Samuel Hanson ORDWAY Junior, un collapsologue oublié

Samuel Hanson Ordway Jr. (20 janvier 1900 – 18 novembre 1971), diplômé de la faculté de droit de Harvard, était avocat au barreau de New York de 1925 à 1958. Auteur et défenseur de l’environnement, il fonda en 1948, au côté de Fairfield Osborn, la Conservation Foundation qui préfigura le WWF créé en 1961. Aucun de ses ouvrages sur la protection de l’environnement, dont le premier date de 70 ans, ne semble avoir été traduit en Français. 

Dans son court essai « Resources and the American Dream – Including A theory of the limit of growth » (Ressources et rêve américain – incluant une théorie de la limite de la croissance), publié en 1953, l’auteur développe une argumentation ne reposant sur aucune doctrine technique, économique, sociale ou scientifique, mais sur « une prédilection personnelle pour le luxe démodé de la simplicité, » celle de l’avocat visant solidité du raisonnement et clarté de l’exposé.

S’appuyant sur des données publiques, il compare l’évolution de la consommation des produits courants avec les données d’extraction des ressources primaires et de production agricole. Il constate une accélération généralisée et certains signaux l’inquiètent, comme l’abandon de terres agricoles devenues stériles à force de produire toujours davantage, le risque de pénurie d’eau pour l’irrigation ou l’illusion des découvertes, en apparence croissantes, de pétrole…

Il dénonce le cornucopianisme ambiant, déplore que les dirigeants considèrent que « toute alternative implique marasme et déclin, » s’émeut que les scientifiques croient que « la terre est une réserve sans fin de matières premières, » que les économistes défendent l’idée que le seul système viable est celui de la croissance économique et enfin que les citoyens attendent que le progrès se traduise concrètement par un niveau de vie toujours plus élevé et un effort physique toujours moindre.

Son constat de base semble solide : bien que la science permette une augmentation de la productivité et rende possible des substitutions de matières premières, la consommation d’un nombre croissant de matériaux, aux États-Unis, dépasse non seulement leur taux de renouvellement, mais également le rythme des découvertes de nouvelles sources d’approvisionnement.

Il complète l’approche de Malthus, qui ne comptait que les « bouches à nourrir, » lui ajoutant la notion, plus impactante à ses yeux, de « niveau de vie, » théorisant que si la consommation industrielle des produits de la terre dépasse sa capacité de production sur une période suffisamment longue, la misère est inévitable. Il ajoute dans sa « théorie de la limite à la croissance, » ainsi résumée, que plus cette limite sera atteinte de manière brutale et inattendue, plus grands seront les dommages causés à l’ordre social.

Lire aussi :  FIETS La place du vélo dans la culture néerlandaise

Samuel Hanson Ordway Jr. expose en peu de mots le problème de fond : « Notre croyance en la croissance n’est pas simplement un sous-produit du rêve américain, c’est le rêve lui-même. » « Nous manquons constamment de tout et nous croyons que nous aurons bientôt une maison plus confortable, un frigo plus récent, un écran de télévision plus grand, un disque plus long ou une voiture plus rapide avec une direction assistée. L’amélioration matérielle est la marque de notre mode de vie. La croissance est le noyau de notre culture. »

Entrevoyant l’émergence de l’industrie du divertissement et le temps croissant qu’elle allait prendre dans nos vies quotidiennes, il déplore que toutes ces choses « n’offrent ni détente ni paix intérieure. » Elles ne produisent qu’agitation et consommation : « des automobiles plus rapides, des postes de radio et de télévision qui hurlent des imprécations pour acheter plus de machines, de journaux de 90 pages, de magazines de pâte à papier et de romans de Mickey Spillane par millions… »

« Avec la croissance technologique, nous passons de moins en moins de temps libre dans des activités de loisirs non consommatrices telles que la randonnée, le jardinage, la voile, l’artisanat ou la musique. Même les arts de l’écriture de lettres et de la conversation ont commencé à disparaître. » Il s’interroge sur ce que pourrait être une Vie Bonne, compatible avec la conservation de l’environnement et dénonce l’individualisme et l’aspiration croissante des individus à un bonheur consumériste illusoire.

Il prône enfin l’émergence d’une civilisation équilibrée dans laquelle « Nos ressources naturelles, dont dépend la prospérité, peuvent être gérées de manière à rester disponibles pour une utilisation continue. Nos besoins peuvent être satisfaits s’ils sont bridés et nos cupidités maîtrisées. La fausse idéologie qui vénère une expansion illimitée doit disparaître. L’homme doit cesser de dépendre pour son bonheur des gadgets consommateurs de richesses et de la sécurité institutionnalisée. L’industrie elle-même peut limiter sa propre production aux besoins les plus essentiels nécessaires à l’homme pour rester libre.«