Un monde sens dessus dessous : quelques rappels sur notre situation écologique en ce début 2017

Merci au collectif « le partage » de nous autoriser à reproduire l’article suivant, un texte pertinent ici sur carfree pour son lien avec la voiture, la route et l’idéologie du développement.

« Méfions-nous de la catastrophe spectaculaire qui s’inscrit dans l’actualité, la pire est invisible. Le véritable coût est cumulatif, goutte à goutte, seconde après seconde s’accumule un Océan qui crèvera sur nos têtes. Quand la vraie catastrophe aura lieu, il sera trop tard. […] Que l’on comprenne, le plus grave n’est pas ce que nous savons, mais ce que nous ignorons. […] Nous pouvons être sûrs d’une chose, c’est que nous n’en savons rien ; et qu’il est fou de continuer à foncer ainsi dans le noir. »

— Bernard Charbonneau

« Je pars de l’hypothèse que le monde est sens dessus dessous, que les choses vont mal. […] Je pars de l’hypothèse que nous n’avons pas grand-chose à dire là-dessus : il nous suffit de nous pencher sur l’état du monde actuel pour réaliser que c’est le chaos. »

— Howard Zinn

En ce début d’année 2017, et au vu des évènements qui ont marqué l’année précédente, nous vous proposons un bilan de notre situation collective, en nous appuyant sur les multiples traductions et publications de notre site, selon la perspective qui nous paraît de loin la plus importante, l’écologie. Le simple fait que cette perspective ne soit pas considérée, aujourd’hui, en 2017, comme primordiale par l’ensemble des humains, ni même par une majorité d’entre eux, annonce déjà l’allure du paysage.

Bilan

En octobre 2016, le WWF (World Wildlife Fund, en français Fonds mondial pour la nature), ONG grand public s’il en est une, que l’on accusera pas d’être manipulée par Poutine, publiait son rapport annuel « Planète Vivante » dans lequel il évalue « la biodiversité en collectant les données recueillies sur les populations de différentes espèces de vertébrés et en calculant la variation moyenne de l’abondance au fil du temps ». On y apprenait, entre autres joyeusetés, que « les populations mondiales de poissons, d’oiseaux, de mammifères, d’amphibiens et de reptiles ont régressé de 58 % entre 1970 et 2012 ».

En toute franchise, bien que ces chiffres soient bien plus que dramatiques, et dépassent l’entendement, pour ceux qui s’intéressent à la situation de la vie sur leur planète, ils ne sont guère étonnant. Pour les autres, ceux qui ne prennent pas (ou ne peuvent pas prendre) le temps de s’y intéresser, le site du WWF proposait une synthèse du rapport (« Vous n’avez pas le temps de lire le rapport complet ? Consultez-en la synthèse »). Et en effet, en 2016, progrès oblige, la plupart des gens, trop occupés par les diverses activités qui cadencent leurs journées de travailleurs, ne prennent pas (ou n’ont pas) le temps de lire en entier un rapport sur l’état de la vie sur Terre, ou, plus simplement, de s’intéresser à la situation écologique de manière proactive.

N’étant pas (bien) informée – précisons que suivre l’actualité au travers des JT ou des Unes des grands médias n’a rien à voir avec s’informer, qu’il s’agit au mieux d’une forme de gavage débilitant –, n’en ayant ni le temps ou l’envie, et parfois les deux, une grande partie de la population mondiale ignore, et est donc à même de nier, la gravité de l’urgence écologique que nous connaissons. L’idée populaire la plus répandue, concernant une crise écologique, quelle qu’elle soit, consiste en une impression vague selon laquelle un changement climatique nous menacerait, nous, et, accessoirement, les autres espèces vivantes. Cela s’explique par le fait que les médias de masse, lorsqu’ils daignent parler d’écologie, abordent ce sujet presque uniquement sous l’angle du changement climatique, et de ses conséquences pour le bon fonctionnement (le développement) de la société industrielle mondialisée dans laquelle nous vivons.

« EN MOYENNE, LES POPULATIONS DES ESPÈCES DE VERTÉBRÉS ONT DÉCLINÉ DE 58 % ENTRE 1970 ET 2012 »

A une époque où plus de 50% de la population mondiale vit en ville (depuis 2008), dans un milieu entièrement artificiel, coupé du monde naturel, il n’est pas étonnant qu’un tel constat ne fasse pas réagir autant qu’il le devrait, probablement en raison du phénomène d’aliénation décrit ci-après par le naturaliste canadien John Livingston :

« Aujourd’hui, nous vivons pour la plupart dans des villes. Cela signifie que nous vivons pour la plupart dans ces cellules isolées, complètement coupées de tout type d’information ou d’expérience sensorielle qui ne soit pas de fabrication humaine. Tout ce que l’on voit, tout ce que l’on entend, tout ce que l’on sent, tout ce que l’on touche, est artefact humain. Toutes les informations sensorielles que l’on reçoit sont fabriquées, et bien souvent véhiculées par l’intermédiaire de machines. Je pense que la seule chose qui rende cela supportable c’est le fait que nos capacités sensorielles soient si terriblement atrophiées – comme elles le sont chez ce qui est domestiqué – afin que nous ne nous rendions pas compte de ce qui nous manque. L’animal sauvage reçoit des informations pour tous les sens, d’une quantité innombrable de sources différentes, à chaque moment de la vie. Nous n’en recevons que d’une seule source – nous-mêmes. C’est comme faire un solitaire dans une chambre de résonance. Les gens qui font du solitaire font des choses étranges. Et l’expérience commune des victimes de privations sensorielles est l’hallucination. Je pense que le patrimoine culturel que l’on reçoit, nos croyances et idéologies anthropocentrées, peuvent aisément être perçues comme des hallucinations institutionnalisées. »

Nous (dans le sens des habitants de la civilisation industrielle) avons tué 58% de toute la faune sauvage des vertébrés entre 1970 et 2012, et à un taux de 2% par an, nous aurons massacré pas loin de 70% de cette faune d’ici 2020, dans 3 ans. Sachant qu’en 1970 la biodiversité planétaire était déjà fortement appauvrie, et que ces estimations ne tiennent pas compte de phénomènes éco-psychologiques cruciaux, que Maria Taylor, une scientifique australienne, présente brièvement dans un récent rapport sur le réchauffement climatique :

« Des concepts psychologiques sur la façon dont nous percevons le monde qui nous entoure, comme la « normalité rampante » ou « l’amnésie du paysage », bloquent la compréhension quotidienne de ce qu’impliquent les activités humaines en phase d’accélération — qu’il s’agisse de la croissance démographique, du nombre de barrages et de rivières endiguées, de la destruction des forêts, ou de l’impact des émissions des véhicules sur une brève période géologique. La normalité rampante fait référence à des tendances lentes qui se perdent au sein de flux massifs et auxquelles les gens s’habituent sans broncher, tandis que l’amnésie du paysage décrit l’oubli de ce à quoi ressemblait le paysage il y a 20 à 50 ans. »

L’ornithologue Philippe J. Dubois, auteur du livre « La grande amnésie écologique », le souligne également :

« Je tente de montrer comment la lutte contre l’oubli est primordial à l’égard de la biodiversité si nous ne voulons pas être un Homo eremus, l’homme dans le désert. Or la sélectivité de la mémoire s’accommode des pertes du vivant sans même en prendre conscience ; c’est le shifting baseline syndrome, processus de référence changeante. En 1995, il y a eu une étude explorant la perception des enfants citadins à l’égard de la nature. L’amnésie générationnelle, c’est lorsque la perte de connaissance se produit parce que les jeunes générations ne sont pas au fait des conditions biologique passées. Il n’y a pas eu transmission de l’information par leurs aînés. D’anciens cultivateurs ne savent plus ce qu’étaient telle race de vache ou variété de pomme du temps de leurs pères. L’amnésie personnelle apparaît lorsque l’individu a oublié sa propre expérience. Par exemple il ne se souvient plus que les espèces de plantes ou d’animaux aujourd’hui devenues rares étaient, dans son enfance, beaucoup plus communes. Le changement est oublié et le nouvel état devient la référence. Si nous ne prenons pas conscience de ce que nous sommes en train de perdre, nous risquons de nous réveiller trop tard. »

Le dernier rapport Planète Vivante du WWF nous indique ainsi que la planète est bien moins vivante qu’avant. Et que nous avons tué cette vie. Que nous l’avons remplacé par du métal, de la brique, du plastique et du béton. Et pourtant, nous nous comportons vis-à-vis de cette extinction comme s’il s’agissait de quelque chose que nous observons de l’extérieur, dont nous ne participons pas vraiment.

Il s’agit manifestement d’une forme de folie, ou d’aliénation. Mais ce n’est pas tout, nous ne nous contentons pas de détruire les espèces non-humaines à grande vitesse, nous anéantissons également leurs habitats, et polluons l’environnement planétaire et tous ses milieux, l’air (que nous avons rendu cancérigène, et que nous chargeons toujours plus de nanoparticules, aussi appelées particules fines), le sol (que nous détruisons avec nos pratiques agricoles et toutes nos infrastructures) et l’eau (que nous contaminons de nos substances chimiques toxiques, et que nous saturons de plastiques, entre autres déchets).

Tous les humains de la planète ne sont pas responsables de ce désastre. Il existe encore des peuples, sur Terre, qui n’ont pas adopté le mode de vie urbain du « civilisé », des peuples de chasseurs-cueilleurs, des peuples tribaux, qui vivent en dehors de la civilisation. Sans cette nuance cruciale, il est impossible de comprendre pourquoi et comment nous en sommes arrivés là. Bien que plus très nombreux, ils incarnent encore la possibilité pour l’être humain de mener une existence qui ne soit pas destructrice de sa propre matrice.

Des causes évidentes

En effet, les pratiques qui ont causé toutes les dégradations précédemment citées sont tout à fait connues. Au début du 20ème siècle, le généraliste Lewis Mumford se posait la question suivante :

« La concomitance d’une puissance et d’une productivité démesurées avec une agressivité, une violence et une capacité de destruction tout aussi démesurées, est-elle purement accidentelle ? »

A son époque, avec les renseignements dont il disposait, il en avait déjà conclu que ce n’était pas le cas. Aujourd’hui, avec les informations dont nous disposons, nous abondons plus que jamais en son sens. Nous savons que l’agriculture à grande échelle, la monoculture, l’agriculture industrielle avec labour et intrants chimiques, sont des nuisances terribles. Nous savons que la déforestation, les extractions minières, les infrastructures de transport et de communication (routes, autoroutes, voie ferrées, aéroports, etc.), les infrastructures énergétiques (centrales à charbon, barrages, pylônes, centrales nucléaires, forages pétroliers, exploitations gazières, panneaux solaires, éoliennes, hydroliennes, etc.) et tout le secteur de la construction en général, en sont aussi. Nous savons que tout ce qui émane et requiert des processus de production de masse est nuisible par définition (que « les institutions politiques, sociales et économiques actuelles sont l’inévitable réponse à la production et à la distribution de masse »).

Dans les années 90, les instances dirigeantes de la société industrielle mondiale (les grands médias, les décisionnaires politiques, etc.) commencèrent à reconnaitre que son développement était insoutenable (un euphémisme pour destructeur). C’est alors qu’ils inventèrent l’expression (le mensonge) du « développement durable ». Fondamentalement rien ne changeait, sauf que le discours officiel présentait désormais les processus industriels comme « durables », supposément « écologiques ». On commença à parler de technologies (ou d’énergies) dites « vertes » (ou « propres » ou « renouvelables »). Mais, comme tout ce qui nécessite l’infrastructure industrielle de la production de masse, ces technologies n’ont rien de « vertes » (ou « propres » ou « renouvelables »). Nous savons et constatons l’insoutenabilité (la destructivité) de la production du lithium dont sont composées les batteries des appareils électroniques, des voitures « vertes » et des technologies « renouvelables ». Pareillement, nous connaissons les destructions et les pollutions associés à l’extraction de graphite, de cobalt, de coltan, de cadmium, d’arsenic, et de la plupart des métaux que l’on retrouve dans les technologies dites « vertes » (panneaux solaires, éoliennes, etc.) et dans les hautes technologies en général. Nous constatons même la toxicité du simple contact physique avec ces matériaux, dans certaines quantités et concentrations. Nous connaissons la nuisance que sont les barrages pour les rivières et les cours d’eau, et la vie qu’ils abritent.

Tout ce qui nécessite l’infrastructure industrielle, elle-même insoutenable et dépendante des extractions minières, tout qui nécessite davantage encore d’extractivisme, et/ou de recyclage de matériaux toxiques, de transport, de fabrication en usine, et autres pratiques hautement énergivores, est polluant, nuisible pour l’environnement, littéralement anti-écologique. Même si, pour la discussion, nous admettions hypothétiquement que les énergies « renouvelables » soient respectueuses de l’environnement (ce qu’elles ne sont pas), il resterait toujours que ce qu’elles alimentent en électricité ne l’est pas (objets électroniques, électroménagers, usines, etc.). Un exemple, parmi la multitude, au Congo, où le barrage de Lom Pangar, en plus d’avoir entraîné le déplacement de nombreuses familles, a noyé plus de 30 000 hectares de forêt protégée, et dont l’électricité sera principalement destinée à une immense usine d’aluminium, appartenant à la Compagnie Camerounaise d’Aluminium (Alucam).

Le seul secteur de la construction, de routes, de bâtiments, est déjà largement insoutenable. Ça n’a rien d’un secret. L’entreprise britannique privée de construction « Willmott Dixon » l’admet sans aucun problème dans un dossier sur les impacts de la construction :

« Près de la moitié des ressources non-renouvelables que l’humanité consomme est utilisée par l’industrie de la construction, ce qui en fait l’une des moins soutenables au monde. […] Aujourd’hui, nous évoluons quotidiennement dans et sur toutes sortes de constructions : nous vivons dans des maisons, nous voyageons sur des routes, nous travaillons et socialisons dans des bâtiments de toutes sortes. La civilisation humaine contemporaine dépend des bâtiments et de ce qu’ils contiennent pour la continuation de son existence, et pourtant notre planète ne peut soutenir le niveau de consommation de ressource que cela engendre. »

La construction de routes est d’ailleurs considérée comme ce qui menace le plus le restant de vie sauvage sur la planète. William Laurance, professeur à l’université James Cook en Australie, vient d’ailleurs de publier un nouvel article, le 19 décembre 2016, intitulé « Les constructions mondiales de routes détruisent la nature ». Et qui commence comme suit :

« Si vous demandiez à un de vos amis de vous citer les pires menaces anthropiques pour la nature, que répondrait-il ? Le réchauffement climatique ? La chasse excessive ? La fragmentation de l’habitat ?

Une nouvelle étude nous révèle qu’il s’agit en fait de la construction de routes. »

Article qui se base d’ailleurs sur la même étude, publiée sur Sciencemag le 16 décembre 2016 (« A global map of roadless areas and their conservation status », en français « Une carte mondiale des zones dépourvues de routes et de leur état de conservation ») qu’un dossier de National Geographic qui nous explique que « les endroits sauvages dépourvus de routes font partie des derniers endroits relativement préservés de la planète ».

« Les projections actuelles suggèrent que d’ici 2050, il y aura environ 25 millions de kilomètres de routes pavées supplémentaires — assez pour faire plus de 600 fois le tour de la Terre. […] En Afrique, par exemple, nos analyses révèlent que 33 « corridors de développement » totaliseraient plus de 53 000 kilomètres de routes quadrillant le continent, en passant à travers beaucoup de régions isolées et sauvages. »

Les racines millénaires du piège progressiste

Le constat est sans appel. La civilisation est un processus insoutenable, et ce depuis déjà des milliers d’années (les déforestations massives associées aux premières formes d’urbanisations, comme Ur, Uruk et Babylone, menèrent droit à la création de déserts). Et il ne s’agit que de son aspect (anti-)écologique. Sur les plans économiques et politiques, sur lesquels nous ne nous attarderons pas, nous remarquons clairement que la civilisation est une organisation sociale profondément inégalitaire. Sur le plan de la santé physique et mentale, sur lequel nous ne nous attarderons pas non plus, soulignons simplement que l’incidence des troubles psychologiques augmente (stress, angoisses, dépressions, suicides), ainsi que de bien d’autres maladies de civilisation (diabète, athérosclérose, asthme, allergies, obésité et cancer). Perte de sens généralisée et malbouffe industrielle aidant.

Seulement, et c’est là un autre problème majeur, le renoncement ne fait absolument pas partie de l’idéologie progressiste de la civilisation, qui le tient en horreur. Toute la propagande culturelle des organes du pouvoir s’est attelée, et s’attèle, depuis déjà des décennies, à diaboliser le passé, à le déprécier, et à le diffamer. Le Moyen Âge est présenté comme une période sombre, violente et terrible, la préhistoire est largement ignorée et son appellation (pré-) sert clairement à la faire passer pour ce qui n’est pas encore de l’histoire, pour un état de gestation, infantile, qui donne ensuite naissance à la seule période importante : l’Histoire. Comme si l’humanité et la vie en général n’avaient aucun intérêt avant l’invention (catastrophique) de l’histoire, de l’écriture, de la civilisation. Des remarques stupides et insidieuses viennent ternir l’image de la vie passé, et cherchent à donner l’impression que plus on remonte dans le temps, plus on s’enfonce dans la « barbarie ».

Tandis que, pour reprendre les mots de Philip Slater : « l’histoire […] est en très grande majorité, même aujourd’hui, un récit des vicissitudes, des relations et des déséquilibres créés par ceux qui sont avides de richesse, de pouvoir, et de célébrité ».

Tout le discours « civilisé », depuis l’invention de la civilisation, consiste à dénigrer le sauvage, le barbare, le non-civilisé. Et pourtant le latin silva « forêt » donne en bas latin salvaticus, altération du latin classique silvaticus. Sylvestre signifie : « forestier ». Sauvage en est venu à signifier : qui vit en liberté dans la forêt. Le discours des « civilisés », de ceux qui n’hésitent pas à raser des forêts entières pour construire leurs cités, vise donc clairement à rabaisser ceux qui vivent dans la forêt. Le mépris de la civilisation pour le monde naturel, pour l’écologie planétaire, se manifeste on ne peut plus clairement dans cette dichotomie civilisé/bon, sauvage/mauvais (ou arriéré, archaïque).

Aujourd’hui, les derniers « sauvages » sont aussi les derniers groupes humains à vivre sur la planète sans la détruire, contrairement à ce que suggère l’expression « mythe du bon sauvage » (et ses inventeurs civilisés, bien évidemment). Sans idéaliser les peuplades indigènes à travers l’histoire, dont les modes de vie n’étaient (et ne sont) certainement pas exempts d’imperfections, de précarité, et de difficultés, il devrait être clair qu’eux ne détruisent pas le monde, comme les « civilisés ». L’argument avancé afin de soutenir l’idée selon laquelle les peuples de fourrageurs détruisaient aussi leur environnement consiste à pointer du doigt les extinctions du pléistocène, comme une preuve irréfutable et suffisante de la destructivité inhérente au mode de vie des chasseurs-cueilleurs. Dans son livre « The Story of B », Daniel Quinn, un écrivain américain, aborde le sujet :

Question : Vous dites que l’être humain a vécu en paix avec le monde pendant les millions d’années qui précédèrent notre révolution agricole. Mais de récentes découvertes n’ont-elles pas révélées que les anciens peuples fourrageurs ont chassé beaucoup d’espèces jusqu’à extinction ?

Réponse : Je crois que je me souviens encore des mots que j’ai utilisés il y a un moment à peine, lorsque je disais que l’être humain vivait en paix avec le monde : « cela ne signifie pas qu’il marchait sur Terre à la manière du Bouddha. Simplement qu’il vivait de manière aussi anodine que la hyène, que le requin ou que le serpent à sonnette ». Lorsqu’une nouvelle espèce vient au monde, des ajustements se produisent au sein de la communauté du vivant — et certains de ces ajustements s’avèrent fatals pour certaines espèces. Par exemple, lorsque les puissants et véloces chasseurs de la famille des félins apparurent à la fin de l’éocène, cela entraina des répercussions au sein de toute la communauté — et parfois des extinctions. Les espèces qui constituaient des « proies faciles » s’éteignirent parce qu’elles ne pouvaient se reproduire assez rapidement pour remplacer les individus que les félins emportaient. Certaines espèces concurrentes des félins s’éteignirent aussi, pour la simple raison qu’elles étaient dépassées — pas assez puissantes ou pas assez rapides. Ces apparitions et disparitions d’espèces sont le fondement de l’évolution, après tout.

Les chasseurs humains de la période du mésolithique ont peut-être chassé le mammouth jusqu’à extinction, mais ils ne l’ont certainement pas fait de manière volontaire, comme les agriculteurs de notre culture chassent les coyotes et les loups, simplement pour s’en débarrasser. Les chasseurs du mésolithique ont peut-être chassé le Mégacéros jusqu’à extinction, mais ils ne l’ont certainement pas fait par indifférence totale, comme les chasseurs d’ivoire massacrent les éléphants. Les chasseurs d’ivoire savent bien que chaque tuerie rapproche l’espèce de l’extinction, mais les chasseurs du mésolithique n’avaient aucun moyen de deviner que c’était ce qui attendait le Mégacéros.

Il est important de garder à l’esprit le fait que la politique de l’agriculture totalitaire consiste à éradiquer les espèces jugées indésirables. Si les anciens fourrageurs ont chassé une espèce jusqu’à extinction, ce n’était pas parce qu’ils voulaient se débarrasser de leur propre nourriture !

De la part de membres de la culture la plus destructrice et toxique que le monde ait jamais portée (la civilisation), l’affirmation selon laquelle le non-civilisé qui vit en harmonie avec la nature est un mythe, en plus d’être largement absurde et fausse, est d’une prétention invraisemblable et relève d’un mépris colossal envers toutes les cultures autres que la glorieuse civilisation. En effet, au-delà du fait que les extinctions du pléistocène (pour lesquelles certains groupes humains, et pas tous les sauvages, ou tous les indigènes, en un bon gros amalgame simplificateur comme on aime à en faire pour ne pas trop penser, seraient à blâmer) sont également liées à d’autres facteurs, tout ce que nous en savons aujourd’hui reste dans le domaine de la théorie, et ne pourra qu’y demeurer. Bien des chercheurs, anthropologues, préhistoriens et autres, soutiennent d’ailleurs la thèse inverse (comme Loren Eiseley, ancien président de l’Institut américain de Paléontologie, ou le biologiste Ken Fischman, ou encore l’archéologue Donald Grayson). Toujours est-il que nous savons aujourd’hui, grâce à l’étude de peuples chasseurs-cueilleurs encore existants, que les pratiques des non-civilisés soutiennent bien souvent l’intégrité écologique.

Par exemple, d’après John Gowdy, professeur de sciences et technologies dans l’état de New-York :

« Les chasseurs-cueilleurs sont bien plus que d’intéressantes reliques du passé dont l’histoire pourrait nous fournir des informations intéressantes sur d’autres manières de vivre. Les chasseurs-cueilleurs ainsi que d’autres peuples indigènes existent encore et nous montrent encore des alternatives à l’individualisme possessif du monde capitaliste. Les peuples indigènes sont bien souvent, et dans le monde entier, en première ligne des luttes pour la dignité humaine et la protection environnementale (Nash 1994). Malgré les assauts contre les cultures du monde, de nombreux peuples indigènes maintiennent, et parfois développent des alternatives à l’homme économique (Lee 1993, Sahlins 1993). Ces alternatives pourraient un jour nous mener vers une nouvelle économie, écologiquement soutenable et socialement juste ».

Ou, comme nous pouvons le lire dans une étude sur « les rôles et les impacts des chasseurs-cueilleurs sur les chaines alimentaires marines du Pacifique Nord », publiée le 17 février 2016, sur le site de la revue scientifique Nature:

« […] Un fourrageage important, assisté par une technologie limitée, et pratiqué par une population humaine aux proies changeantes, soutenait l’intégrité écologique ».

Ou encore, comme l’explique Madhav Gadgil, professeur de biologie à Harvard, dans un article sur « les savoirs indigènes et la conservation de la biodiversité » :

« Les preuves abondent de savoirs et de pratiques indigènes associés à une augmentation de la biodiversité environnementale ».

Et enfin, comme nous le rapportions dans un article publié en août 2016, intitulé « En Colombie-Britannique, avant la civilisation, les Premières Nations enrichissaient l’environnement », que nous avons traduit et publié sur notre site :

L’occupation humaine est habituellement associée avec des paysages écologiques détériorés, mais une nouvelle recherche montre que 13 000 années d’occupation régulière de la Colombie Britannique par des Premières Nations ont eu l’effet inverse, en augmentant la productivité de la forêt vierge tempérée.

Andrew Trant, un professeur de la faculté d’environnement de l’université de Waterloo, en ressources et soutenabilité, a dirigé cette étude en partenariat avec l’université de Victoria et l’Institut Hakai. Leur recherche combinait des données de télédétections écologiques et archéologiques de sites côtiers où les Premières Nations ont vécu pendant des millénaires. Elle montre que les arbres poussant sur les anciens lieux d’habitation sont plus grands, plus larges et en meilleure santé que ceux de la forêt environnante. Cette découverte s’explique, en grande partie, par les dépôts de coquillages et les feux.

« Il est incroyable qu’à une époque où tant de recherches nous montrent les legs nocifs que les gens laissent derrière, nous observions une histoire opposée », explique Trant. « Ces forêts prospèrent grâce à leur relation avec les Premières Nations de la côte. Pendant plus de 13 000 ans – 500 générations – ils ont transformé ce paysage. Cette région, qui, à première vue, semble intacte et sauvage, est en réalité hautement modifiée et améliorée grâce à une culture humaine ».

Ce qui se cache derrière la popularité de l’expression « mythe du bon sauvage », c’est en réalité tout le caractère raciste de l’idéologie du progrès (caractéristique de la civilisation), justifiant ainsi le sort réservé à ces sauvages, qui ne sont pas considérés comme « bons » (une façon déguisée de dire qu’ils sont mauvais). Rayer du champ des possibles, ou du souhaitable, l’idée d’un mode de vie « sauvage », libre, en lien avec le monde sauvage, d’un mode de vie pourtant infiniment plus sain et connecté au monde naturel que celui de la culture dominante, profite au verrouillage systémique actuel, ce qui réduit l’unique voie à suivre, pour l’humanité, au seul choix (qui n’en est donc plus un) de la civilisation, à la continuité de ce que nous connaissons actuellement, et, par là même, ce qui garantit que le désastre empire, encore, et toujours.

Mais il doit en être ainsi, puisque la civilisation se caractérise par un besoin fondamental de contrôle, par une intolérance totale envers tous les modes de vie autres que le sien, et envers tout ce dont elle n’a pas ordonnancé l’existence.

C’est ce que Descartes laissait entendre lorsqu’il écrivait que l’homme devait se rendre maître et possesseur de la nature. Au lieu d’accepter le monde naturel tel qu’il est, en tentant de s’y intégrer de la meilleure manière possible, la civilisation tente de s’en extirper, de s’en séparer, de le contrôler, et finalement de le refaçonner entièrement afin qu’il se soumette à ses volontés délirantes et à sa culture de la machine.

Quoi qu’il en soit, répétons-le, le constat est sans appel. Mais du fait de son aliénation, la civilisation ne compte renoncer à aucune des pratiques qui la composent, et qui précipitent actuellement cette annihilation du vivant. Beaucoup de scientifiques reconnaissent désormais que la 6ème extinction de masse est en cours, sauf qu’à la différence des précédentes extinctions de masse, celle-ci est causée par l’être humain, et plus précisément par l’être humain « civilisé ».

Un optimisme pathologique

Ce refus de renoncer à tout ce qui est considéré comme du « progrès » (au mépris des conséquences clairement destructrices et auto-destructrices) s’appuie sur une croyance quasi-religieuse en ce que la technologie, d’une manière ou d’une autre, bien que largement responsable du problème monstrueux auquel nous faisons face, sera notre salut. L’activiste Sebastien Carew Reid, membre de l’organisation d’écologie radicale Deep Green Resistance, l’énonce comme suit, dans son article « L’optimisme et l’apocalypse » :

« Le fait que notre mode de vie requière des morts et une destruction systématique – et pour cette raison, qu’il doive être démantelé – est simplement trop lourd à gérer, et les hormones de stress déclenchent alors une réponse biologique fondamentale visant à restaurer la tranquillité mentale à tout prix. Conséquence ? Nous nous accrochons aux faux espoirs rassurants selon lesquels les technologies « vertes », les changements dans nos habitudes de consommateurs, ou le bon parti politique nous sauveront un jour, d’une façon ou d’une autre. »

En cela, le progressisme s’appuie sur un optimisme qui relève de l’auto-illusionnement, et de l’illusion de manière plus générale, ce que Sebastien Carew Reid détaille ensuite :

Robert Trivers, théoricien de l’évolution et professeur à Harvard, s’intéresse à la science de ces mécanismes de défense profondément ancrés, dans son livre Deceit and Self-Deception (Tromperie et Auto-Illusionnement, en français), et souligne « qu’il s’agit de bien plus que d’une simple erreur de calcul, d’une erreur de sous-échantillonnage, ou de systèmes valides de logique qui tournent mal de temps à autre. Il s’agit d’auto-illusionnement, c’est-à-dire d’une série de procédures de biais qui affectent tous les aspects de l’acquisition d’information et de l’analyse. Il s’agit d’une déformation systématique de la vérité à chaque étape du processus psychologique ». En d’autres termes : nous manipulons la vérité afin de réduire notre responsabilité personnelle et de rationaliser l’inaction, condamnant ainsi nos réponses pour qu’elles demeurent inappropriées et ineffectives. Trivers souligne que « le système immunitaire psychologique ne cherche pas à réparer ce qui nous rend malheureux mais à le contextualiser, à le rationaliser, à le minimiser, et à mentir à ce sujet… L’auto-illusionnement nous piège dans le système, nous offrant au mieux des gains temporaires tandis que nous échouons à régler les vrais problèmes ».

Lorsque l’on regarde dans un dictionnaire, voici une définition de l’optimisme que l’on peut trouver :

  1. Doctrine qui soutient que Dieu étant parfait, tout est nécessairement pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles (optimisme absolu), et plus généralement que, dans le monde, le bien l’emporte sur le mal, ou que le mal n’y a de sens qu’en fonction du bien.
  2. Disposition d’esprit qui consiste à voir le bon côté des choses, à trouver que tout est pour le mieux, à ne pas s’inquiéter des embarras présents et à bien augurer de l’avenir.

Cette disposition d’esprit est aujourd’hui très répandue, on le remarque à travers le succès de sites web et d’associations qui se spécialisent dans l’information « positive » comme « Positivr », « Mr Mondialisation », « We Demain », ou « Kaizen » (« le magazine 100% positif »), et à travers les « buzz » (le partage massif) des nombreux articles de grands médias supposés colporter des « bonnes nouvelles » (on ne compte plus le nombre de partages d’articles mensongers ayant pour titre quelque chose comme « Le Costa Rica tourne à 100 % avec des énergies renouvelables », ou, comme le dernier en date, repris en chœur par les médias de masse : « Las Vegas fonctionne désormais entièrement avec des énergies renouvelables »). Cette soif de « bonnes nouvelles », probablement engendrée par un sentiment général assez négatif sur l’état des choses, incite finalement beaucoup trop de gens à soutenir des initiatives qu’on leur présente insidieusement comme des changements positifs, mais qui n’en sont pas en réalité.

C’est ce que Derrick Jensen dénonce dans son dernier article intitulé « Le mythe des énergies renouvelables », où il aborde également l’absurdité de l’effervescence médiatique qui accompagne tout développement d’énergies dites « renouvelables », en analysant le cas du Costa Rica :

« Un large pan de « l’environnementalisme » – et en particulier l’activisme du mouvement climatique – en a été réduit à n’être, de fait, qu’un outil de lobbying au service d’un secteur industriel. Il s’agit d’un tour de passe-passe très habile de la part du capitalisme et des capitalistes : transformer une inquiétude très réelle vis-à-vis du réchauffement climatique en un mouvement de masse, puis utiliser ce mouvement de masse pour soutenir les objectifs de secteurs spécifiques de l’économie industrielle capitaliste.

Si vous demandez aux personnes mobilisées au sein de ce mouvement de masse pourquoi elles manifestent, elles vous répondront peut-être qu’elles essaient de sauver la planète. Mais si vous leur demandez quelles sont leurs revendications, elles vous répondront sans doute qu’elles souhaitent davantage de subventions pour les secteurs industriels du solaire, de l’éolien, de l’hydroélectrique et de la biomasse.

C’est un incroyable tour de force des relations publiques / du marketing. Je ne blâme pas les manifestants. Ce ne sont pas eux le problème. Le problème, c’est que c’est précisément la spécialité du capitalisme. Et le vrai problème, c’est que le solaire et l’hydroélectrique profitent à l’industrie, pas au monde réel. Les tortues du désert ont-elles besoin que l’on construise des centrales solaires en lieu et place de ce qui était autrefois leurs maisons ? Les saumons ont-ils besoin que l’on construise des barrages sur les rivières qui étaient autrefois leurs maisons ? Quid des silures géants du Mékong ?

Pour être clair, la nature sauvage – des mouflons canadiens du désert aux fleurs-singe du Michigan et aux halophiles de Johnson – ne bénéficie pas le moins du monde de ces soi-disant énergies alternatives. […]

De la même façon, peu importe à quel point les activistes climatiques, les politiciens et les « environnementalistes » prétendent que les barrages sont « verts » et « renouvelables », il devrait être évident qu’ils tuent les rivières. Ils tuent les zones lacustres qu’ils inondent. Ils privent les rivières situées en amont des nutriments apportés par les poissons anadromes. Ils privent les plaines d’inondation en aval des nutriments qui circulent dans les rivières. Ils privent les plages de sédiments. Ils détruisent les habitats des poissons et des autres espèces qui vivent dans les rivières sauvages, et pas dans des réservoirs tièdes à l’écoulement alenti. […]

Même en ce qui concerne les émissions de carbone, nombre de soi-disant victoires des activistes climatiques ne sont pas le fruit de réductions factuelles d’émissions carbone, mais plutôt de magouilles de comptabilité. Par exemple, voici un gros titre : « Le Costa-Rica revendique 99% d’énergie renouvelable en 2015 ». Eh bien non, désolé. Tout d’abord, il s’agit « d’électricité » pas d’énergie. Dans la plupart des pays, l’électricité représente environ 20% de l’utilisation d’énergie. Alors réduisez leur pourcentage de 99% à un peu moins de 20%.

Ensuite, l’article affirme que « les trois quarts de l’électricité du Costa Rica sont générés par des centrales hydroélectriques, profitant de l’abondant réseau hydrographique du pays et des fortes pluies tropicales ». Cette électricité est donc générée par des barrages, qui, comme nous l’avons vu, tuent les rivières. Les barrages, qui plus est, ne sont même pas « neutres en carbone », ainsi que le prétendent les gouvernements, les capitalistes et les activistes climatiques. On sait depuis des décennies que cette affirmation est fausse. Les barrages émettent tellement de méthane, un puissant gaz à effet de serre, qu’on peut les qualifier de « bombes à méthane » ou « d’usines à méthane ».

[Ce n’est pas tout, ajoutons également une autre pollution importante liée aux barrages, qui n’est pas évoquée ici, et que le quotidien suisse « Le Temps » exposait le 5 décembre 2016 dans un article intitulé : « L’empoisonnement au mercure, l’effet caché des barrages« . Plus d’infos dans cette vidéo. NdT]

Totalisant 23% de toutes les émissions de méthane par les humains, ils en sont la plus importante source d’émissions d’origine anthropique. Les barrages peuvent émettre, par unité d’énergie, jusqu’à 3 fois et demi la quantité de carbone atmosphérique émise par la combustion du pétrole, principalement parce que, comme le fait remarquer un article du New Scientist, « de larges quantités de carbone contenues dans les arbres sont relâchées lorsque le réservoir est rempli pour la première fois et que les plantes pourrissent. Après ce premier stade de désagrégation, les matières organiques décantées au fond du réservoir se décomposent en l’absence d’oxygène, ce qui a pour conséquence une accumulation de méthane dissout. Ce méthane est relâché dans l’atmosphère lorsque l’eau traverse les turbines du barrage ».

Donc lorsque qu’on vous raconte que les barrages sont « neutres en carbone », en réalité, on vous raconte qu’on « ne prend pas en compte le carbone émit par les barrages ». Mais tout cela n’est que comptabilité et n’a rien à voir avec le monde réel, qui lui, n’a que faire de la comptabilité.

Du point de vue de la santé de la planète, le mieux que l’on puisse dire des barrages est qu’ils finiront par s’effondrer, et que si la rivière est toujours en vie à ce moment-là, elle fera de son mieux pour s’en remettre. »

A propos de l’inutilité et de l’ineptie des alternatives soi-disant vertes.

En plus de n’avoir rien d’écologiques, cette nouvelle industrie des « renouvelables » ne remplace pas celles des énergies issues des combustibles fossiles, ou du nucléaire, au contraire, elles s’y ajoutent. En effet la Chine lance actuellement la construction de centrales nucléaires (« flottantes » !), la Russie, le Pakistan et l’Iran en construisent également, l’Inde construit toujours plus de centrales au charbon, etc.

Il n’y a pas de « transition énergétique », c’est un mythe, exposé, entre autres, par Jean-Baptiste Fressoz dans son texte « Pour une histoire désorientée de l’énergie », dont voici un extrait :

« La mauvaise nouvelle est que si l’histoire nous apprend bien une chose, c’est qu’il n’y a en fait jamais eu de transition énergétique. On ne passe pas du bois au charbon, puis du charbon au pétrole, puis du pétrole au nucléaire. L’histoire de l’énergie n’est pas celle de transitions, mais celle d’additions successives de nouvelles sources d’énergie primaire. L’erreur de perspective tient à la confusion entre relatif et absolu, entre local et global : si, au 20ème siècle, l’usage du charbon décroît relativement au pétrole, il reste que sa consommation croît continûment, et que globalement, on n’en a jamais autant brûlé qu’en 2013.

S’extraire de l’imaginaire transitionniste n’est pas aisé tant il structure la perception commune de l’histoire des techniques, scandée par les grandes innovations définissant les grands âges techniques. À l’âge du charbon succéderait celui du pétrole, puis celui (encore à venir) de l’atome. On nous a récemment servi l’âge des énergies renouvelables, celui du numérique, de la génétique, des nanos etc. Cette vision n’est pas seulement linéaire, elle est simplement fausse : elle ne rend pas compte de l’histoire matérielle de notre société qui est fondamentalement cumulative. »

Le constat est sans appel, et il empire. Avec l’industrialisation des pays en développements, de l’Afrique, de l’Amérique du Sud, de l’Asie, la consommation en matières premières ne va faire que grimper en flèche, et avec elle les pollutions et les dégradations environnementales. Les dirigeants des grandes corporations mondiales, qui se fichent éperdument de la situation écologique planétaire, voient dans l’électrification des pays en développement, dans leur reliage à la société industrielle de consommation d’objets superflus et toxiques, une opportunité de croissance, de profits, d’expansion. Le mode de vie dont on sait qu’il est largement insoutenable dans les pays dits « développés », ils l’étendront au monde entier.

C’est en cela que l’optimisme de beaucoup trop de gens, qui les pousse à croire en un salut par l’innovation technologique, en un réformisme de la civilisation, plutôt qu’à exiger son démantèlement total, relève de l’auto-illusionnement, de l’illusion, et finalement du mensonge. Et c’est en cela qu’il est dangereux, puisqu’il permet à tous les individus qui composent la civilisation industrielle de rationaliser leur participation à un problème qu’ils font alors durer, et empirer, mais avec l’espoir qu’il finira un jour par cesser de s’aggraver, d’une façon ou d’une autre, une fois que suffisamment d’innovations technologiques auront vu le jour.

Ainsi, au lieu de défendre le peu de nature sauvage qu’il reste, ils cherchent à défendre un mode de vie destructeur mais confortable, dont ils ne supportent pas l’idée qu’il puisse ne pas être viable, purement et simplement.

Ensuite parce qu’en se concentrant sur quelques détails, quelques initiatives qu’ils s’acharnent à considérer comme « positives », mais qui ne le sont que très rarement (cf. le mythe des énergies renouvelables), ils occultent la réalité massive des faits, qui nous indique très clairement un empirement constant de la situation, et n’en mesurent absolument pas l’urgence.

La nécessité de renoncer à l’industrialisme, et donc à la production de masse de hautes-technologies, d’objets électroniques et électroménagers en tous genres, de marchandises alimentaires usinées en tous genres, de médicaments pharmaceutiques industriels en tous genres, etc., est donc repoussée, au bénéfice d’éco-innovations mensongères, et au détriment de la nature. Et cela, nous pouvons tous le constater, partout et tous les jours.

Bien sûr, des campagnes de propagande médiatique massive, qui servent à entretenir le mythe de ces « illusions vertes », ainsi que les qualifie le chercheur américain Ozzie Zehner, sont diffusées en continu. Campagnes qui leurrent le grand public en lui racontant que le changement climatique est l’ennemi numéro 1, tandis qu’il est « l’effet secondaire d’un mode de vie déjà profondément nuisible pour la planète », comme nous l’écrivions dans un précédent article, où nous analysions la manière dont les médias de masse présentent la crise écologique :

« En ignorant les problèmes liés aux fondements même du mode de vie urbain, en plaçant le changement climatique en ennemi numéro 1, l’agriculture en deuxième position, et le braconnage ensuite, le principal est passé sous silence. La manipulation est habile. Ils présentent alors une liste de problèmes qui semblent solubles, et dont les « solutions » ne mettent pas en danger le système économique mondialisé de la civilisation industrielle, puisque au contraire, elles lui offrent de nouvelles possibilités de gains financiers, avec la fameuse croissance « verte ». Les énergies « propres » (« vertes » ou « renouvelables » selon le choix de l’équipe marketing) sont alors présentées comme une solution au changement climatique, l’agriculture bio™ comme une solution aux problèmes liés à l’agriculture industrielle, l’implémentation de plus de lois et de plus de règlements comme une solution aux problèmes liés au braconnage, et ainsi de suite. Fondamentalement, rien ne change. L’essentiel, selon eux, qui n’est pas la santé de la planète, pas la préservation de la biodiversité, mais la continuation d’un mode de vie hautement technologique et d’un ordre économique inégalitaire (avec des puissants et des faibles, des pauvres et des riches), qui est le « progrès », le « développement » ou « la croissance », est sauf. »

L’empire de l’illusion ne doit jamais se dissiper. Son rôle prépondérant à travers l’histoire des civilisations est décrit par Gustave Le Bon dans son livre sur « la psychologie des foules » :

« Depuis l’aurore des civilisations les foules ont toujours subi l’influence des illusions. C’est aux créateurs d’illusions qu’elles ont élevé le plus de temples, de statues et d’autels. Illusions religieuses jadis, illusions philosophiques et sociales aujourd’hui, on retrouve toujours ces formidables souveraines à la tête de toutes les civilisations qui ont successivement fleuri sur notre planète. C’est en leur nom que se sont édifiés les temples de la Chaldée et de l’Égypte, les édifices religieux du moyen âge, que l’Europe entière a été bouleversée il y a un siècle, et il n’est pas une seule de nos conceptions artistiques, politiques ou sociales qui ne porte leur puissante empreinte. […] L’illusion sociale règne aujourd’hui sur toutes les ruines amoncelées du passé, et l’avenir lui appartient. Les foules n’ont jamais eu soif de vérités. Devant les évidences qui leur déplaisent, elles se détournent, préférant déifier l’erreur, si l’erreur les séduit. Qui sait les illusionner est aisément leur maître; qui tente de les désillusionner est toujours leur victime. »

Ce rôle pourrait être comparé à celui du Soma du fameux roman d’Aldous Huxley, « Le meilleur des mondes », tel qu’il le décrit lui-même :

« La ration de soma quotidienne était une garantie contre l’inquiétude personnelle, l’agitation sociale et la propagation d’idées subversives. Karl Marx déclarait que la religion était l’opium du peuple, mais dans le Meilleur des Mondes la situation se trouvait renversée : l’opium, ou plutôt le soma, était la religion du peuple. Comme elle, il avait le pouvoir de consoler et de compenser, il faisait naître des visions d’un autre monde, plus beau, il donnait l’espoir, soutenait la foi et encourageait la charité.

[…] Le soma de ma fable avait non seulement la propriété de tranquilliser, d’halluciner et de stimuler, mais aussi d’augmenter la suggestibilité et pouvait donc être utilisé pour renforcer les effets de la propagande gouvernementale. »

Le journaliste australien John Pilger, grand reporter de guerre indépendant, dont nous avons sous-titré le dernier (excellent) documentaire, intitulé « The Coming War On China » (en français : La menace d’une guerre contre la Chine), qui vient de sortir en décembre 2016, écrit que « les vérités officielles sont souvent de puissantes illusions ». Toute son œuvre, tous ses films documentaires et ses livres, sont une dénonciation des manipulations et des illusions qu’entretiennent les puissants dans leur quête de contrôle et de pouvoir.

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Le mythe des ONG

ou Comment l’ONG-isation étouffe la résistance

Parmi cet ensemble de « puissantes illusions », on retrouve le secteur des ONG, qui joue un rôle de plus en plus grand dans l’ingénierie sociale, très bien dénoncé par l’auteure et militante indienne Arundhati Roy :

« La plupart des ONG sont financées et patronnées par les agences d’aide au développement, qui sont à leur tour financées par les gouvernements occidentaux, la Banque mondiale, les Nations unies et quelques entreprises multinationales. Sans être identiques, ces agences font partie d’un ensemble politique aux contours flous qui supervise le projet néolibéral et dont la demande prioritaire est d’obtenir des coupes drastiques dans les dépenses gouvernementales.

[…] Au bout du compte — sur une plus petite échelle, mais de manière plus insidieuse — le capital mis à la disposition des ONG joue le même rôle dans les politiques alternatives que les capitaux spéculatifs qui entrent et sortent des économies des pays pauvres. Il commence par dicter l’ordre du jour. Il transforme ensuite la confrontation en négociation. Il dépolitise la résistance et interfère avec les mouvements populaires locaux, qui sont traditionnellement indépendants. Les ONG manient des budgets leur permettant d’employer des personnels locaux, qui auraient autrement été des militants dans les mouvements de résistance, mais qui désormais peuvent sentir qu’ils font le bien de manière immédiate et créative (et tout cela en gagnant leur vie). La résistance politique réelle n’offre pas ce genre de raccourcis.

L’ONG-isation de la politique menace de transformer la résistance en un travail courtois, raisonnable, payé, et en 35h. Avec quelques bonus en plus. La vraie résistance a de vrais coûts. Et aucun salaire. »

Financé par les mêmes capitaux qui dirigent l’économie mondiale, le secteur des ONG ne s’oppose pas à l’ordre institutionnel actuel mais lui sert à désamorcer la contestation, en transformant des hordes de manifestants en lobbyistes pour divers secteur industriels de la croissance soi-disant « verte », par exemple.

Le journaliste français Fabrice Nicolino, dans son livre « Qui a tué l’écologie », ajoute d’ailleurs, à propos des grandes ONG écologistes françaises, que :

« Leur baratin, car c’en est un, consiste à pleurnicher chaque matin sur la destruction de la planète, avant d’aller s’attabler le midi avec l’industrie, dont le rôle mortifère est central, puis d’aller converser avec ces chefs politiques impuissants, pervers et manipulateurs qui ne pensent qu’à leur carrière avant de signer les autorisations du désastre en cours.

On hésite devant le qualificatif. Misérable, minable, honteux, dérisoire, tragicomique ? Qu’importe. Les écologistes de salon ont failli pour de multiples raisons, que j’ai essayé d’entrevoir dans ce livre. Certains d’entre eux demeurent valeureux, et je ne doute pas de les croiser sur ma route, ni même de cheminer de concert. […]

Je ne crois pas être — toujours — naïf. On ne proclame pas une nouvelle époque. Nul décret ne peut venir à bout des vieilles lunes exténuées. Le mouvement écologiste français, sous sa forme actuelle, doit disparaitre. Peut-être bien, au passage, changer de nom. Mais un tel mouvement des idées et des âmes ne se conçoit pas sans un sursaut historique de la société. Il faudra donc, s’ils se produisent toutefois, des tremblements de terre d’une vaste ampleur, capables d’enfouir ce qui est mort, et de laisser s’épanouir ce qui défend réellement la vie.

La jeunesse, non parce qu’elle serait plus maligne, mais pour la seule raison qu’elle est l’avenir, est la condition sine qua non du renouveau. Je n’ai aucun conseil à donner, je me contente de rêver d’une insurrection de l’esprit, qui mettrait sens dessus dessous les priorités de notre monde malade. On verra. Je verrai peut-être. Il va de soi que le livre que vous lisez sera vilipendé, et je dois avouer que j’en suis satisfait par avance. Ceux que je critique si fondamentalement n’ont d’autre choix que de me traiter d’extrémiste, et de préparer discrètement la camisole de force. Grand bien leur fasse dans leurs bureaux bien chauffés!

Moi, depuis toujours, je place mon engagement du côté des gueux de ce monde en déroute. Chez les paysans pauvres d’Afrique ou de l’Inde, chez les mingong — 200 millions de vagabonds — chinois, chez les Inuits assommés par le « progrès » en marche, chez les Indiens de l’Amazonie ou les autochtones des îles Andaman. Autant vous avouer que je me fous royalement des états d’âme des petits marquis parisiens de la galaxie écolo-mondaine. La vérité, certaine à mes yeux, est que ces gens ne sont pas à la hauteur des évènements. Ils ne sont pas les seuls. Ils ne sont pas les premiers. Ils risquent de ne pas être les derniers.

La tâche était trop lourde pour eux, très simplement. Sauver la planète, cela va bien si l’on mène le combat depuis les confortables arènes parisiennes. Mais affronter le système industriel, mené par une oligarchie plus insolente de ses privilèges qu’aucune autre du passé, c’est une autre affaire. Il faudrait nommer l’adversaire, qui est souvent un ennemi. Rappeler cette évidence que la société mondiale est stratifiée en classes sociales aux intérêts évidemment contradictoires. Assumer la perspective de l’affrontement. Admettre qu’aucun changement radical n’a jamais réussi par la discussion et la persuasion. Reconnaître la nécessité de combats immédiats et sans retenue. Par exemple, et pour ne prendre que notre petit pays, empêcher à toute force la construction de l’aéroport nantais de Notre-Dame-des-Landes, pourchasser sans relâche les promoteurs criminels des dits biocarburants, dénoncer dès maintenant la perspective d’une exploitation massive des gaz de schistes, qui sera probablement la grande bataille des prochaines années.

[…] Il faudrait enfin savoir ce que nous sommes prêts à risquer personnellement pour enrayer la machine infernale. Et poser sans frémir la question du danger, de la prison, du sacrifice. Car nous en sommes là, n’en déplaise aux Bisounours qui voudraient tellement que tout le monde s’embrasse à la manière de Folleville.

Au lieu de quoi la grandiose perspective de remettre le monde sur ses pieds se limite à trier ses ordures et éteindre la lumière derrière soi. Les plus courageux iront jusqu’à envoyer un message électronique de protestation et faire du vélo trois fois par semaine, se nourrissant bien entendu de produits bio. J’ai l’air de me moquer, mais pas de ceux qui croient agir pour le bien public. J’attaque en fait cette immense coalition du « développement durable » qui a intérêt à faire croire à des fadaises. Car ce ne sont que de terribles illusions. Il est grave, il est même criminel d’entraîner des millions de citoyens inquiets dans des voies sans issue.

Non, il n’est pas vrai qu’acheter des lampes à basse consommation changera quoi que ce soit à l’état écologique du monde. La machine broie et digère tous ces gestes hélas dérisoires, et continue sa route. Pis, cela donne bonne conscience. Les plus roublards, comme au temps des indulgences catholiques, voyagent en avion d’un bout à l’autre de la terre autant qu’ils le souhaitent, mais compensent leur émission de carbone en payant trois francs six sous censés servir à planter quelques arbres ailleurs, loin des yeux. On ne fait pas de barrage contre l’océan Pacifique, non plus qu’on ne videra jamais la mer avec une cuiller à café. Les dimensions du drame exigent de tout autres mesures. Et il y a pire que de ne rien faire, qui est de faire semblant. Qui est de s’estimer quitte, d’atteindre à la bonne conscience, et de croire qu’on est sur la bonne voie, alors qu’on avance en aveugle vers le mur du fond de l’impasse. »

Dans un récent article où nous résumons le travail de la journaliste canadienne Cory Morningstar, cette critique des grandes ONG écologistes est largement détaillée. En analysant le discours de la principale d’entre elles, financée par les Rockefeller et par Warren Buffett, entre autres, à savoir l’ONG 350.org, elle expose clairement en quoi « le but n’est plus de protéger la nature et toutes les créatures vivantes. Au contraire, l’objectif est désormais de privilégier la technologie au détriment du monde naturel et du vivant. De soutenir une « révolution pour les énergies propres », aux frais du peu qu’il reste de nature et de vie non-humaine, et au bénéfice de la satisfaction des désirs des civilisés ».

En plus de l’ONG-isation de la résistance que dénoncent Arundhati Roy et Fabrice Nicolino, la culture de la célébrité, de plus en plus prégnante, participe elle aussi de cette « coalition du développement durable qui a intérêt à faire croire en des fadaises ». En ce sens le secteur des ONG et la culture de la célébrité (qui font partie du complexe industriel non-lucratif, dont parle Cory Morningstar) rejoignent et encouragent l’écocitoyennisme que nous aborderons plus loin.

L’industrie des panneaux solaires requiert de multiples matériaux listés en avril 2016 par le site Resource Investor, dont, entre autres : l’arsenic (semi-conducteur), l’aluminium, le bore (semi-conducteur), le cadmium (utilisé dans certains types de cellules photovoltaïques), le cuivre (câblage et certains types de cellules photovoltaïques), le gallium, l’indium (utilisé dans les cellules photovoltaïques), le minerai de fer (acier), le molybdène (cellules PV), le phosphore, le sélénium, le silicium, l’argent, le tellure et le titane. La mine ci-dessus produit (entre autres) du cadmium et de l’argent. Peu importe le type de panneau solaire que vous parvenez à imaginer, vous aurez besoin de métaux et d’autres ressources en quantités industrielles. Et c’est cela même qui garantit le caractère anti-écologique de l’industrie des renouvelables comme de toutes les industries.

Perspectives

Mais avant, terminons notre bilan. Toutes les tendances actuelles l’indiquent sans l’ombre d’un doute : la civilisation ne cesse de croître, démographiquement comme géographiquement, de s’étendre et d’engloutir toujours plus de biomes, précipitant toujours plus d’espèces vers l’extinction, année après année (des espèces aussi symboliques que les girafes, les éléphants et les guépards sont désormais gravement menacées) ; la fonte de l’Arctique à cause du réchauffement climatique incite des industriels de tous bords à organiser des conférences pour discuter de l’utilisation de l’espace ainsi dégagé (forages pétroliers ? exploitations minières ? tourisme de masse ? transports commerciaux ? tout est mis sur le tapis) ; les États-Unis et la Chine connaissent des tensions croissantes, et renforcent leurs arsenaux militaires (et nucléaires) ; les États-Unis et la Russie connaissent des tensions croissantes, et renforcent leurs arsenaux militaires (et nucléaires) ; la Russie développe actuellement un missile appelé « Satan II », porteur de plus de 10 têtes nucléaires, et capable d’anéantir instantanément du globe une zone aussi grande que la France ; le commerce d’armement de la France est d’ailleurs florissant, elle qui vient de vendre 12 sous-marins nucléaires à l’Australie, pourrait être, d’ici 2020, le deuxième vendeur d’arme du monde, devant la Russie ; le pôle Nord connait actuellement des températures de 30°C plus chaudes que les normales ; l’industrialisation (le développement) de l’Afrique (et des pays « en développement ») accélère ; des projets destructeurs d’extractions minières bourgeonnent actuellement un peu partout dans le monde, en France, en Australie, en Afrique, en Guyane, au fond des mers ou au Groenland ; la consommation en gadgets électroniques toxiques et aliénants (télévisions, portables, smartphones, tablettes, etc.) est en augmentation constante, et explose dans les pays en développement, avec leur industrialisation, (la civilisation du divertissement industriel de masse peut se targuer de ce qu’1,4 milliards de foyers sur les 1,8 que compte l’humanité possèdent au moins une télévision ! un nombre qui ne cesse de croître, nous indiquant l’expansion de la société du spectacle et la progression de la standardisation du monde) ; finalement, tous les indicateurs de bonne santé écologique clignotent d’un rouge de plus en plus vif.

Et pourtant, le gros du mouvement écologiste se leurre complètement dans l’écocitoyennisme en défendant « le développement des énergies renouvelables » (et les autres gestes de l’écocitoyen modèle, suggérés par les brochures officielles publiées par l’ONU, et par les différents gouvernements), cf. le dernier film de Marie-Monique Robin (et le mouvement des « colibris », avec Cyril Dion, Pierre Rabhi & Co.), où l’on s’extasie également de ce qu’une charrette tirée par un cheval remplace l’autobus dans un petit village en Alsace. Ce qui serait drôle si ce n’était tragique.

Le combat psychologique, physique et politique difficile qui doit être mené ne doit certainement pas avoir de tels objectifs, qui s’inscrivent dans un réformisme tout à fait illusoire, qui, même s’il était généralisé, ne stopperait pas la destruction de la planète.

Tant qu’à la tête des états, et de la civilisation industrielle qu’ils composent, on retrouvera des institutions inhumaines, expansionnistes et destructrices comme la corporatocratie mondiale actuelle, ce conglomérat de banques, de multinationales, de superpuissances étatiques, et de complexes militaro-industriels, la situation ne cessera d’empirer. Et ce ne sont pas des charrettes tirées par des chevaux qui les mettront hors d’état de nuire (parce que dans quelques villages des charrettes remplaceront des bus, la France va cesser de vendre des sous-marins nucléaires à l’Australie ? Conception étrange de la politique ou ignorance volontaire des vrais problèmes ?). Encore moins des centrales solaires, puisqu’ils en sont les bénéficiaires (les grands projets de parcs éoliens, de centrales solaires, etc., sont le fait de multinationales et de grands groupes industriels qui investissent par ailleurs dans tous les autres aspects anti-écologiques de la civilisation, plus de détails à la fin de cet article). D’ailleurs, un certain nombre d’entreprises extractivistes alimentent leurs installations minières à l’aide d’énergies renouvelables (solaire et éolien, principalement).

(Un autre exemple qui nous montre en quoi le réformisme de ces écocitoyens tente à peine d’adoucir les formes sans se rendre compte que même le fond est problématique : même si le choix des basses technologies (low-tech) comme la traction animale est une bonne chose, il ne suffit pas de trouver le moyen le plus écologique possible pour emmener les enfants à l’école, il faudrait avant cela se demander si l’école est une bonne chose.)

Pendant que de joyeux « écologistes » essaient de combiner un maximum de gestes écocitoyens pour sauver la planète, en économisant de l’eau, ou en remplaçant un bus scolaire par un cheval et une charrette, ailleurs, des capitalistes construisent des terrains de golf extrêmement consommateur en eau, des villes en plein déserts se développent et des chevaux sont remplacés par des bus dans des pays en développement. Le développement « durable » participe d’ailleurs lui aussi de la standardisation du monde dénoncée par le politologue James C. Scott, et qui ne cesse de progresser:

Le principal facteur d’extinction n’est nul autre que l’ennemi juré de l’anarchiste, l’État, et en particulier l’État-nation moderne. L’essor du module politique moderne et aujourd’hui hégémonique de l’État-nation a déplacé et ensuite écrasé toute une série de formes politiques vernaculaires : des bandes sans État, des tribus, des cités libres, des confédérations de villes aux contours souples, des communautés d’esclaves marrons et des empires. À leur place, désormais, se trouve partout un modèle vernaculaire unique : l’État-nation de l’Atlantique Nord, tel que codifié au XVIIème siècle et subséquemment déguisé en système universel. En prenant plusieurs centaines de mètres de recul et en ouvrant grand les yeux, il est étonnant de constater à quel point on trouve, partout dans le monde, pratiquement le même ordre institutionnel: un drapeau national, un hymne national, des théâtres nationaux, des orchestres nationaux, des chefs d’État, un parlement (réel ou fictif), une banque centrale, une liste de ministères, tous plus ou moins les mêmes et tous organisés de la même façon, un appareil de sécurité, etc. […]

Une fois en place, l’État (nation) moderne a entrepris d’homogénéiser sa population et les pratiques vernaculaires du peuple, jugées déviantes. Presque partout, l’État a procédé à la fabrication d’une nation: la France s’est mise à créer des Français, l’Italie des Italiens, etc.

Cette tâche supposait un important projet d’homogénéisation. Une grande diversité de langues et de dialectes, souvent mutuellement inintelligibles, a été, principalement par la scolarisation, subordonnée à une langue nationale, qui était la plupart du temps le dialecte de la région dominante. Ceci a mené à la disparition de langues, de littératures locales, orales et écrites, de musiques, de récits épiques et de légendes, d’un grand nombre d’univers porteurs de sens. Une énorme diversité de lois locales et de pratiques a été remplacée par un système national de droit qui était, du moins au début, le même partout.

Une grande diversité de pratiques d’utilisation de la terre a été remplacée par un système national de titres, d’enregistrement et de transfert de propriété, afin d’en faciliter l’imposition. Un très grand nombre de pédagogies locales (apprentissage, tutorat auprès de « maîtres » nomades, guérison, éducation religieuse, cours informels, etc.) a généralement été remplacé par un seul et unique système scolaire national.

[…] Aujourd’hui, au-delà de l’État-nation comme tel, les forces de la standardisation sont représentées par des organisations internationales. L’objectif principal d’institutions comme la Banque mondiale, le FMI, I’OMC, l’Unesco et même l’Unicef et la Cour internationale est de propager partout dans le monde des standards normatifs (des « pratiques exemplaires ») originaires, encore une fois, des nations de l’Atlantique Nord. Le poids financier de ces agences est tel que le fait de ne pas se conformer à leurs recommandations entraîne des pénalités considérables qui prennent la forme d’annulations de prêts et de l’aide internationale. Le charmant euphémisme « harmonisation » désigne maintenant ce processus d’alignement institutionnel. Les sociétés multinationales jouent également un rôle déterminant dans ce projet de standardisation. Elles aussi prospèrent dans des contextes cosmopolites familiers et homogénéisés où l’ordre légal, la réglementation commerciale, le système monétaire, etc. sont uniformes. De plus, elles travaillent constamment, par la vente de leurs produits et services et par la publicité, à fabriquer des consommateurs, dont les goûts et les besoins sont leur matière première.

[…] Le résultat est une sévère réduction de la diversité culturelle, politique et économique, c’est-à-dire une homogénéisation massive des langues, des cultures, des systèmes de propriété, des formes politiques et, surtout, des sensibilités et des mondes vécus qui leur permettent de perdurer. Il est maintenant possible de se projeter avec angoisse au jour, dans un avenir rapproché, où l’homme d’affaires de l’Atlantique Nord, en sortant de l’avion, trouvera partout dans le monde un ordre institutionnel (des lois, des codes de commerce, des ministères, des systèmes de circulation, des formes de propriétés, des régimes fonciers, etc.) tout à fait familier. Et pourquoi pas? Ces formes sont essentiellement les siennes. Seuls la cuisine, la musique, les danses et les costumes traditionnels demeureront exotiques et folkloriques… bien que complètement commercialisés.

L’évolution de Kuala Lumpur, en Malaisie. La croissance de villes (l’urbanisation du monde) est une catastrophe écologique, en cours.

C’est d’un mouvement de résistance politique organisé dont nous avons besoin, capable de mettre hors d’état de nuire les systèmes de pouvoir dominants, pas d’individus qui, séparément, tentent de faire au mieux au sein de structures inégalitaires et d’infrastructures intrinsèquement antiécologiques.

Soutenir l’installation de panneaux solaires, d’éoliennes, de soi-disant énergies « renouvelables », l’agriculture biologique en tant que label inventé par et pour la société industrielle (qu’elle dévoie d’ailleurs de plus en plus), le tri des déchets, le fait de favoriser le vélo à la voiture, etc., toutes ces actions, ces écogestes, ce comportement de l’écocitoyen modèle, ne s’inscrivent pas dans une lutte contre les systèmes de pouvoirs, qui les encouragent d’ailleurs paternellement, ils tentent simplement de faire au mieux avec (seulement, ce mieux s’avère limité par définition). Non seulement leurs meilleurs efforts ne seront-ils jamais suffisants pour parvenir à un mode de vie vraiment soutenable, mais en plus, leurs initiatives ne dérangent pas le moins du monde l’ordre institutionnel responsable du désastre.

Bercés de douces illusions sur l’avenir et captifs du mythe du progrès, les écocitoyens ne supportent pas tout ce qui est conflictuel, et par là même, sont totalement incapables de résister contre, puisqu’ils ne peuvent qu’être pour (positivisme et optimisme maladifs obligent). Ils en oublient que toute lutte implique un adversaire, et que s’il y a des victimes c’est qu’il y a des agresseurs. Ils espèrent illusoirement que ceux qui tirent profits de l’état des choses, et qui l’imposent à l’aide de la violence, changeront et cesseront de le faire parce que quelques citoyens le demandent gentiment.

Cette incapacité à connaître son ennemi, comme l’écrivait Sun Tzu, et même à reconnaître qu’il existe un ennemi, chez beaucoup de militants des luttes socio-écologiques, notamment chez les écocitoyennistes et chez la plupart des habitants de la civilisation industrielle en général (qui, pour beaucoup, ne remarquent même pas ou refusent d’admettre la servitude moderne qui caractérise leur condition), s’explique en partie par le revirement sémantique opéré dans le langage officiel. Très bien décrits par Franck Lepage et ses camarades de la SCOP Le Pavé, les changements effectués dans la terminologie employée par les institutions de pouvoir visent à faire disparaître toute notion de conflit, d’exploitation, de subordination, de soumission, et finalement tout ce qui relève de l’injustice ou de l’inégalité. Ainsi, en faisant en sorte que le débat social soit dépourvu de toute notion conflictuelle, ceux au pouvoir garantissent la paix sociale. Privées des mots qui désignent leur conditions réelles d’exploitées, qui décrivent les relations de pouvoir et hiérarchiques pour ce qu’elles sont, les populations se retrouvent incapables de penser leur état. Le pauvre n’est plus pauvre, il est défavorisé, le balayeur devient un technicien de surface, l’handicapé n’est plus qu’une personne à mobilité réduite, le licenciement devient un plan de sauvegarde de l’emploi, les employés deviennent des associés, les clochards des SDF, et ainsi de suite.

Dans le domaine des idées sur l’état de la planète, la règle de base est que tout ce qui pourrait sembler négatif (destruction, pillage…) doit être évoqué par un terme positif (progrès, flexibilité, modernisation…). Rien n’est détruit, tout est « valorisé ». Les déforestations et les extractions minières sont qualifiées de « développement des ressources naturelles ». Toutes ces manipulations sémantiques désamorcent jusqu’à la conscience des problèmes auxquels nous faisons face, au niveau social comme au niveau écologique.

Nous étions présents lors de la diffusion du film documentaire « Demain » à la COP21 en novembre 2015 à Paris. Après le film, une intervenante qui répondait à une question s’échinait à défendre l’idée selon laquelle les multinationales, les corporations, ne devaient pas être perçues comme des ennemis, mais au contraire, que la « société civile » devait travailler main dans la main avec elles, qu’il fallait développer un « partenariat », et d’autres idioties du genre. Voilà où en sont rendus les promoteurs de l’écocitoyennisme. Leur incapacité à effectuer un juste diagnostic de la situation les amène à proposer des solutions qui n’en sont pas. A mauvais diagnostic, mauvais remède.

On peut également observer l’omniprésence de cette incapacité à reconnaître les causes profondes et historiques de notre situation à travers les publications des médias soi-disant indépendants ou alternatifs, comme Basta Mag et Reporterre, dont les analyses se limitent bien souvent à de l’écologie capitaliste, anthropocentrée (teintée de suprémacisme humain), bien loin de l’écologie biocentriste et de la biophilie. Un exemple. Hervé Kempf, le fondateur de Reporterre, s’apprête à publier un nouveau livre en janvier 2017, intitulé « Tout est prêt pour que tout empire – 12 leçons pour éviter la catastrophe », dont on peut lire ce qui suit dans la présentation :

« Désastre écologique, néo-libéralisme, terrorisme : voici les trois menaces qui obscurcissent le présent. On pourrait les croire distinctes. Elles sont les manifestations enchevêtrées d’une évolution commune amorcée au début des années 1980. »

Le désastre écologique (et politique, et social) a commencé il y a bien plus longtemps que cela, comme nous le soulignons plus haut. Ne pas le comprendre ou ne pas en parler, c’est occulter les pratiques humaines qui posent problème depuis des millénaires, et auxquelles on doit la transformation du croissant fertile en un désert, ainsi que celle du pourtour méditerranéen, comme le Nord de l’Afrique et la Grèce, qui étaient densément boisés avant l’arrivée de la civilisation. A ce sujet, le célèbre anthropologue Jared Diamond a écrit un article intitulé « La pire erreur de l’histoire de l’humanité », que nous avons traduit et publié, où il revient sur les conséquences désastreuses de la propagation de l’agriculture durant le néolithique, également résumées par Robert Sapolsky (chercheur en neurobiologie à l’université de Standford), dans son livre « Pourquoi les zèbres n’ont pas d’ulcère? » :

« L’agriculture est une invention humaine assez récente, et à bien des égards, ce fut l’une des idées les plus stupides de tous les temps. Les chasseurs-cueilleurs pouvaient subsister grâce à des milliers d’aliments sauvages. L’agriculture a changé tout cela, créant une dépendance accablante à quelques dizaines d’aliments domestiqués, nous rendant vulnérable aux famines, aux invasions de sauterelles et aux épidémies de mildiou. L’agriculture a permis l’accumulation de ressources produites en surabondance et, inévitablement, à l’accumulation inéquitable ; ainsi la société fut stratifiée et divisée en classes, et la pauvreté finalement inventée. »

Hippocrate a très pertinemment souligné que : « Si quelqu’un désire la santé, il faut d’abord lui demander s’il est prêt à supprimer les causes de sa maladie. Alors seulement il est possible de l’éliminer ». Bien évidemment, si vous demandez aux écocitoyens, à la plupart de ceux qui se définissent comme « écologistes » ou à la plupart des civilisés, s’ils sont prêts à renoncer à la production industrielle d’électricité (et aux autres infrastructures industrielles), et, plus généralement, au confort technologique moderne, ainsi qu’à l’économie mondialisée, et à abandonner les villes comme mode d’habitat, ils vous répondront probablement par la négative. D’où l’impossibilité d’éliminer la maladie, puisqu’ils s’y accrochent, convaincus qu’elle est en mesure de produire son propre remède, d’une façon ou d’une autre. Nous en revenons à ce que nous avions écrit plus haut, « ils cherchent à défendre un mode de vie destructeur mais confortable, dont ils ne supportent pas l’idée qu’il puisse ne pas être viable, purement et simplement ».

Vers la fin de son livre « L’État », écrit en 1949, Bernard Charbonneau aborde en quelque sorte cette idée :

Et maintenant que proposez-vous ? — Car la réaction de l’individu moderne n’est pas de rechercher la vérité, il lui faut d’abord une issue ; en fonction de laquelle doit s’établir le système. Et je m’aperçois que ma réflexion m’a conduit la ou je suis : au fond d’un abime d’impossibilités. Alors m’imputant la situation désespérante qui tient a un monde totalitaire, il me reprochera de détruire systématiquement l’espoir. « Votre critique est peut-être juste, dira-t-il, mais quelle solution apportez-vous ? — Sous- entendu, s’il n’y a pas d’issue a la situation qu’elle dénonce, votre critique doit être fausse. C’est vous qui me désespérez » … Et effectivement je suis coupable de faire son malheur, puisque sans moi cette impossibilité n’existerait pas pour sa conscience.

Vers la fin de son livre « Le jardin de Babylone », écrit en 1969, il écrit :

En réalité il n’y a probablement pas de solution au sein de la société industrielle telle qu’elle nous est donnée.[…] Pour nous et surtout pour nos descendants, il n’y a pas d’autres voies qu’une véritable défense de la nature.

Ce à quoi nous ajoutons qu’il n’y a effectivement pas d’issue et pas de solution pour faire en sorte que la civilisation industrielle, ses infrastructures et ses hautes technologies, perdurent sans détruire la planète jusqu’à se détruire elles-mêmes. Les pratiques qui leurs sont nécessaires sont intrinsèquement antiécologiques, comme nous avons tenté de l’exposer.

Égarés par le langage insidieux du pouvoir, rassurés par l’optimisme mensonger de l’idéologie du « progrès », et persuadés que tout va bien finir dans le meilleur des mondes (duquel ils sont déjà prisonniers), ils ne perçoivent pas l’emprise de ce que décrit le journaliste américain Chris Hedges dans son article « Notre manie d’espérer est une malédiction » :

« La croyance naïve selon laquelle l’histoire est linéaire, et le progrès technique toujours accompagné d’un progrès moral, est une forme d’aveuglement collectif. Cette croyance compromet notre capacité d’action radicale et nous berce d’une illusion de sécurité. Ceux qui s’accrochent au mythe du progrès humain, qui pensent que le monde se dirige inévitablement vers un état moralement et matériellement supérieur, sont les captifs du pouvoir. Seuls ceux qui acceptent la possibilité tout à fait réelle d’une dystopie, de la montée impitoyable d’un totalitarisme institutionnel, renforcé par le plus terrifiant des dispositifs de sécurité et de surveillance de l’histoire de l’humanité, sont susceptibles d’effectuer les sacrifices nécessaires à la révolte.

L’aspiration au positivisme, omniprésente dans notre culture capitaliste, ignore la nature humaine et son histoire. Cependant, tenter de s’y opposer, énoncer l’évidence, à savoir que les choses empirent, et empireront peut-être bien plus encore prochainement, c’est se voir exclure du cercle de la pensée magique qui caractérise la culture états-unienne et la grande majorité de la culture occidentale. La gauche est tout aussi infectée par cette manie d’espérer que la droite. Cette manie obscurcit la réalité, au moment même où le capitalisme mondial se désintègre, et avec lui l’ensemble des écosystèmes, nous condamnant potentiellement tous. »

Nous avons besoin, le monde entier a besoin, que la civilisation et ses institutions (états, corporations) disparaissent. Nous avons besoin, le monde entier a besoin, que son infrastructure destructrice soit démantelée (les villes, les réseaux de transports, de communications, énergétiques, les barrages, etc.). Que cela passe par un effondrement subit ou provoqué de la société industrielle — qui, de toute manière, ne connaitra pas d’autre dénouement du fait de son insoutenabilité écologique.

Précisons aussi que nous ne plaidons pas — que — pour un abandon immédiat et brutal des sociétés industrielles avec la création d’une multiplicités de cultures biocentristes de type chasse-cueillette (fourrageage), ancrées dans leur territoire écologique spécifique. Une transition pourrait probablement être envisagée ou envisageable. Seulement, elle n’est pas en vue, puisque nos analyses ne soulignent pas simplement que la plupart des initiatives actuelles sont insuffisantes, mais également qu’elles bénéficient à la perpétuation de la civilisation industrielle, de ses pratiques et activités nuisibles pour le monde naturel.

Que voulons-nous ?

Quelle que soit la forme de la société qui émergera des ruines du système industriel, il est certain que la plupart des gens y vivront proches de la nature parce que, en l’absence de technologie avancée, c’est la seule façon dont les hommes peuvent vivre. Pour se nourrir, il faudra se faire paysan, berger, pêcheur, chasseur, etc. Plus généralement, l’autonomie locale augmentera peu à peu parce que, faute de technologie avancée et de moyens de communication rapide, il sera plus difficile aux gouvernements ou aux grandes organisations de contrôler les communautés locales. Quant aux conséquences négatives de l’élimination de la société industrielle, eh bien ! on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Pour obtenir une chose, il faut savoir en sacrifier une autre. Puisqu’au final, il nous faut nous poser la question suivante : Que voulons-nous ? Préserver, protéger et encourager la biodiversité d’une planète vivante et de communautés naturelles non-polluées, ou préserver le confort moderne d’une civilisation hautement technologique ? Parvenir à une co-habitation saine et mutuellement bénéfique entre les êtres humains et les espèces non-humaines, ou faire perdurer un mode de vie suprémaciste qui considère le vivant comme une « ressource » à « développer » au bénéfice d’un progrès technologique dénué de sens et (auto-)destructeur ? Nous ne pouvons pas avoir les deux. Question de choix, comme l’écrit Derrick Jensen :

« Nous pouvons avoir des calottes glaciaires et des ours polaires, ou nous pouvons avoir des automobiles. Nous pouvons avoir des barrages ou nous pouvons avoir des saumons. Nous pouvons avoir des vignes irriguées dans les comtés de Mendocino et Sonoma, ou nous pouvons avoir la rivière Eel et la rivière Russian. Nous pouvons avoir le pétrole du fond des océans, ou nous pouvons avoir des baleines. Nous pouvons avoir des boîtes en carton ou nous pouvons avoir des forêts vivantes. Nous pouvons avoir des ordinateurs et la myriade de cancers qui accompagne leur fabrication, ou nous pouvons n’avoir aucun des deux. Nous pouvons avoir l’électricité et un monde dévasté par l’exploitation minière, ou nous pouvons n’avoir aucun des deux (et ne venez pas me raconter de sottises à propos du solaire : vous aurez besoin de cuivre pour le câblage, de silicone pour le photovoltaïque, de métaux et de plastiques pour les dispositifs, qui ont besoin d’être fabriqués et puis transportés chez vous, et ainsi de suite. Même l’énergie électrique solaire n’est pas soutenable parce que l’électricité et tous ses attributs requièrent une infrastructure industrielle). Nous pouvons avoir des fruits, des légumes, et du café importés aux États-Unis depuis l’Amérique latine, ou nous pouvons avoir au moins quelques communautés humaines et non-humaines à peu près intactes à travers la région.

(Je pense que ce n’est pas la peine que je rappelle au lecteur que, pour prendre un exemple – parmi bien trop – qui ne soit pas atypique, le gouvernement démocratiquement élu de Jacobo Arbenz, au Guatemala, a été renversé par les États-Unis afin d’épauler la « United fruit Company », aujourd’hui appelée Chiquita, ce qui a entraîné par la suite 30 ans de dictatures soutenues par les États-Unis, et d’escadrons de la mort. & aussi, qu’il y a quelques années, j’ai demandé à un membre du mouvement révolutionnaire tupacamarista ce qu’il voulait pour le peuple du Pérou, et qu’il a répondu quelque chose qui va droit au cœur de la présente discussion [et au cœur de toute lutte qui ait jamais eu lieu contre la civilisation] : « nous devons produire et distribuer notre propre nourriture. Nous savons déjà comment le faire. Il faut simplement que l’on soit autorisé à le faire ».)

Nous pouvons avoir du commerce international, inévitablement et par définition ainsi que par fonction dominé par d’immenses et distantes entités économiques/gouvernementales qui n’agissent pas (et ne peuvent pas agir) dans l’intérêt des communautés, ou nous pouvons avoir un contrôle local d’économies locales, ce qui ne peut advenir tant que des villes requièrent l’importation (lire : le vol) de ressources toujours plus distantes. Nous pouvons avoir la civilisation — trop souvent considérée comme la plus haute forme d’organisation sociale — qui se propage (qui métastase, dirais-je) sur toute la planète, ou nous pouvons avoir une multiplicité de cultures autonomes uniques car spécifiquement adaptées au territoire d’où elles émergent. Nous pouvons avoir des villes et tout ce qu’elles impliquent, ou nous pouvons avoir une planète habitable. Nous pouvons avoir le « progrès » et l’histoire, ou nous pouvons avoir la soutenabilité. Nous pouvons avoir la civilisation, ou nous pouvons au moins avoir la possibilité d’un mode de vie qui ne soit pas basé sur le vol violent de ressources.

Tout cela n’est absolument pas abstrait. C’est physique. Dans un monde fini, l’importation forcée et quotidienne de ressources est insoutenable.

Montrez-moi comment la culture de la voiture peut coexister avec la nature sauvage, et plus particulièrement, comment le réchauffement planétaire anthropique peut coexister avec les calottes glaciaires et les ours polaires. N’importe laquelle des soi-disant solutions du genre des voitures électriques solaires présenterait des problèmes au moins aussi sévères. L’électricité, par exemple, a toujours besoin d’être générée, les batteries sont extraordinairement toxiques, et, quoi qu’il en soit, la conduite n’est pas le principal facteur de pollution de la voiture : bien plus de pollution est émise au cours de sa fabrication qu’à travers son pot d’échappement. La même chose est vraie de tous les produits de la civilisation industrielle.

Nous ne pouvons pas tout avoir. Cette croyance selon laquelle nous le pouvons est une des choses qui nous ont précipités dans cette situation désastreuse. Si la folie pouvait être définie comme la perte de connexion fonctionnelle avec la réalité physique, croire que nous pourrions tout avoir — croire que nous pouvons simultanément démanteler une planète et y vivre; croire que nous pouvons perpétuellement utiliser plus d’énergie que ce que nous fournit le soleil; croire que nous pouvons piller du monde plus que ce qu’il ne donne volontairement; croire qu’un monde fini peut soutenir une croissance infinie, qui plus est une croissance économique infinie, qui consiste à convertir toujours plus d’êtres vivants en objets inertes (la production industrielle, en son cœur, est la conversion du vivant — des arbres ou des montagnes — en inerte — planches et canettes de bière) — est incroyablement cinglé. Cette folie se manifeste en partie par un puissant irrespect pour les limites et la justice. Elle se manifeste au travers de la prétention selon laquelle il n’existe ni limites ni justice. Prétendre que la civilisation peut exister sans détruire son propre territoire, ainsi que celui des autres, et leurs cultures, c’est être complètement ignorant de l’histoire, de la biologie, de la thermodynamique, de la morale, et de l’instinct de conservation. & c’est n’avoir prêté absolument aucune attention aux six derniers millénaires. »

Note de fin : Nous ne nous faisons pas d’illusion sur le potentiel de changement radical de notre temps, et sur la portée de ce texte et des analyses qui y sont développées. Le caractère grégaire de l’être humain étant ce qu’il est, et au vu de la progression de l’empire et de l’emprise du spectacle sur la société, nous pensons d’ailleurs qu’il est assez probable qu’à l’image des lemmings de la légende, la civilisation industrielle continue sur sa lancée suicidaire et qu’alors l’espèce humaine, ainsi qu’Emerson l’avait prédit, finisse par « mourir de civilisation ». Le contraire exigerait de l’être humain qu’il parvienne, en quelque sorte, à « aller contre sa nature, qui est sociale », pour reprendre les mots de Bernard Charbonneau.

Quoi qu’il en soit, nous continuerons à dénoncer et à exposer les évidences gênantes et indiscutées de la folie qu’on appelle civilisation, et d’abord parce que, comme le rappelle Günther Anders : « Ce n’est pas parce que la lutte est plus difficile qu’elle est moins nécessaire ».

Collectif Le Partage

 

4 commentaires sur “Un monde sens dessus dessous : quelques rappels sur notre situation écologique en ce début 2017

  1. Olivier

    Bonjour,

    J’ai pris le temps de lire attentivement ce très long article et, autant j’ai trouvé ses deux premiers tiers très intéressants et pertinents, autant j’ai trouvé le dernier tiers franchement navrant.

    Je trouve la description des « écocitoyens » caricaturale, assez grotesque et de mauvaise foi. J’ai lu quelques bouquins de Marie-Monique Robin, par exemple, et je ne pense pas que l’on puisse résumer sa pensée en une sorte d’extase devant une charrette tractée par un cheval.

    Vous utilisez des procédés étranges qui ne sont pas sans rappeler les pratiques de l’injure, du sous-entendu et de la diffamation purement staliniennes. Par exemple, Reporterre serait un site « soit-disant » indépendant. Et bien, là, je vous demande de produire des éléments vérifiables prouvant que Reporterre dépend de… de qui d’ailleurs ?

    Vous faites de tous ceux que vous regroupez dans le terme « écocitoyen » de bons gros bétas bien naïfs incapables de voir le fond du problème écologique. Euh, qu’en savez-vous ? Vous avez fait des enquêtes de terrain et une étude des différentes pratiques pour affirmer cela ?

    Par exemple, personnellement, je fais du vélo et je consulte régulièrement Reporterre, je mange même du bio, dois-je consulter ? Suis-je voué à ne pas voir le fond du problème aveuglé par la forme d’un système dont en vérité je ne veux pas sortir ?

    Et toi, ça va bien, du haut de tes proclamations péremptoires ?

    Oups, par avance, je te prive du plaisir de me traiter de méchant bobo-écolo, je suis au chômage et vit actuellement avec l’ASS.

    Au sujet de la civilisation, je suis bien d’accord avec beaucoup des choses dites dans l’article, mais certains aspects me chiffonnent.

    1. Comment comptez-vous gérer les déchets radio-actifs sur le long terme sans un minimum d’organisation à l’échelle mondiale ? Ça implique le maintien d’une certaine forme de civilisation globale à mon avis et aussi d’un certain niveau de connaissances et de techniques sinon gare aux radio-éléments baladeurs…

    2. Vous passez assez vite sur l’invention de l’agriculture. Quels cons ces paléolithique qui se sont mis à cultiver quelques  dizaines de variétés agricoles alors qu’une profusion de milliers de variétés sauvages s’offrait à eux !!! S’ils l’ont fait, c’est que, quelque part, la situation alimentaire n’était pas satisfaisante, non ?

    Une remarque : Homo sapiens est la seule espèce humaine sur Terre depuis ~ 30 000 ans et les espèces qui lui étaient contemporaines (Néandertal, Denisova, peut être d’autres genre derniers erectus) ont disparu alors qu’elles n’ont connu que le mode de vie de chasseurs-cueilleurs. Comme quoi l’invention de l’agriculture est peut être venue après une grande crise écologique naturelle qui a sévèrement impacté les ressources à notre disposition à tel point que le mode de vie de chasse et de cueillette n’était plus suffisant pour nous nourrir.

    C’est un peu facile de refaire le film à partir de l’invention de l’agriculture comme si tout ce qui s’ensuivit était écrit d’avance et inévitable. Cette façon de faire porte un nom, le biais de rétrospection, dont il faut éminemment se méfier.

    Je suis tout de même d’accord avec le fait que l’Humanité a su exister longtemps avec le mode de vie en petits groupes de chasseurs-cueilleurs, elle a clairement évolué dans ce sens. Je suis également d’accord avec le fait que la forme de civilisation actuelle nous a mené très rapidement à l’impasse écologique actuelle.

    Question : nous sommes ~ 7 milliards d’humains sur Terre. Combien étions-nous sous le mode de vie chasseurs-cueilleurs ? Quelques millions ? Combien pourrions-nous être sur une Terre aux écosystèmes ravagés apauvris et fragmentés dont déjà une bonne partie des populations animales ont disparu (58% des vertébrés disparus en 40 ans selon l’étude du WWF récemment publiée : « Rapport Planète vivante 2016 », en en 2020, on en sera à 70%).

    Combien d’humains à vivre de chasse et de cueillette avec si peu à chasser et à cueillir ? Quelques centaines de milliers ? dizaines de milliers ?

    Question : comment on passe de 7 milliards à 200 000 individus sur Terre ?

    Bien entendu le même problème se pose avec la dite civilisation actuelle dont la continuation est impossible. Mais comment concevez-vous la transition d’un mode de vie à 7 milliards à un mode de vie à quelques dizaines/centaines de milliers sans un bain de sang si effroyable que la disparition entière de l’espèce devient préférable à la survie des 100 000 plus forts/salauds/tueurs ?

    Pour finir, personnellement, je n’ai rien contre le mot « civilisation » et je considère les chasseurs-cueilleurs comme des formes d’organisation complexes et très civilisées, aux formes artistiques (peintures rupestres, tatouages, musiques, chants, récits etc.) et technologiques (outils de pierres, de bois etc.) très complexes.

    Sinon, des formes d’organisation mixtes chasse/cueillette/agriculture ont existé, par exemple en Papouasie, sans créer les ravages que vous prêtez à l’agriculture.

    Voilà, j’arrête là et je continue le vélo et Reporterre quitte à m’attirer certaines foudres stalino-écologico-déclamatoires 😉

  2. hdkw

    Bonjour Olivier, merci pour le long commentaire. Tout d’abord je ne suis pas l’auteur de l’article, si tu veux être sur d’avoir sa réponse tu devrais faire un copier coller de ton commentaire sur la version de l’article sur son site: http://partage-le.com/

    Sinon personnellement j’ai les mêmes interrogations et je suis dans la même situation que toi mais je pense que ce genre de texte « radical » et critique de l’écologie est trop rare et extrêmement bénéfique. Notre société nous fait haïr le conflit (« je positive »..), or sans friction on créé de l’extrémisme et on va vers la guerre civile. Les positions radicales au contraire apportent les dissensus et les remises en questions nécessaires pour faire avancer une société.

    Je crois donc qu’un mouvement qui veut changer de société doit aussi apprendre a écouter les critiques sans se plaindre de guerres de chapelles ou de procès staliniens. Un article récent du même site tape sur les colibris:

    http://partage-le.com/2017/02/lappel-des-eco-charlatans-et-la-promotion-du-capitalisme-%cc%b6v%cc%b6e%cc%b6r%cc%b6t%cc%b6/

    et je trouve ça bien de critiquer des personnalités aussi consensuelles et sûrement bien intentionnées pour garder l’esprit critique. Sinon on va se retrouver avec un nouvel Hulot pour détruire l’écologie politique! 😉

     

     

     

  3. elmer

    D’accord avec le commentaire d’Olivier, l’analyse de la situation est juste mais l’article oublie que nous sommes tous dans le même bateau, militant écologiste, patron ou employé des multinationales.
    Nous sommes tous des êtres humains et nous devons tous changer intérieurement et les changements radicaux viendront peut être.
    La résistance et le conflit ne peuvent résoudre aucun problème, au contraire ils sont le reflet des modes d’action des multinationales capitalistes et les renforcent même.

  4. hdkw

    Quant je parle des discours a la Hulot c’est exactement ca:

    « tous dans le même bateau, militant écologiste, patron ou employé des multinationales »

    Non seulement les patrons on une responsabilité bien plus grande que leur employés en terme de pollution mais en plus il n’en subissent pas les mêmes impacts (ils sont en première classe avec la clim dans le bateau)!

     

    https://www.youtube.com/watch?v=Y9XqRJjOz44

Les commentaires sont clos.