4×4: la mort au tournant

Au chapitre de la sécurité, il faut savoir que les cas de retournement avec un gros 4×4 sont beaucoup plus fréquents qu’on ne l’imagine. Selon la NHTSA, l’équivalent de notre sécurité routière aux Etats-Unis, 63% des décès après retournement ont eu lieu avec des 4×4, alors que ces derniers ne représentent que 25% du parc automobile américain. Mais la liste des manquements au niveau sécurité de ces véhicules ne s’arrête pas là, il y a encore ce que révèlent les crash-tests.

Crash test : la sécurité pour qui ?

Aujourd’hui, dès qu’un nouveau modèle de voiture apparaît sur le marché, il est très vite testé par Euro Ncap. Au sein de cette organisation, sont réunis les ministères des transports des pays membres de l’Union européenne, les constructeurs et clubs automobiles et les principales associations de défense des consommateur, comme Test Achats ou Witch qui sont parmi les plus importantes d’Europe.

Les gros véhicules tout terrain n’échappent donc pas aux crash-tests où sont évaluées la sécurité passive pour les occupants en cas d’accidents et les conséquences relatives à une collision avec un piéton.

Pour connaître les performances des gros 4×4 lors de ces tests, nous avons rencontré Jean-Marie Mortier, directeur technique de Test Achats.

Il nous expose ce qu’ont révélé les crash-tests : « Le crash-test organisé par Euro Ncap a démontré que ce type de véhicule a deux générations de retard par rapport aux berlines modernes qui se sont adaptées à cette sécurité passive, à protéger les occupants de la voiture. »

Quand vous dites deux générations de retard, vous faites allusion à quoi?
« Le gros problème avec les 4×4, c’est qu’elles ont une structure rigide. Cette structure pour l’habitacle est idéale puisqu’elle protège les occupants, mais la partie avant est trop rigide et n’absorbe pas le choc. Donc les occupants prennent l’entièreté de l’énergie, ce qui peut entraîner des blessures, voire la mort. »

Et par rapport aux piétons ?
« Les 4×4 vis-à-vis du piéton sont très mal conçus. D’abord, ils sont plus hauts, prennent le piéton au thorax et quand on les compare aux berlines, qui ont été conçues pour mieux absorber le choc avec les piétons et qui ont aussi été conçues pour que le capot ne soit pas trop rigide et que la tête, qui pourrait frapper sur le capot, ne soit pas fracassée, les 4×4 n’ont rien dans leur conception pour éviter ces chocs-là. »

Malheureusement, les très mauvaises performances des gros 4×4 concernant la protection des piétons ne sont jamais prises en compte dans la note finale attribuée au véhicule. Est-ce que cela changerait quelque chose à l’engouement pour ces voitures? Difficile à dire. En tout cas, les fabricants ont peur de tous les arguments qui pourraient diminuer l’intérêt commercial des 4×4.

Est-ce vrai que les 4×4 sont à l’origine de plus d’accidents, plus graves que la moyenne des véhicules ? Pour l’instant, impossible de répondre oui à cette question et de le prouver. Il n’existe aucune statistique sur le type de véhicules impliqués dans des accidents en Europe. La police ne récolte pas ces données et les assureurs restent officiellement muets. Les seuls chiffres à disposition sont issus des études épidémiologiques américaines. Sinon, il y a les quelques indications qui découlent de l’expérience des traumatologues.

L’avis d’un traumatologue

En Europe, les premières causes de mortalité chez les enfants sont les traumatismes. Et parmi les multiples causes d’accidents, on trouve, en première place, la circulation routière.

Lire aussi :  Ecolo, la voiture, vraiment?

Alain Lironi est chirurgien pédiatre et quotidiennement confronté à cette triste réalité. Il nous a fait part de ses observations lorsque les véhicules tout terrain sont impliqués dans les accidents.

Alain Lironi nous donne son avis : « C’est vrai qu’il y a pas mal de problèmes avec ce type de véhicules autour de la maison, dans l’environnement immédiat, soit autour de l’école, soit dans le garage de la maison où ces véhicules font une marche arrière avec des hauteurs importantes donc des visions plus faibles. On voit moins l’enfant qui est derrière et l’accident se fait plus rapidement qu’avec un autre type de véhicule. Je vous donne un exemple, quand une voiture roulait sur le pied d’un enfant, on avait une fracture simple, voire pas de fracture du tout. Avec la masse de ces nouveaux véhicules à disposition de tout le monde, on arrive à des lésions beaucoup plus graves, avec des fractures multiples et des lésions importantes qui amènent même parfois à des nécroses de la peau et l’obligation de faire des greffes, où avec des suivis à long terme avec des problèmes de croissance osseuse au niveau du pied, comme un cas que j’ai vu récemment. »

Ce serait donc quand ils roulent à basse vitesse que les 4×4 causeraient le plus d’accidents. En Suisse, on a même répertorié des cas d’enfants écrasés par leurs parents quand ils garent leur véhicule.

Alain Lironi : « Il y a quelques études américaines qui ont étudié le problème de manière très détaillée pour montrer qu’il y a deux à trois fois plus de risques d’avoir un accident de voiture avec un 4×4 qu’avec un véhicule léger, et ce, particulièrement pour les piétons. Les piétons sont la cible privilégiée des 4×4 pour des raisons de visibilité, et c’est à la fois en terme de mortalité et de morbidité. Vous transformez des fractures relativement simples, des fractures de jambe en fractures du bassin, en lésions abdominales, thoraciques et surtout pour les enfants en lésions crâniennes où malheureusement, même les meilleurs chirurgiens du monde ne peuvent pas réparer des dégâts cérébraux souvent irréversibles et difficiles à récupérer. »

Bien sûr que l’attitude du conducteur est primordiale, mais les proportions et la conception d’un véhicule peuvent distordre la perception qu’a un conducteur des autres protagonistes du trafic, notamment les plus fragiles. Les enfants, les piétons, les cyclistes et les deux roues en général mesurent quotidiennement la disproportion qu’il y a entre un 4×4 et eux. L’an dernier, la Suisse décidait d’adopter une nouvelle stratégie pour améliorer la sécurité routière et réduire au maximum des accidents graves pour les usagers de la route et les piétons. Une commission de 80 experts a été constituée pour analyser les mesures proposées par le BPA, le bureau de prévention des accidents. Parmi ces mesures, une vingtaine concerne les véhicules, comme l’installation de limiteurs de vitesses, de boîtes noires ou d’appareils qui refusent le démarrage de la voiture quand le conducteur a trop bu. Mais le lobby des automobilistes résiste violemment a toute tentative d’évolution positive.

Source: www.tsr.ch