L’Autorité de la Concurrence surestime le rôle de l’autocar

Le 27 février, l’Autorité de la Concurrence (AC) a rendu un « avis relatif au fonctionnement concurrentiel du marché du transport interrégional régulier par autocar ». Ce rapport annonce probablement une évolution, d’ailleurs déjà entamée, vers une plus grande liberté offerte aux exploitants de services d’autocar.

Aujourd’hui, en France, les liaisons par autocar ne sont autorisés que dans deux cas précis : celui des autocars affrétés, par exemple pour les voyages organisés ; et celui des autocars conventionnés par une autorité organisatrice, les Régions ou les départements, dans le cadre d’une prestation de service public.

Les autocars réguliers, qui effectuent une desserte de grande ligne comme le ferait un train, sont très bridés depuis les décrets de coordination des années 30 qui, pour préserver le service public ferroviaire d’un écrémage par les services routiers, les avaient, de fait, quasiment prohibés. Cette prohibition s’est assouplie depuis une disposition de la loi d’organisation et de régulation des transports ferroviaires promulguée le 8 décembre 2009 en application du règlement européen du 21 octobre 2009.

La libéralisation n’est néanmoins pas complète puisque, si l’exploitation d’autocars de grandes lignes en service intérieurs à la France est désormais autorisée, elle ne l’est que pour du cabotage au sein d’une relation internationale, et que si le nombre de passagers et le chiffre d’affaires « nationaux » sont inférieurs à 50 % du nombre de passagers et du chiffre d’affaires total de la relation.

Par exemple, une relation entre Paris et Lyon ne peut être exploitée que si elle fait partie d’une relation Paris – Turin et que si les passagers et le chiffre d’affaires entre Paris et Lyon sont inférieurs à la moitié du nombre et du chiffre d’affaires total.

De plus, il faut une autorisation (par laquelle l’État s’assure que la liaison en autocar ne concurrence pas une liaison de service public, TER par exemple) ; et toute liaison par autocar de grandes lignes est interdite à l’intérieur des frontières d’une même Région administrative.

L’AC constate que malgré cette entrouverture du marché, le trafic par autocar régulier reste très faible, 100 000 passagers en rythme annuel contre 35 millions pour les trains Intercités par exemple.

Elle recommande donc une libéralisation pour les trajets de plus de 200 kilomètres. Pour les trajets plus courts, elle demande aux autorités organisatrices (Régions, départements…) de mieux motiver les circonstances qui conduisent à un refus d’exploiter.

Elle estime que l’autocar permettrait à une clientèle à petit pouvoir d’achat de plus voyager, à peu de coût pour les budgets publics. Elle prône donc une dérèglementation, voyant dans les règles actuellement existantes un frein au développement de ces liaisons.

L’AC est dans son rôle quand elle adopte un positionnement libéral. Son raisonnement souffre toutefois de faiblesses.

Elle ne parle pas de l’échec relatif de la liaison IDBus, lancée en 2012 par une filiale de la SNCF. Celui-ci est dû, à l’évidence, à la mauvaise image de ce transport (qu’il faudra bien combattre) et à la concurrence du covoiturage. L’AC estime, de manière très discutable, que ce dernier et l’autocar sont peu substituables et peu concurrents.

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Mais l’AC oublie que l’autocar a de nombreux défauts, la lenteur bien sûr, le confort limité quoi qu’en dise la communication d’IdBus, les aléas de toute exploitation routière, sans la convivialité propre au covoiturage.

L’AC semble donc surestimer les possibilités de l’autocar, ne voyant dans ses limites que le fait des règlementations de l’État.

Elle cite deux cas de liaisons ferroviaires déficientes où des liaisons par autocar, selon elle, feraient mieux l’affaire : Clermont-Ferrand – Montpellier et Metz – Lille. Elle ne pousse pas le bouchon jusqu’à se poser la question de la politique de la SNCF, qui a joué sur ces liaisons une politique de la terre brûlée. Et qu’il est dommage de voir remplacer un service public ferroviaire par une initiative privée qui serait probablement tout aussi déficiente en termes de fréquence comme de confort offert.

Quant à l’avantage du faible coût de l’autocar, il est incontestable mais des trains Intercités sans réservation ne sont d’un prix comparable pour le voyageur si celui-ci détient une carte 18-27 par exemple, et voyage en période bleue.

Le plus amusant est que l’AC prône la mise en place d’une autorité administrative pour réguler à la fois les transports routiers et ferroviaires. Il s’agirait d’une bureaucratie de plus, dans un paysage qui en compte déjà de plus en plus, avec de nombreux conflits de compétences prévisibles avec l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF), qui continuerait d’exister.

Cet avis reflète un consensus favorable à l’autocar de plus en plus établi aux sommets de l’Etat, dû aux principes d’austérité budgétaire qui conduisent à supprimer une fraction croissante du réseau ferré, et au lobbying des autocaristes, dans lesquels la SNCF n’est sans doute pas la dernière.

Sur le principe, le train reste un moyen de transport plus confortable, plus sûr que l’autocar. La déperdition de trafic est importante à chaque fois qu’une liaison ferroviaire ferme.

L’autocar a sa place dans toute organisation de transport, mais par voie d’exception, quand il est prouvé qu’une desserte ferroviaire est manifestement peu indiquée.

Vincent Doumayrou,
auteur de La Fracture ferroviaire – Pourquoi le TGV ne sauvera pas le chemin de fer,
Préface de Georges Ribeill. Les Editions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2007.

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Le second chapitre de mon livre est consacré à la perspective de l’arrivée de la concurrence, celle des autocars y est évoquée.

La photo (personnelle) représente un autocar sur la parvis de la gare de Saint-Quentin, dans l’Aisne.

7 commentaires sur “L’Autorité de la Concurrence surestime le rôle de l’autocar

  1. struddel

    On revient à l’époque où tous les tramways ont été remplacés par des lignes de bus : l’autocar, ça permet de satisfaire les demandes de transport en commun sans gêner les automobilistes puisque ça emprunte les mêmes routes.

    Mais pour prendre le car régulièrement, en concurrence avec le vélo, pour me rendre dans la ville de La Flèche (pas de gare ferroviaire), je pense qu’il est impossible d’offrir le même niveau de prestation avec un autocar qu’avec un train :

    On ne peut pas transporter de vélo, le nombre de bagages et leur volume sont bien plus limités, il est très rare qu’ils soient équipés de toilettes (changer un gamin dans un autocar est très amusant, je le conseille à tous ceux qui veulent rire un peu) et la sécurité est bien évidemment bien moindre (j’ai eu une véritable appréhension en prenant un autocar de nuit pour me rendre à Baugé-en-Anjou au noël dernier).

    Quand on sait que le site de la SNCF gère très mal les correspondances avec les cars (je compose toujours mes voyages billet par billet, le site estimant souvent qu’aucune correspondance n’est possible alors que j’en trouve sans problème en regardant les grilles horaire), on se dit que le car n’est vraiment pas l’idéal pour voyager.

  2. Vincent

    Vincent Doumayrou > Elle estime que l’autocar permettrait à une clientèle à petit pouvoir d’achat de plus voyager, à peu de coût pour les budgets publics

    Encore un bel exemple de l’aveuglement des « responsables » politiques quant aux questions énergétiques.

    La crise ukrainienne est pourtant une nouvelle illustration de l’extrême dépendance de l’Europe aux hydrocarbures importés.

    Avec le pic de production de pétrole et son renchissement inéluctable, est-ce *vraiment* une bonne idée que de remplacer le transport ferroviaire par du transport routier?

    Et accessoirement, dans les trains, supprimer quelques places assises pour y installer des crochets pour vélo afin de permettre le multimodal.

  3. legeographe

    @ Struddel :
    En fait, il existe des cars de services départementaux (ex. de la Saône-et-Loire, 71) qui acceptent les vélos sur des crochets extérieurs (généralement, il y a donc 4 crochets à l’arrière du bus). Un problème pas beau du tout est la pollution… Le gazole de l’autocar laisse des marques noires sur le vélo, sur le guidon… La « guidoline » du guidon prend un bon coup de vieux, dans l’affaire.

    @ l’auteur (Vincent Doumayrou) :
    Le confort des autocars IDbus n’est pas que de la communication. C’est en effet assez confortable, comme autocar… Mais parce que c’est neuf, en fait. Et c’est sûr que cela ne vaut toutefois pas le train.

  4. L'intégriste ferroviaire

    Justifier l’autocar par le petit budget d’une certaine clientèle, c’est exactement comme pour les avions low cost. Argument minable et cache-sexe de la libéralisation anti-ferroviaire.
    En plus, il est vrai que le confort en autocar est pitoyable comparé au train (les virages, les nids de poule – ou les dos d’âne, les freinages et accélérations incessants, le froid des fenêtres en hiver, l’accès aux bagages pendant le trajet, le bruit, l’éclairage, les toilettes, l’espace disponible, la vitesse, etc.).
    L’autocar peut aussi être un moyen moins visible de fermer une liaison ferroviaire : comme on l’a déjà montré sur carfree, le trafic voyageur baisse en cas de transfert rail/route; aussi les « autorités » peuvent ensuite aussi arrêter la liaison routière.

    Évidemment, tous ces crânes d’œuf ne regardant que l’aspect financier des choses, ils passent à côté de la réalité.

  5. Yan Bertot

    Concernant les bas prix, les toujours plus bas prix, je m’amuse de voir qu’on fait preuve d’une attention sans faille en proposant moins cher, alors qu’éventuellement il serait peut-être bon de lutter contre la paupérisation…. L’aménagement va toujours dans le même sens : tout tirer vers le bas (salaires donc conditions de travail, retraites, qualité etc.). Cette politique est vrai dans d’autres domaines (hard-discount alimentaire etc.).
    Pardon mais…. ça s’appelle le capitalisme. Excusez-moi encore…

  6. L'intégriste ferroviaire

    En Amérique du sud, justement, yapa de trains de voyageurs, c’est cars interurbains pour tous.
    On va chercher sa liaison dans une ou plusieurs gares routières, on n’a pas de vision claire des réseaux et des horaires, on est obligé de réserver sa place (le débit d’une ligne est évidemment limité, il faut choisir parmi les départs de 20h00, 20h05, 20h10, 20h15, etc.).
    Quel foutoir, quel manque de confort, quelle lenteur.

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