En parcourant le site msn.fr, je suis tombé récemment sur une initiative menée en Italie et dite « Bilanci di Giustizia ». La démarche vient d’une fédération de familles italienne, beati costruttori di pace, comme « heureux constructeurs de paix » aux idées sans doute proches de celles de l’Église. Le but est d’effectuer le « déplacement » (spostamento) d’une habitude de consommation de départ vers une habitude de consommation plus vertueuse, que ce soit du point de vue de l’environnement, de la protection des populations des pays du Sud, des droits des travailleurs.
Par exemple, plutôt que d’aller passer un week-end en vacances en avion, préférez le train, ou les vacances près de chez vous, c’est meilleur pour l’environnement. Ou encore, une famille consommera de préférence une viande produite de façon locale voire autarcique plutôt qu’une viande produite dans le Nord de l’Europe, considérant, à juste titre, qu’ainsi on contribue moins à la dégradation de l’environnement.
Les familles adeptes de la démarche se réunissent régulièrement pour faire état de leur progrès.
Dans son esprit, cette démarche est très répandue aujourd’hui. Elle consiste, à l’époque de la fin des idéologies, à vouloir changer le monde par petits bouts, à son niveau, par sa consommation ou son comportement personnels. Cela rappelle, entre autres, la démarche du commerce équitable ou des produits biologiques, ou des produits issus de l’agriculture paysanne, avec parfois comme arrière-plan idéologique les idées de la décroissance.
Dans le domaine des déplacements personnels, cette démarche peut conduire à préférer le vélo ou la marche à pied, ou les transports en commun, plutôt qu’un déplacement en voiture.
L’état d’esprit lié à ce comportement me paraît relever d’une prise de conscience légitime mais partielle. Légitime car elle révèle une inquiétude sur l’état d’un monde qui effectivement va mal et d’une volonté de le changer, à un niveau si modeste soit-il. Mais partielle, car elle se borne à un changement sur le plan du comportement individuel, alors qu’il s’agit d’un problème de choix politiques des pouvoirs publics.
Le problème aussi de cette démarche individuelle, est qu’elle a tendance à rendre légitimes les attitudes de culpabilisation ; si la planète va mal, c’est parce que le simple citoyen utilise trop sa voiture, etc… alors que la faute revient avant tout aux pouvoirs publics qui ont favorisé le transport routier.
C’est un peu comme si, à force de dire au simple citoyen qu’il est de son devoir de faire l’aumône aux nécessiteux, on laissait entendre qu’il est fautif de leur misère. Alors que le fautif est le système économique dans son ensemble.
Or, une société vertueuse n’existe pas sans choix politiques vertueux. Dans le domaine des transports, le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne l’ont pas été en particulier dans notre pays. Les fermetures de lignes de trains et de tramways, l’offre ferroviaire souvent médiocre et rachitique dès que l’on sort du créneau de la grande vitesse, le réseau ferré en déshérence, la construction un peu partout d’un réseau d’autoroutes et de voies express très performant, l’étalement urbain, c’est d’abord à cause du pouvoir politique.
C’est bien de faire l’aumône, de se déplacer à pied, de changer les choses à son petit niveau, mais il ne faut pas oublier les responsabilités de nos dirigeants politiques.
Vincent Doumayrou,
auteur de La Fracture ferroviaire,
Éditions de l’Atelier.
Blog : https://blogs.mediapart.fr/vincent-doumayrou/blog
Le site web de la démarche, entièrement en langue italienne, se trouve ici :
http://www.bilancidigiustizia.it/
Le site de Reporters d’Espoirs, dont vient le reportage sur la démarche :
http://www.reportersdespoirs.org/
Sans doute faut-il les deux : la prise de conscience personnelle et des décisions politiques avisés et clairvoyantes.
Si l’on attendait tout du pouvoir politique, cela reviendrait à faire des citoyens des moutons dociles dont le seul pouvoir s’exercerait à l’occasion des votes et qui n’auraient d’autre possibilité ensuite que d’épouser l’idéologie du pouvoir en place.
Lorsqu’on se rend compte que le monde ne va pas dans le bon sens, et d’autant plus dans une société dite de consommation, ce sont les choix individuels de consommation qui valident ou peuvent indiquer le mécontentement des citoyens.
Les pouvoirs publics n’ont pas privilégié les transports en commun et c’est très regrettable. Mais on ne peut non plus affranchir les conducteurs pour autant de leurs responsabilités lorsqu’ils sont au volant… et surtout en matière de choix du véhicule. Ce serait rejeter à un père « tout puissant », l’Etat, la responsabilité du désastre écologique, au prix d’une conscience individuelle inaltérée qui pourrait user de tout et même du pire puisque l’Etat permet.
Un sentiment de culpabilisation n’est jamais inutile dans le sens où il fait avancer. On peut sentir un sentiment diffus de culpabilité devant quelqu’un qui fait la manche, surtout si on ne lui donne pas au moins un regard ou un sourire. Ca me paraît normal. Comme il me paraît tout autant normal d’éprouver une forme de culpabilisation à recourir aux moyens les plus polluants pour se déplacer, se débarasser des mauvaiser herbes, produire fruits et légumes…
Ce sont bien les prises de conscience individuelles qui se répartissent un peu partout qui peuvent faire évoluer les choses. Je trouve assez courageuse et militante l’attitude de ce groupe de personnes italiennes ici décrit. Plus il y aura de groupes ainsi constitués, plus l’Etat sera obligé d’intégrer dans ses décisions qu’une opposition silencieuse se met en place et devra se poser les bonnes questions : pourquoi ? que revendique-t-ils ? que rejettent-ils ? etc.
En outre, à l’heure d’Internet, ces groupes qui fleurissent un peu partout dans le monde ont un formidable moyen virtuel pour se regrouper et s’encourager.
Quels sont les politiques aujourd’hui suffisamment vertueux pour prendre les décisions vertueuses qui s’imposent ? Il y en a, c’est sûr, mais rarement aux postes clés, ou lorsqu’ils y parviennent, ils doivent souvent faire un choix : s’adapter ou partir ! Sûr que je souhaiterais un gouvernement qui prennent les vraies décisions qu’imposent aujourd’hui les défis écologiques planétaires.
Connaissez-vous le pourcentage de préfets qui ont sauté depuis 2 ans ? de recteurs d’académie ? Que peut-on espérer en 2012 ?
Je ne vois que les choix individuels pour susciter l’étonnement, le dialogue et la mise en marche.
Ah oui! Je suis plutôt d’accord avec Philippe Schwoerer. Les politiques, surtout en démocratie, sont normalement le reflet du peuple (ou en tout cas de la majorité). Si les questions environnementales préoccuapient la majorité d’entre nous les verts auraient été au pouvoir depuis longtemps…La vérité c’est que la majorité des gens ne veulent pas faire d’efforts pour changer leur mode de vie. De plus, le changement, c’est bien connu, ça fais peur. Alors de telles initiatives qui montrent aux autres que c’est possible de vivre autrement sont heureuses et bienvenues !
Le problème c’est que c’est bien souvent plus honereux d’opter pour des choix écologiques. Je prend pour exemple la nourriture « bio » qui est plus une mode qu’un réel choix de vie ou bien encore les divers équipements pour l’habitation tellement cher qu’ils sont subventionnés à coup de crédit d’impôts et/ou inaccessbibles aux locataires (donc aux plus pauvres…).
Dès lors comment demander à des gens aux revenus modestes de changer leur mode de vie vers un idéal qui va leur couter plus cher? L’explosion des concepts low cost le montre: malgré le caractère inhumain de ces concepts, les gens achètent. Le nerfs de la guerre c’est le coût des choses. Pour la voiture, c’est pareil: les choses ne changeront que lorsque le coût de ces si merveilleux véhicules sera devenu exorbitant. Alors vive la tata nano qui épuisera plus vite les ressources de ce système!