Propositions pour une ville moins motorisée

Il s’agit d’abord de faire valoir dans la planification des transports urbains d’autres logiques que celles qui s’exercent depuis des décennies sans que leurs effets aient été correctement analysés. Ainsi Richard Gilbert, du Centre pour les Transports Durables de Toronto, propose-t-il (cf Entretiens Jacques Cartier, 1998) de mettre en avant d’autres principes, notamment un principe qu’il nomme EANO (« Equal Advantage for Non-Ownership »), qui poserait que « chaque région urbaine devrait être aménagée de telle sorte qu’en tout point de la région les avantages de ne pas posséder de voiture soient au moins égaux aux avantages de posséder une voiture ».

Réduire autant que faire se peut, le nombre et la portée des déplacements, semble être la seule manière de remplir cette condition, le concept de la ville compacte importé des pays nordiques et germaniques étant le plus adapté pour remplir cet objectif, même s’il ne peut qu’être adapté plus ou moins complètement aux différentes situations. L’initiative locale de planification urbaine ne peut pas se suffire à elle-même, il faut qu’elle soit encadré par des mesures législatives diverses au niveau national.

Selon M. Wiel (1998), l’augmentation du trafic automobile est actuellement largement expliquée par l’allongement des déplacements quotidiens qu’a entraîné la péri-urbanisation, plutôt que par une augmentation de la motorisation ou de la mobilité. Pour lui, la clef de la gestion des déplacements serait donc dans l’organisation urbaine beaucoup plus que dans la politique des déplacements proprement dite.

Dans son ouvrage « La Transition Urbaine » il donne des recommandations de planification urbaine qui sont de canaliser la périurbanisation, de créer des centralités suburbaines en s’appuyant sur les pôles intermédiaires existants. Cette restructuration doit s’appuyer sur des lignes de transport en commun desservant les principaux pôles d’emploi. Par ailleurs pour conforter la position de la ville principale, il convient de recycler les friches urbaines qui peuvent apparaître, de restructurer les grands ensembles, et de conforter la dynamique commerciale du centre.

Ces propositions, notamment l’utilisation prioritaire de l’existant, présentent des points communs avec le concept d’urbanisme durable qui est par exemple ainsi défini dans la Ruhr (Allemagne) :
– économiser les territoires organiser la décroissance urbaine, endiguer l’extension de la périphérie, recycler les friches,
– lutter contre le dépérissement des centre-villes
– concentrer l’action sur le bâti existant et sa transformation, éviter la multiplication des constructions neuves,
– utiliser les infrastructures existantes, en particulier réhabiliter les gares et les lignes de chemin de fer, articuler urbanisme et transports collectifs,
– économiser l’énergie, traiter la pollution des eaux, réduire l’utilisation des plastiques,
– prévoir des bilans énergétiques pour les constructions neuves.

En Allemagne également, Les travaux de l’urbaniste D. Apel préconisent une réduction du trafic automobile et une réduction de la consommation d’espace, au travers de nombreux outils dont celui de la fiscalité. Avec d’autres urbanistes, il propose une réforme de la fiscalité foncière, consistant à adapter l’impôt foncier habituel en vue d’inciter à la densification aux endroits souhaités et de rendre moins avantageuse la construction à l’écart des urbanisations existantes.

L’équipe Arch’Urba composée d’A. Faure, F . Garnier et A. Compagnon a procédé dans le cadre du Prédit, à un recensement des moyens de lutte contre l’étalement urbain, utilisés dans 5 pays européens : Suisse, Pays-Bas, Allemagne, Danemark et Royaume-Uni, afin d’identifier celles qui semblent le plus adaptable au contexte français. Après un listage des effets négatifs de la dispersion urbaine et l’analyse du contexte et des moyens mis en oeuvre dans chaque pays, une synthèse thématique des mesures a été réalisée selon les axes définis par le DIFU (Institut Allemand d’Urbanisme).

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Stratégies de densification

La ville compacte, concept né aux Pays-Bas en 1985, est le maître mot du modèle d’organisation de la ville vers lequel tendent les cinq pays étudiés. Les stratégies à mettre en oeuvre sont la densification des pôles urbains existants, l’urbanisation autour des axes de transports collectifs. Tout doit être mis en oeuvre pour mettre en place une utilisation économe du foncier en zone centrale et pour limiter les déplacements : polyvalence des équipements, création de parcs urbains à l’intérieur de l’agglomération. Des mesures d’accompagnement doivent inciter les habitants à utiliser la marche, le vélo et les transports collectifs pour leurs déplacements quotidiens.

Outils réglementaires et institutionnels

Les auteurs des documents de référence recommandent le renforcement du pouvoir de l’agglomération, échelle pertinente pour mettre en place une telle politique. La généralisation des plans et schémas directeurs, la mise en place d’observatoires du développement urbain, figurent parmi les moyens mis en oeuvre. La validité des documents d’urbanisme doit être limitée dans le temps afin de pouvoir en réviser régulièrement les enjeux.

Outils d’intervention économique

Il s’agit d’outils d’incitation financière : aides aux propriétaires pour la réhabilitation et la construction dans les zones urbanisées, aides aux collectivités pour la requalification des centres et le développement de pôles de proximité. Les mesures fiscales concernent la pratique automobile : taxation des carburants ou de l’achat d’une automobile (au Danemark), imposition de la plus-value foncière en cas d’urbanisation d’un terrain rural en Suisse, taxation lourde des terrains non construits en zone centrale, impôt foncier basé sur la valeur foncière des terrains et non sur la valeur de l’immeuble.

Politique concernant les infrastructures

Il s’agit de l’arrêt ou tout du moins de la limitation de la construction de nouvelles routes, d’un politique de stationnement restrictive (normes de stationnement revues à la baisse), combinée à l’amélioration de l’offre de transports collectifs, et à des mesures d’encouragement des modes doux et de l’intermodalité.

Outre ces propositions, les auteurs de ce rapport insistent sur la nécessité du maintien dans le temps des objectifs et des budgets correspondants, en raison de la lenteur de l’évolution des formes urbaines. Même dans les pays les plus engagés dans des politiques de concentration urbaine comme le Danemark, le maintien de tels projets sur le long terme nécessite le relais de l’opinion, et des actions pédagogiques constantes sont nécessaires.

Source: Écomobilité : Les déplacements non motorisés : marche, vélo, roller…, éléments clés pour une alternative en matière de mobilité urbaine, Jean-René CARRÉ avec la collaboration de Corinne MIGNOT, INRETS-PREDIT, mai 2003.