Changer le système, pas le climat

L’Espace Climat qui s’est tenu pendant toute la durée du Forum Social Mondial de Tunis, ce mois de mars 2013, a produit un manifeste final qui se veut la base d’une nouvelle phase dans la lutte contre le changement climatique et envisage la situation de façon systémique et pragmatique.

Pour reprendre notre avenir en main, nous devons changer le présent ! Nos propositions pour « Changer le système, pas le climat »

Le système capitaliste a exploité et abusé la nature, poussant la planète à ses limites, tant est si bien que le climat est l’objet de fondamentales et dangereuses transformations.

Aujourd’hui, la gravité et la multiplicité des dérèglements climatiques – sécheresses, désertification, inondations, ouragans, typhons, feus de forêts, fonte des glaciers et de la banquise – indiquent que la planète brûle. Ces variations extrêmes ont des effets directs sur les humains, que ce soit à travers les décès, les pertes de moyens de subsistance, de cultures ou de maisons, conduisant à des déplacements de population sous la forme de migrations forcées ou de réfugiés climatiques, avec une ampleur sans précédent.

L’humanité et la nature sont au bord du précipice. Nous pouvons rester les bras croisés et poursuivre la marche vers un avenir catastrophique et si terrible qu’il ne peut-être imaginé, ou nous pouvons nous engager et recouvrer un futur que nous avons tou-te-s espéré.

Nous n’allons pas rester les bras croisés. Nous ne laisserons pas le système capitaliste nous brûler tou-te-s. Nous allons passer à l’action et nous attaquer aux causes profondes du changement climatique en changeant le système. Le temps est venu d’arrêter de parler, et celui d’agir.

Nous devons favoriser, soutenir, renforcer et accroître les mobilisations locales à tous les niveaux, mais plus particulièrement dans les batailles de première ligne où les enjeux sont les plus élevés.

Changer le système signifie :

  • Laisser plus des deux tiers des réserves de combustibles fossiles dans le sol ou sous le plancher de l’océan, afin d’éviter des niveaux catastrophiques de dérèglements climatiques.
  • Interdire toute nouvelle exploration et exploitation de pétrole, sables bitumineux, schistes bitumineux, charbon, uranium et gaz.
  • Soutenir une transition juste pour les travailleurs et les communautés qui permette de sortir d’une économie basée sur l’usage des énergies fossiles vers des économies locales et résilientes basées sur la justice sociale, écologique et économique.
  • Décentraliser la production et la propriété de l’énergie sous le contrôle des communautés locales et en utilisant des sources d’énergie renouvelables.
  • Cesser de construire des grands projets d’infrastructures inutiles qui ne bénéficient pas à la population et qui sont des contributeurs nets en termes d’émissions de gaz à effets de serre, tels que les grands barrages, les autoroutes, les mega projets énergétiques, et les aéroports superflus.
  • Mettre fin à la domination des formes industrielles basées sur l’exportation de la production alimentaire (y compris dans le secteur de l’élevage), et promouvoir des agricultures paysannes et agroécologiques de petite échelle, un système agricole qui assure la souveraineté alimentaire et qui fasse en sorte que les productions locales respectent les besoins nutritionnels et culturels des populations locales. Ces mesures permettront de lutter contre le réchauffement climatique.
  • Adopter des approches Zéro Déchets à travers la promotion du recyclage complet et à travers des programmes de compostage qui mettent fin aux émissions de gaz à effets de serre provenant des incinérateurs – y compris les incinérateurs haute technologie de nouvelle génération – et des décharges.
  • Stopper l’accaparement des terres et respecter les droits des petits agriculteurs, des paysans et des femmes. Reconnaître les droits collectifs des populations indigènes conformément à la déclaration de l’ONU sur le droit des peuples indigènes, y compris leurs droits à leurs terres et territoires.
  • Développer des stratégies économiques qui créent des formes de « climate jobs » – des emplois décemment rémunérés qui contribuent directement à la réduction des émissions de gaz à effets de serre – dans des secteurs tels que les énergies renouvelables, l’agriculture, les transports publics et la rénovation des bâtiments.
  • Récupérer le contrôle des fonds publics pour financer des projets allant dans l’intérêt des populations et de la nature, en matière de santé, d’éducation, d’alimentation, d’emploi, de logement, de restauration des bassins hydriques, de conservation et de restauration des forêts et des écosystèmes, le tout en arrêtant de subventionner les industries polluantes, l’agro-business et l’industrie militaire.
  • Retirer les voitures des routes par la construction d’infrastructures de transport public propres, adaptés aux sources d’énergies locales et renouvelables, tout en les rendant accessibles et abordables à tou-te-s.
  • Promouvoir la production et la consommation locales de biens durables permettant de satisfaire les besoins fondamentaux des populations et éviter le transport des biens qui peuvent être produits localement.
  • Mettre fin et inverser les accords de libre-échange et d’investissements négociés au profit du secteur privé qui promeuvent le commerce pour la recherche du profit, qui détruisent la force de travail, la nature et la capacité des nations à définir leurs propres politiques.
  • Mettre fin à la capture par le secteur privé de l’économie et des ressources naturelles au profit des entreprises multinationales.
  • Démanteler l’industrie et les infrastructures militaires dans le but de réduire les émissions de gaz à effets de serre, et de récupérer les budgets militaires pour promouvoir une paix véritable.

Avec ces mesures, nous serons en mesure d’obtenir le plein-emploi car, construit dans cette perspective de changement systémique, il y aura plus d’emplois de meilleure qualité pour tou-te-s que dans l’actuel système capitaliste. Avec ces mesures nous serons en mesure de bâtir une économie qui soit au service des populations et non des capitalistes. Nous mettrons ainsi fin à la dégradation sans fin de la terre, de l’air et de l’eau tout en préservant la santé des êtres humains et les cycles vitaux de la nature. Nous éviterons les migrations forcées et les millions de réfugiés climatiques.

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Changer le système nécessite de mettre un terme à l’empire mondial qu’exercent les entreprises multinationales et les banques. Seule une société qui établit un modèle de contrôle démocratique sur les ressources, basé sur les droits des travailleurs (y compris migrants), des femmes et des populations indigènes, et qui respecte la souveraineté des populations, sera en mesure de garantir la justice économique, sociale et environnementale. Changer le système exige de briser le patriarcat dans le but de garantir les droits des femmes dans toutes les dimensions de l’existence. Le féminisme et l’écologie sont des éléments clefs de la nouvelle société pour laquelle nous nous battons.

Nous avons besoin d’un nouveau système qui vise l’harmonie entre les êtres humains et la nature et non pas d’un modèle de croissance infinie promu par le système capitaliste cherchant à accroître encore et encore les profits. La Terre-Mère et les ressources naturelles ne peuvent pas subvenir aux besoins de consommation et de production de cette société industrielle moderne. Nous avons besoin d’une nouveau système qui réponde aux besoins de la majorité, pas à ceux de la minorité. Nous avons besoin de redistribuer la richesse qui est à ce jour contrôlée par les 1%. Nous avons également besoin d’une nouvelle définition de ce qu’est le bien-être et la prospérité pour toute vie sur la planète qui tienne compte des limites de la Terre-Mère.

Alors qu’il y aura encore des batailles à l’intérieur des négociations de l’ONU sur le climat, les principales batailles à mener seront à l’extérieur et seront ancrées dans les lieux où des luttes de première importance se déroulent contre l’industrie des énergies fossiles, l’agriculture industrielle, la déforestation, la pollution industrielle, les systèmes de compensation carbone et les projets de compensation de type REDD, le tout impliquant l’accaparement des terres et de l’eau et des migrations partout sur la planète.

Les Etats-Unis, l’Union Européenne, le Japon, la Russie et les autres pays industrialisés, en tant que principaux et émetteurs historiques de carbone, doivent mettre en œuvre les plus importantes réductions d’émissions. La Chine, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud et d’autres économies émergentes, devraient également avoir des objectifs de réduction d’émissions basées sur les principes de responsabilités communes mais différenciées. Nous n’acceptons pas qu’au nom du droit au développement, plusieurs projets poursuivant une consommation et exploitation de la nature insoutenables soient promus dans des pays en développement et ce alors qu’ils profitent seulement aux 1 %.

La bataille pour un nouveau système est aussi celle contre les fausses solutions au changement climatique. Si nous ne les arrêtons pas, ils vont perturber le système terrestre et affecter profondément la santé de la nature et de toute vie sur terre. C’est pourquoi nous rejetons les pseudo-solutions technologiques que sont la géo-ingéniérie, les organismes génétiquement modifiés, les agrocarburants, l’usage industriel de la biomasse, la biologie synthétique, les nanotechnologies, la fracturation hydraulique (fracking), les projets nucléaires, l’utilisation des déchets comme source d’énergie à travers l’incinération, etc.

Nous nous opposons également aux propositions visant à étendre la marchandisation, la financiarisation et la privatisation des fonctions de la nature à travers ce qu’ils appellent « l’économie verte » qui cherche à établir un prix sur la nature et créer de nouveaux marchés dérivés qui vont seulement accroître les inégalités et accélérer la destruction de la nature. Nous ne pouvons pas confier l’avenir de la nature et de l’humanité dans les mains des mécanismes financiers et spéculatifs tels que le commerce du carbone et REDD. Nous nous faisons l’écho et amplifions les nombreuses voix qui exigent que l’Union Européenne mette fin à son marché carbone (EU ETS).

Les dispositifs REDD (Réduire les émissions liées à la déforestation et la dégradation des forêts), comme les Mécanismes de développement propre, n’est pas une solution au changement climatique et c’est une nouvelle forme de colonialisme. En défense des populations indigènes, des communautés locales et de l’environnement, nous rejetons REDD+ et l’accaparement des forêts, des terres agricoles, des sols, des mangroves, des algues marines et des océans de la planète qui agissent comme des puits à carbone. REDD et son expansion constituent une contre-réforme agraire mondiale qui pervertit et détourne la production alimentaire dans un processus d’agriculture du carbone appelé « agriculture intelligente face au climat ».

Nous devons relier les luttes sociales et environnementales, rassembler les populations rurales et urbaines, combiner les initiatives locales et globales afin que nous puissions nous unir dans une lutte commune. Nous devons utiliser toutes les diverses formes de résistance. Nous devons construire un mouvement qui s’appuie sur la vie quotidienne des populations qui garantisse la démocratie à tous les niveaux de la société.

De nombreuses propositions contiennent déjà des éléments clefs nécessaires pour bâtir de nouvelles alternatives qui fassent système. En voici quelques exemples : le Buen-vivir (le vivre-bien), la défense des communs, le respect des territoires indigènes et des aires protégées, les droits de la Terre-Mère – droits de la nature, la souveraineté alimentaire, la prospérité sans croissance, la déglobalisation, l’indice de bonheur, les devoirs envers et les droits des générations futures, l’accord des peuples de Cochabamba, etc.

Cela fait longtemps que nous espérons un autre monde. Aujourd’hui, nous prenons cet espoir et le transformons en courage, force et action car ensemble, nous pouvons changer le système. S’il doit y avoir un futur pour l’humanité, nous devons nous battre pour le faire advenir tout de suite.

Avril 2013

http://climatespace2013.wordpress.com/

4 commentaires sur “Changer le système, pas le climat

  1. Laurent

    Les propositions sont généreuses et relèvent du bon sens MAIS, elles entravent la concentration de richesse… Or les ultras-riches mondiaux, ceux qui disposent de richesses, non pas énormes mais colossales, ne se laisseront jamais déposséder de leur fortune, de leur pouvoir et de leur position dans la société. Hélas, l’histoire nous a appris que ces gens sont prêts à tout, y compris au pire (meurtres, guerres, coup d’états, corruption de gouvernements) pour conserver leurs acquis. Nous ne sommes rien à côté de ces gens et pourtant, sans NOUS, ils ne sont rien.
    Affronter des forces qui agissent de concert avec les gouvernements corrompus ne mène à rien sinon à rentrer dans la catégorie « terroriste » au pire, « populiste » au mieux.
    Essayons donc la stratégie de l’évitement en évitant de nourrir ces monstres gras et saignants en s’extirpant de la société de consommation.

  2. tichit

    Dans le monde réel, toute utopie révolutionnaire doit s’appuyer sur une force armée capable d’endiguer les pressions contre révolutionnaires. Je vous conseille donc de ne pas trop couper dans les dépenses militaires.

  3. jacques dutheil

    Éclairant (!) sur les réalités européennes et allemandes en matière de politique énergétique : un reportage déconstruisant également les perceptions qu’on a de nos institutions surplombantes…
    Quant au technicisme, très puissant en termes d’efficacité manipulatrice dans les idéologies de « progrès » et de « développement », il nous renvoie finalement au simplisme…

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