Positions situationnistes sur la circulation

En décembre 1959, Guy Debord écrit un court texte sur l’automobile et l’urbanisme: Positions situationnistes sur la circulation. Ce texte a été édité dans le troisième numéro de l’Internationale situationniste.

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Le défaut de tous les urbanistes est de considérer l’automobile individuelle (et ses sous-produits, du type scooter) essentiellement comme un moyen de transport. C’est essentiellement la principale matérialisation d’une conception du bonheur que le capitalisme développé tend à répandre dans l’ensemble de la société. L’automobile comme souverain bien d’une vie aliénée, et inséparablement comme produit essentiel du marché capitaliste, est au centre de la même propagande globale : on dit couramment, cette année, que la prospérité économique américaine va bientôt dépendre de la réussite du slogan : «Deux voitures par famille».

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Le temps de transport, comme l’a bien vu Le Corbusier, est un sur-travail qui réduit d’autant la journée de vie dite libre.

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Il nous faut passer de la circulation comme supplément du travail, à la circulation comme plaisir.

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Vouloir refaire l’architecture en fonction de l’existence actuelle, massive et parasitaire, des voitures individuelles, c’est déplacer les problèmes avec un grave irréalisme. Il faut refaire l’architecture en fonction de tout le mouvement de la société, en critiquant toutes les valeurs passagères, liées à des formes de rapports sociaux condamnées (au premier rang desquelles : la famille).

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Même si l’on peut admettre provisoirement, dans une période transitoire, la division absolue entre des zones de travail et des zones d’habitation, il faut au moins prévoir une troisième sphère : celle de la vie même (la sphère de la liberté, des loisirs et la vérité de la vie). On sait que l’urbanisme unitaire est sans frontières ; prétend constituer une unité totale du milieu humain où les séparations, du type travail – loisirs collectifs – vie privée, seront finalement dissoutes. Mais auparavant, l’action minimum de l’urbanisme unitaire est le terrain de jeu étendu à toutes les constructions souhaitables. Ce terrain sera au niveau de complexité d’une ville ancienne.

Lire aussi :  Vers la sortie de route ? Les transports face aux défis de l’énergie et du climat

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Il ne s’agit pas de combattre l’automobile comme un mal. C’est sa concentration extrême dans les villes qui aboutit à la négation de son rôle. L’urbanisme ne doit certes pas ignorer l’automobile, mais encore moins l’accepter comme thème central. Il doit parier sur son dépérissement. En tout cas, on peut prévoir son interdiction à l’intérieur de certains ensembles nouveaux, comme de quelques villes anciennes.

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Ceux qui croient l’automobile éternelle ne pensent pas, même d’un point de vue étroitement technique, aux autres formes de transport futures. Par exemple, certains des modèles d’hélicoptères individuels qui sont actuellement expérimentés par l’armée des États-Unis seront probablement répandus dans le public avant vingt ans.

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La rupture de la dialectique du milieu humain en faveur des automobiles (on projette l’ouverture d’autostrades dans Paris, entraînant la destruction de milliers de logements, alors que, par ailleurs, la crise du logement s’aggrave sans cesse) masque son irrationalité sous des explications pseudo-pratiques. Mais sa véritable nécessité pratique correspond à un état social précis. Ceux qui croient permanentes les données du problème veulent croire en fait à la permanence de la société actuelle.

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Les urbanistes révolutionnaires ne se préoccuperont pas seulement de la circulation des choses, et des hommes figés dans un monde de choses. Ils essaieront de briser ces chaînes topologiques, en expérimentant des terrains pour la circulation des hommes à travers la vie authentique.

Guy-Ernest DEBORD, « Positions situationnistes sur la circulation », Internationale situationniste, numéro 3, décembre 1959 (Directeur : G.-E. DEBORD ; Comité de Rédaction : CONSTANT, Asger JORN, Helmut STURM, Maurice WYCKAERT)

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7 commentaires sur “Positions situationnistes sur la circulation

  1. Joshuadu34

    certaines idées datent un peu (l’hélicoptère individuel, par exemple, ou le déplacement loisirs), mais il faut remettre ce texte dans un contexte et une époque éloignée de plus de 50 ans, période ou l’écologie et la pollution n’était pas, et de loin, dans les moeurs… Il convient de relever que certains points souvent présents dans nos critiques sont toujours d’actualité (le point 4 est, malheureusement, toujours dans les luttes…), voir sont terriblement prévisionnistes (la laideur de l’urbanisation telle qu’elle est pensée actuellement, que Debord condamne déjà, avant même sa mise en place à grande échelle, ainsi que l’installation d’un culte automobile)…

    Merci, en tous cas, pour cette mise en ligne !

  2. CarFree

    Oui, mis à part le point 7, ce texte paraît étrangement d’actualité. En tout cas, il est visionnaire à plus d’un titre. En particulier, et c’est à mon avis un des points forts du situationnisme, il met en exergue l’impact du capitalisme sur la production de l’urbanisme et donc, sur la fabrication de la ville; l’automobile étant en l’occurrence l’agent privilégié de la transformation urbaine par le capitalisme.

    Ce qui est quand même incroyable, c’est que ce texte a été écrit plus de 10 ans avant la célèbre phrase de Pompidou: « Il faut adapter la ville à l’automobile »…

    Ce qui est peut-être encore plus incroyable, c’est que certaines propositions de Debord de 1959 constituent le b-a-ba des urbanistes d’aujourd’hui (limiter la place de la voiture, valoriser la ville ancienne, etc.).

  3. Pim

    C’est vrai que sur les problèmes d’espace public, le texte est d’actualité. A la différence qu’aujourd’hui, l’argument principal pour essayer de mettre la voiture hors de la ville, c’est l’écologie et la santé publique, sujets quasi inexistants il y a 50 ans. Enfin, « Ecologie », il faut souvent le dire un peu vite… disons repeindre en vert pour amadouer l’électorat!

  4. Joshuadu34

    @ Erte, il y a aussi d’autres solutions, comme éteindre sa télé (voir ne pas en avoir, on s’en passe très très bien), ne pas éclairer son habitat comme s’il s’agissait d’un sapin, un soir de noël, préférer les solutions économiques en énergie au tout électrique (un balai hote aussi bien la poussière qu’un aspirateur, par exemple), etc, etc…

    Il y a d’autres solutions, aussi, comme préférer la chaleur humaine, ou au moins celle offerte par la présence d’amis aux 25 ° maintenus dans un appartement vide et silencieux (en partant du postulat que la télé est, au pire, éteinte), préférer s’allonger dans l’herbe pour un pique nique estival plutôt que pousser la clim…

    En gros, la première solution, et la plus importante, c’est la réduction drastique de notre surconsommation, que ce soit énergétique, comme de biens et autres gadgets inutiles !

    La deuxième, c’est transformer l’habitat dortoir en lieu festif dans lequel l’amitié prime !

    La troisième, c’est faire un bras d’honneur à ceux qui, pour une raison de mode, considèrent que chez vous, ce n’est pas hype, voire exprimer clairement que leur mode à la con et leur complexes les poussant à une surconsommation, vous n’en avez rien à foutre !

    Les autres suivent, petit à petit, comme arréter de trembler par peur du cambriolage (de toute façon, vous n’avez pas le dernier écran plat à voler, alors…), acceuillir amis, ouvrir sa porte et son coeur aux autres, et faire son possible pour instaurer une autosuffisance énergétique !

    Le rêve est beau ? Ben venez à la maison, mis à part l’autosuffisance que je n’ai pas encore atteint, le reste, je met en application !

  5. tichit

    Si je me souviens bien, c’est Guy Debord qui a développé l’idée de la « dérive urbaine » en élaborant des cartes psychogéographiques. En tout cas, l »Histoire lui a donné raison car partout où l’on a appliqué les théories modernes, c’est aujourd’hui un vrai désastre.
    Par contre, à part Nicolas Hulot, je n’ai vu personne en hélicoptère individuel!

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