par d’autres, tout au mieux.
Enfin, la LEZ ne prend pas en compte les distances parcourues. La société doit-elle interdire à une personne de faire 80 km par semaine dans une vieille cacahouète qui ne respecte pas les normes quand elle n’a dans le même temps aucune objection à ce qu’une autre fasse 250 km par jour dans un SUV diesel de deux tonnes et demie ? De toute évidence, la première pollue pourtant beaucoup moins que la seconde et c’est donc plutôt à cette dernière qu’il conviendrait de demander de modérer son usage de la route.
Bref, l’instauration d’une zone « basse émission » ressemble plus une mesure de soutien aux constructeurs automobiles — qui bénéficieront directement du renouvellement des véhicules — qu’à une mesure écologique crédible.
Pour réduire la pollution, d’autres solutions existent pourtant.
1. Réduire le nombre de voitures. En récompensant, par exemple sous la forme d’abonnements gratuits aux réseaux de transport public, les foyers qui font le choix — volontaire ou contraint — de se passer de voiture. En favorisant, aussi, l’autopartage sous toutes ses formes.
2. Réduire la masse et la taille des voitures. Personne ne peut rien contre les lois fondamentales de la physique : à technologie donnée, il faudra toujours plus d’énergie pour mettre en mouvement un objet plus lourd et pour déplacer dans l’air un objet plus volumineux.
3. Réduire la vitesse des voitures. Aller vers une zone 30 généralisée dans les quartiers, vers le 90 km/h sur toutes les autoroutes situées en milieu urbain. Et contrôler effectivement. Ceci améliorerait aussi considérablement la sécurité routière.
4. Réduire les distances moyennes parcourues par les voitures. Déconcentrer l’emploi en le répartissant mieux sur le territoire. Instaurer une taxation au kilomètre qui incite chaque automobiliste, à envisager, pour chaque trajet, la possibilité d’un mode alternatif. Faire cesser l’étalement urbain en abolissant les plans de secteur — qui sont devenus une sorte de « droit à bâtir » — et en les remplaçant par une logique de densification des noyaux existants.
5. Réduire la place laissée aux voitures dans l’espace public. Donner enfin la priorité aux transports publics et aux modes doux dans l’aménagement urbain. Comprendre qu’accepter que des bus ou des trams restent englués dans le trafic est un gaspillage éhonté. Un peu de peinture blanche et quelques potelets peuvent souvent beaucoup aider…
6. Mettre un terme aux avantages fiscaux donnés aux voitures. Il y a parfois de très bonnes raisons pour qu’un employeur mette un véhicule à disposition d’un salarié. Il n’y en a par contre aucune pour que l’Etat incite à un tel choix à travers un régime fiscal avantageux.
7. Réduire la proximité entre la vie quotidienne et le stationnement des voitures. Par exemple, quand on construit un nouveau quartier, préférer localiser le stationnement en périphérie du site, dans un silo, tout en conservant un accès pour le chargement et le déchargement des biens et des personnes. En obligeant les automobilistes à marcher un petit peu pour rejoindre leur véhicule, on dissuade l’usage de la voiture pour les très petits trajets et on favorise celui du transport public, donc l’arrêt n’est souvent guère plus éloigné.
Les LEZ — faut-il le préciser ? — n’apportent d’avancée significative sur aucun de ces axes de travail.
François Schreuer
(1) Cf. « Electric cars’ green image blackens beneath the bonnet », Financial Times, 8 novembre 2017.