Cyclotourisme hivernal

L’équinoxe est passé et l’heure redevient solaire : c’est l’automne déjà et l’hiver bientôt! Finies les longues randonnées sous le soleil brûlant et les baignades prolongées au fil d’une onde fraiche. Voici l’époque où l’on échange des souvenirs et des photographies dans l’arrière-salle d’un café, où le cinéma et ses images remplace le voyage, quoique l’atmosphère surchauffée d’une salle ne rappelle que de très loin la brise douce native des horizons agrestes ou sylvestres.

Pourquoi « raccrocher » notre fidèle monture lorsque vient cette saison qualifiée de mauvaise? S’il est des journées pluvieuses, il en est de si belles! Les ors de l’automne nous sont, il est vrai familiers, mais les paysages d’hiver ont aussi leur charme, et combien séduisante est la forêt dans le silence profond qui y règne, quel plaisir n’a-t-on pas de rouler sur une route enfin déserte lorsqu’un froid vif régénère notre sang!

Camarades cyclotouristes ne croyez pas ceux qui vous prédiront mille morts parce que vous avez la pensée de quitter la grand’ville lorsque la colonne thermométrique oscille aux environs du zéro. Est-ce d’un autre monde que j’écris ceci? Je n’en ai pas personnellement l’impression.

Combien de fois pourtant suis-je parti, seul, dans une froide matinée d’hiver, pour ne revenir que lorsque la nuit était depuis longtemps tombée. Et que faut-il pour cela? Rien, ou si peu de choses: une machine qui ne craigne pas les intempéries (le chrome n’est-il pas roi sur nos nickels?), un équipement convenable mais non spécial et un éclair effectif en bon état.

La machine je n’en parlerai pas car vous êtes tous bien équipés, j’en suis certain, et l’huile entretient et protège ce qui doit l’être. Quant à l’équipement que peut-il être? C’est simple, le short cède la place à la culotte de golf, les socquettes aux bas de laine, la chemisette pourrait être conservée, si elle est de flanelle, mais elle sera avantageusement remplacée par la chemise à manches longues, molletonnée de préférence; comme sur-vêtement un gros pull-over à col roulé complétera l’habillement. Un gilet confectionné rapidement à grands coups de ciseaux, dans une feuille double de journal vous protégera fort efficacement contre les froids les plus vifs, n’ai-je pas roulé, ainsi équipé, par – 12°C, j’avais simplement mis sur ce papier, afin de le maintenir, un petit pull-over sans manches. Toutefois je signale que cette feuille doit se croiser sur la poitrine et descendre assez bas sur le ventre, de cette façon elle est maintenue par la ceinture de la culotte et évite la ceinture de flanelle que je ne recommande jamais à bicyclette à cause de sa facilité à se rouler en ficelle à la hauteur de l’estomac, situation particulièrement efficace pour couper la respiration.

Passons maintenant aux extrémités : d’abord, à tout seigneur, tout honneur : le crâne. On peut, avec de l’entraînement rester tête nue, toutefois la migraine ou la sinusite peuvent être craintes, aussi je conseille toujours une coiffure, dont la seule particularité sera de pouvoir couvrir le haut des oreilles en cas de besoin, car cet endroit est particulièrement sensible, la tête, du front à la nuque comprise, devra être protégée continuellement.

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Les mains: de gros gants à crispins sont de rigueur, mais aux gros gants fourrés en cuir je préfère ceux faits d’une sorte de peau de mouton dont la toison est à l’intérieur, pour les personnes sujettes à l’onglée, une paire de gants de fil isolera les mains à l’intérieur des gros gants, mais il faut alors craindre de les avoir en sueur ce qui est une sensation désagréable.

Les pieds : ce sont eux, je le reconnais, les plus difficiles à protéger. Je n’y parviens qu’avec du papier journal dans lequel je les enveloppe, par dessus les bas, avant de mettre mes chaussures cyclistes. Malgré cela il peut arriver qu’on y ait froid, dans ce cas il suffit de courir deux ou trois cents mètres en poussant sa bicyclette pour les mettre rapidement en ébullition.

Dans la région parisienne souvent cet équipement est trop chaud, mais il n’est pas intangible et peut être modifié au goût de chacun: ainsi le gros pull-over peut-être remplacé par un blouson si celui-ci ferme assez haut, sinon vous le compléterez par un cache-nez mis en croix sur la poitrine, ou tout autre chose, pourvu que vous protégiez la gorge jusqu’à la pomme d’Adam environ.

Il reste la question de l’éclairage qui est primordiale à moins de ne rouler que pendant la matinée; dans le cas contraire il faut voir en avant à une dizaine de mètres au moins et posséder à l’arrière un feu rouge efficace. J’estime qu’il est bon de savoir rouler la nuit, de savoir déceler les obstacles à quelques reflets, et l’hiver permet de le faire sans rentrer trop tard au logis. D’autre part, dans le silence et l’obscurité on a réellement l’impression d’être maître de son destin comme peut l’être un capitaine à bord de son navire, et c’est une satisfaction que l’on n’a pas souvent aux autres moments de son existence, car la vie moderne vous laisse, d’influence sur votre destinée, celle qu’à peu près, peut avoir sur la sienne, un bouchon battu par les flots.

Selon moi, je ne saurai trop louer le cyclisme hivernal car il est le seul à procurer une impression de force dans une atmosphère vivifiante. Rien ne m’est plus agréable au sortir d’un bal de nuit que de rouler en solitaire pendant 60 ou 80 km; j’acquière ainsi au sortir de l’ambiance énervante du bal, une saine fatigue qui me permet de goûter un repos profond et réparateur qui ne saurait être le mien de tout autre manière.

Je souhaite donc, amis cyclotouristes, connus ou inconnus, qui me lisez, que vous veniez au cyclotourisme hivernal, cela vous permettra, non seulement d’éprouver le plaisir dont je vous ai parlé, mais encore d’atteindre la saison estivale sans avoir trop perdu d’entrainement et d’éviter ainsi que les premières sorties printanières soient, pour vous, semblables à des calvaires.

A. Brun

Bulletin des cyclotouristes : organe mensuel d’informations
Octobre 1938

6 commentaires sur “Cyclotourisme hivernal

  1. Anne-Lise

    Qu’est-ce qu’ils écrivaient bien, les journalistes sportifs, il y a 70 ans !

    la vie moderne vous laisse, d’influence sur votre destinée, celle qu’à peu près, peut avoir sur la sienne, un bouchon battu par les flots.

    c’est pas du tweet d’illettré, sûr !

    j’acquière ainsi au sortir de l’ambiance énervante du bal, une saine fatigue qui me permet de goûter un repos profond et réparateur qui ne saurait être le mien de tout autre manière.

    Bon, là, on sent délicatement la déception du mec qu’a pas réussi à pécho, mais c’est raffiné, y a pas à dire.

    Si l’écriture sent le lyrisme et l’académisme, les conseils, eux, n’ont pas pris de rides.

     

     

  2. jol25

    60-80 km par temps de gel, en sortie de bal: on rigolait pas en 40 🙂

    A noter dans le même magazine l’article suivant est intéressant, considérant les usagers de la route – dont les cyclistes évidemment – et les pistes cyclables en France et chez nos voisins (eh oui, déjà!)

  3. Nobila Le Bouquin

    Merci pour ce beau texte qui me donne du courage à rouler en VAE cet hiver

  4. vince

    Il faut se dépêcher d’en profiter avant qu’il fasse 30 degré en décembre 🙂

    L’hiver est une très belle saison pour le vélo,  seul hic non pas le froid mais les phares et les pots d’échappement qui fument en raison du chauffage de voiture.

     

  5. Cablat Christophe

    Cette approche est toujours de rigueur. Quand je vois nombres de cyclotouristes mettre au clou la bicyclette en hiver alors que cette saison est ravissante pour rouler, Quel malheur ! Vivant au pied des Pyrénées je roule toute l’année, jour et parfois nuit. Il faut simplement composer avec les éléments.

     

    Je me permets de vous partager un article écrit sur mon blog sur le cyclotourisme et la météo : https://www.cablat.com/2017/09/07/affronter-les-%C3%A9l%C3%A9ments/

  6. Dany

     
    Sympa ce texte car je partage les sentations de l’auteur ! Mon plus long kilométrage mensuel est un mois de janvier peu clément ; et rouler sur la neige, quel plaisir…Mais je comprends parfaitement qu’on préfère la marche durant l’hiver.

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