Le « Pic automobile » est arrivé

Un article récent du magazine de référence The Economist fait le point sur la baisse de l’usage de la voiture dans les pays développés. Selon eux, dans le monde riche, les gens conduisent désormais moins qu’autrefois. Le « Pic automobile » est arrivé.

Vous connaissez sans doute le Pic pétrolier, c’est-à-dire le moment dans l’Histoire où la production de pétrole atteint un pic et ne pourra dès lors que diminuer. Certains spécialistes avancent l’idée d’un Pic automobile, le « Peak Car », c’est-à-dire l’idée selon laquelle la croissance de la motorisation n’est pas illimitée et atteint un summum avant de commencer à décroître. L’article est plutôt long et seule la seconde partie apporte réellement des éléments nouveaux. Voici une traduction approximative des passages les plus intéressants.

Le futur de la conduite
Voir la fin de la voiture

La baisse actuelle de l’usage de la voiture a sans doute été exacerbée par la récession. Mais elle semble avoir commencé avant la crise. Une étude de mars 2012 pour le gouvernement australien a suggéré que 20 pays dans le monde riche montrent une « tendance à la saturation » pour les véhicules-kilomètres parcourus. Après des décennies où chaque individu faisait en moyenne de plus en plus de kilomètres en voiture chaque année, la croissance a ralenti distinctement, et dans de nombreux cas, s’est totalement arrêtée.

Il existe différentes mesures de la saturation: la distance totale parcourue, la distance par conducteur et le total des voyages effectués. Les statistiques sont frappantes sur chacun de ces points, même en Amérique, le pays de la voiture par excellence, où tous les chiffres sont en baisse. Avant la récession, des baisses ont également été enregistrées en France, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Italie, en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Belgique.

La saturation de la motorisation au fil du temps a une explication. Aujourd’hui, les soixante-huitards ont plus de 60 ans. C’est la première génération consumériste élevée dans la philosophie du « tout-voiture ». C’est donc la première fois dans l’Histoire qu’il y a autant de vieux en situation de conduire et qui continuent à conduire.

En Grande-Bretagne par exemple, 79% des personnes âgées de plus de 60 ans ont le permis de conduire, ce qui représente un taux plus élevé que celui de la population en âge de conduire dans son ensemble. En Amérique plus de 90% des personnes de 60 à 64 ans conduit une voiture, ce qui représente une part plus importante que pour toute autre classe d’âge. En fait, les nouvelles générations de conducteurs viennent remplacer les anciennes plutôt que de s’ajouter au nombre total, ce qui explique en partie la saturation actuelle de la motorisation.

Ensuite, il y a un second phénomène. Partout dans le monde riche, les jeunes obtiennent leur permis plus tard que par le passé, que ce soit en Amérique (voir le graphique), mais aussi en Grande-Bretagne, au Canada, en France, en Norvège, en Corée du Sud et en Suède. Même en Allemagne, le pays de la voiture en Europe, la part des jeunes ménages sans voitures a augmenté de 20% à 28% entre 1998 et 2008. (…)

Les jeunes américains ayant un emploi conduisent moins loin et moins souvent qu’avant la récession. Les américains de 16 à 34 ans dont le revenu annuel dépasse 70.000 dollars ont augmenté leur utilisation des transports en commun de 100% entre 2001 et 2009, selon The Frontier Group, un think-tank. (…)

Le coût est un facteur important: les prix du carburant ont augmenté pour tous; les primes d’assurance pour les jeunes se sont envolées. Le chômage des jeunes n’a pas aidé. Mais il y a aussi l’influence d’un nouveau phénomène: l’internet.

Une enquête de l’Université du Michigan sur 15 pays a révélé que dans les zones où il y a beaucoup de jeunes qui utilisent Internet, la possession du permis de conduire est inférieure à la moyenne. Une enquête mondiale sur les attitudes adolescentes par TNS, un cabinet de conseil, a constaté que les jeunes sont de de plus en plus nombreux à ne pas voir l’automobile comme un objet de désir ou d’aspiration.

Ces jeunes disent que les médias sociaux leur donnent accès au monde, comme pouvait le faire la voiture auparavant. KCR, un établissement de recherche, a relevé que, aux Etats-unis, la plupart des jeunes de 18 à 34 ans considèrent la socialisation en ligne comme un substitut pour certains trajets en voiture. (…)

Les personnes âgées qui continuent à conduire peuvent donc grossir les rangs des conducteurs pour un certain temps encore, mais les jeunes qui reportent l’utilisation ou l’achat de voitures pourraient finir par faire baisser significativement le nombre total de conducteurs.

Or, le nombre de plus en plus important de conducteurs, plutôt que les longs trajets, a été le principal moteur de la croissance du trafic dans le passé. Si la propriété se stabilise ou diminue, le trafic peut le faire aussi. (…)

Également, il semblerait que plus les gens passent le permis de conduire tard dans leur vie et moins ils conduisent. Selon Gordon Stokes de l’Université d’Oxford, les gens en Grande-Bretagne qui passent leur permis de conduire aux alentours de la trentaine conduisent en moyenne 30% de moins que ceux qui le passent une décennie plus tôt. (…)

La géographie importe aussi. Dans la plupart des pays riches, l’usage de la voiture a été stable ou en augmentation dans les zones rurales, où la conduite offre toujours la liberté et la commodité. C’est dans les villes, en particulier leur centre, que la motorisation et l’usage de la voiture est en déclin. Et la vie en ville est un phénomène en hausse à l’échelle mondiale: l’OCDE s’attend ainsi à ce que d’ici 2050, 86% de la population des pays riches vivront dans des zones urbaines, contre 77% en 2010.

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En Amérique, la part des résidents métropolitains sans voiture a augmenté depuis le milieu des années 1990: 13% des gens dans les villes de plus de 3 millions de personnes n’ont pas de voiture, alors qu’ils sont seulement 6% dans les zones rurales à vivre sans. La possession d’une voiture à Londres est en baisse depuis 1990, avec un plateau de 1995 à 2005, le pourcentage de ménages sans voiture n’a cessé de croître depuis 1992. Dans d’autres villes britanniques, la proportion de ménages sans voiture n’a cessé de croître depuis 2005. L’utilisation de la voiture est tombée dans de nombreuses villes européennes. (…)

Il y a plusieurs raisons à cela. Les systèmes de transports en commun sont, dans l’ensemble, plus rapides et plus fiables qu’ils ne l’étaient auparavant, avec une capacité accrue dans de nombreuses villes. Cela reflète en partie l’augmentation des investissements, en particulier dans le secteur ferroviaire. Au cours des 15 dernières années, les investissements routiers et ferroviaires ont représenté environ 1% du PIB des pays de l’OCDE, mais la part du rail dans le total a augmenté de 15% à 23%, indique le Forum International des Transports. (…)

Où allons-nous?

Peut-être le plus fondamental, cependant, c’est que sur le plan de la vie urbaine la voiture est devenue une victime de son propre succès. En 1994, le physicien Cesare Marchetti a fait valoir que les gens n’étaient pas prêts à mettre en moyenne plus d’une heure pour se rendre au travail. Pendant des décennies, les voitures ont permis d’aller toujours plus loin dans le cadre de ce budget-temps.

Mais comme les banlieues s’étoffent et que la congestion augmente, la plupart des villes a finalement atteint un « mur de l’étalement ». Après cela, paraît-il, un nombre important de personnes commencent à se déplacer vers le centre ville. En Amérique, où plus de 50% de la population vit dans les banlieues, plus de la moitié des 51 plus grandes villes voient plus de croissance démographique dans le noyau qu’à l’extérieur, selon William Frey à la Brookings Institution. (…)

Si la voiture a atteint un sommet, quelles sont les implications? La première est que les constructeurs de voitures, qui sont déjà dans une période difficile, auront du mal à trouver de nouveaux marchés dans les pays riches. En Amérique, les voitures disponibles sont déjà plus nombreuses que les permis de conduire en circulation. «Nous visons le renouvellement du parc plutôt que la croissance dans ces pays», explique Yves van der Straaten de l’OICA, l’organisme international des constructeurs automobiles.

Les gouvernements pourraient trouver que les changements dans les habitudes de conduite forcent à repenser l’infrastructure. La plupart des modèles de prévision que les gouvernements emploient supposent que la conduite va continuer à augmenter indéfiniment. La planification urbaine, en particulier, s’est basée sur la voiture depuis un demi-siècle.

Si les décideurs sont convaincus que la voiture est en déclin, ils peuvent se concentrer sur l’amélioration des infrastructures actuelles dans les zones déjà paralysées par la circulation plutôt que dans la création de nouvelles infrastructures. Cela se passe déjà à Londres, où les voitures payent pour entrer dans le centre de la ville qui est de plus en plus dédié aux bus et vélos. À Canary Wharf, un quartier d’affaires dans l’est de Londres, 100.000 emplois sont desservis par seulement 3.000 places de parking.

En améliorant les alternatives à l’automobile, les autorités municipales peuvent essayer de profiter des avantages de la baisse de l’utilisation des voitures. Les voitures occupent plus d’espace par personne que toute autre forme de transport. Une voie d’autoroute peut transporter 2500 personnes par heure en voiture, par rapport à 5000 dans un bus et 50.000 dans un train, relèvent Peter Newman et Rob Salter de l’Université Curtin en Australie.

La possibilité de parvenir à un « Peak Car » est le plus évident dans les pays riches. Mais les villes des pays émergents peuvent atteindre un état semblable plus tôt dans leur développement, estime David Metz de l’University College de Londres.

Les pays non membres de l’OCDE ont des niveaux plus élevés de propriété d’un véhicule maintenant que les pays de l’OCDE à niveaux de revenu similaires. C’est parce que leur infrastructure de transport s’est développée plus rapidement que dans les pays riches, et que les voitures y sont comparativement moins chères en termes réels.

Et l’usage de la voiture se développe si rapidement dans le monde que les pays pauvres pourraient frapper le « mur de l’étalement » plus tôt que dans les pays riches, estime M. Newman. L’espace est déjà une denrée rare dans les centres denses comme à Jakarta (Indonésie), où le nombre de voitures augmente dix fois plus vite que les routes disponibles pour les faire rouler. (…)

Certaines municipalités dans les pays en développement sont déjà en train de planifier l’utilisation de moins de voitures, notamment en déployant des systèmes ferroviaires urbains. (…)

Les routes sont loin d’être vides. Dans de nombreux pays, les niveaux de trafic ont continué d’augmenter car la croissance démographique a compensé la baisse des distances parcourues par personne.

Mais après 50 ans de culture de l’automobile, il semblerait bien que les choses sont en train de changer.

Source: http://www.economist.com/node/21563280

Un commentaire sur “Le « Pic automobile » est arrivé

  1. bikeman

    Encore un bon article…
    Cela aurait été intéressant de développer davantage le paragraphe traitant de la corrélation entre Internet et l’automobile.
    Une bonne connexion Internet, et un usage fréquent = une utilisation moins importante de l’auto.
    C’est probablement lié au fait que l’internaute fait ses achats en ligne, ou alors passe + de temps à flâner sur la toile plutôt que dans sa bagnole…

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