Physiologie du Vélocipédiste

Un aimable lecteur nous communique un article paru en 1891 dans le Gil Blas Illustré et intitulé : « Physiologie du vélocipédiste. » Nous ne pourrons malheureusement reproduire intégralement cet article qui est fort long. Mais nous mettrons sous les yeux de nos lecteurs quelques-uns de ses passages assez savoureux.

Le Vélocipédiste (velocipex vastator et rasator de Cuvier) est, en général, un bipède orné de roues.

Le Vélocipédiste passe son temps, perché sur une selle de cuir étroite, à se rentrer les jambes dans le ventre et à faire tourner des roues ridicules.

Le Vélocipédiste a tantôt deux roues, tantôt trois roues. Quand il n’a que deux roues, il appartient aux espèces bruyantes, remuantes, inquiétantes et exagérées. Ces roues ne sont que rarement de semblable grandeur, et plus il y a de différence entre la roue de devant et celle de derrière, plus le vélocipédiste s’approche de la perfection idéale qui consisterait à avancer sur une roue imaginaire et simplement par le mouvement des jambes dans le vide.

Quand il a trois roues, il appartient à l’espèce tranquille, familiale ou hygiénique. Il n’avance qu’avec une relative précaution et une lenteur philosophique. Il est moins à craindre que le deux roues, mais il est certainement plus à plaindre.

Les vélocipédistes tournent quelquefois par couples: l’un placé devant d’autre, tournant leurs quatre jambes dans des rythmes qui veulent être identiques. Il leur est impossible de causer, de rire, de se regarder; mais ils tournent et prétendent trouver dans ces mouvements des jouissances très spéciales.

Le vélocipédiste se compose de nombreuses variations:
Par hygiène. Il est trop gros, il est trop vieux pour apprendre à monter à cheval (et ça ferait jaser dans son quartier), il a pris des leçons de vélo dans un manège et s’est risqué peu à peu dans l’avenue de Neuilly. Fait maintenant ses trente kilomètres sans descendre. Ça ne l’amuse pas mais il croit que ça lui fait du bien.

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Par sport. A essayé de tout: du cheval, de l’escrime, du canot, il ne sera pas dit qu’il ne fera pas du vélo. Est arrivé rapidement à être de première force. Tient beaucoup à faire des records que personne n’a faits. S’entraine à la campagne et puis s’en va tout d’un coup de Paris à Bordeaux, pour le plaisir de faire savoir aux journaux spéciaux qu’il a fait la route en une heure de moins que les champions internationaux.

Parce qu’il trouve plus facilement des sites. Le seul qui ait raison. S’en va en costume de toile avec ses cartons sur le dos. S’arrête où bon lui semble, prend un croquis et va plus loin. N’est pas à la pose et finira par renoncer au vélo parce que les vélocipédistes le dégoûtent.

Ces phrases qui essaient d’être spirituelles sont signées Mitchi. Elles ne sont guère prophétiques. Elles ont sans doute été écrites par un cyclophobe dont le seul mérite fut d’estimer que le cyclotouriste était un homme sage.

Source: La Pédale n°24, mardi 4 mars 1924.