Vive le réchauffement climatique !

Quel bel hommage à Christophe de Margerie, l’ancien PDG de Total mort dans un accident d’avion en Russie en 2014, un brise-glace russe porte désormais son nom. Et il ne s’agit pas de n’importe quel brise-glace… Le brise-glace Christophe de Margerie, affrété par Total, est en effet le premier navire commercial, un méthanier transportant du gaz naturel, à emprunter le passage Arctique du nord-est pour rallier l’Asie. Un gain de 15 jours par rapport à la route de Suez.

C’était en juillet dernier et la compagnie Total l’assure, c’était la première fois dans l’histoire qu’un navire commercial empruntait l’océan Arctique, par le passage du nord-est qui longe la Russie, sans être escorté par un remorqueur brise-glace. Et cette première est revenue au méthanier construit par les Russes et baptisé en juin dernier, par Vladimir Poutine en personne, du nom de l’ancien PDG de Total, Christophe de Margerie, disparu dans un accident d’avion en 2014 à Moscou (1).

En passant par la route de l’Arctique et le détroit de Béring, le Christophe de Margerie n’a mis que 15 jours pour rallier la Corée, contre 30 s’il empruntait le canal de Suez. Une diminution par deux des temps de trajets et donc des coûts, ce qui représente une hausse prévisible non négligeable des profits (un peu plus de 7 milliards pour Total en 2017).

Passer en bateau par le Grand Nord n’est en effet pas une sinécure, et même en plein été. Malgré le réchauffement climatique, il y a encore de la glace dans le coin au mois de juillet. Pour transporter tout le gaz ou le pétrole qu’on exploite désormais massivement dans l’arctique, il fallait jusqu’à présent des convois de pétroliers ou de méthaniers escortés par un remorqueur brise-glace.

Désormais, c’est beaucoup mieux, on construit directement des pétroliers ou des méthaniers qui sont en même temps des brise-glace, il fallait y penser. On n’arrête pas le progrès, surtout pas quelques morceaux de banquise pas encore décongelés!


Capture d’écran de la vidéo diffusée par Greenpeace alertant sur la fonte record des glaces de mer de l’Arctique. Goddard Space Flight Center/NASA

Et comme les températures du Grand Nord ont tendance à quand même bien se réchauffer (2), ces fabuleux bateaux peuvent même désormais faire la traversée du Grand Nord en plein mois de décembre.

Du moins, c’est ce que nous apprend le Forum économique mondial, mieux connu sous le nom de Forum de Davos en Suisse (3). En décembre dernier, un autre méthanier, le Eduard Toll, a en effet été le premier à s’attaquer à la Route de la mer du Nord pendant l’hiver et sans aide. Pas de bol pour Christophe de Margerie, battu par un méthanier sous pavillon des Bahamas en plus!

Le Christophe de Margerie ou autre Eduard Toll ne sont que l’avant-garde d’une flotte de quinze brise-glace méthaniers, spécialement conçus pour assurer l’exportation de gaz depuis le gigantesque gisement de Iamal, dans l’extrême nord russe. Ce champ, situé sur le continent, est actuellement développé par la compagnie russe privée Novatek, Total (à hauteur de 20%) et le chinois CNPC. L’objectif est à terme, de livrer chaque année, depuis le port de Sabetta, construit à cet effet, 16,5 millions de tonnes de GNL, autant que les exportations de GNL de l’Indonésie, 5e exportateur mondial.

Tous ces beaux navires à la fois transporteurs de pétrole ou de méthane et brise-glace sont prêts à réduire en glaçons n’importe quel bout de banquise qui aurait échappé miraculeusement au réchauffement climatique. Pour y parvenir, le Christophe de Margerie, d’un coût de 320 millions de dollars, long de 299 mètres et haut de 60 mètres est alimenté par une chaudière de 45 MW, la plus puissante à ce jour à équiper un tel navire. Rien de trop pour transporter plus de 172 000 mètres cubes de gaz naturel liquéfié (4).

Lire aussi :  L'ironie du réchauffement climatique

Selon Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et coprésidente d’un groupe de travail du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), « la banquise a perdu plus de la moitié de sa surface à la fin de l’été, en une soixantaine d’années. » (5)

Le dégel en cours ouvre des perspectives fabuleuses pour l’industrie, pas étonnant que cela intéresse le Forum de Davos, pour lequel la traversée du Grand Nord en plein mois de décembre par le Eduard Toll « représente un grand pas en avant dans le transport maritime international. » (3)

Mais, pour être tout à fait juste, le dégel ne concerne pas que le transport maritime international. En fondant, la glace libère des territoires recelant de gigantesques ressources, celles-là même qui sont responsables du réchauffement climatique.

En effet, la région arctique pourrait receler 13 % des réserves de pétrole et 30 % des réserves de gaz naturel non découvertes de la planète (5). De quoi faire rouler encore quelques bagnoles sur les voies sur berge à Paris….

« Le pôle Nord est encore plus riche que l’Arabie Saoudite : il regorge de gaz, de pétrole, de diamants et de minerais divers. La banquise empêchait jusqu’ici tout accès à ces richesses. Une fois la glace disparue, plus rien ne s’opposera à l’exploration du sous-sol et des hauts-fonds polaires. » (6)

Et tant pis si cela doit se traduire par encore plus de réchauffement climatique, des risques de marées noires et de pollutions dans le Grand Nord et des risques majeurs pour la biodiversité de l’Arctique.

Les industriels qui se prévalent d’études « scientifiques » commencent à suggérer, par exemple, que la menace climatique qui pèse sur les ours blancs est surestimée car ces derniers vont rapidement devenir végétariens pour s’adapter, en se nourrissant de baies sauvages plutôt que de phoques…(7)

Par ailleurs, le risque d’accidents pétroliers dans l’Arctique s’accroît avec la multiplication des forages. Personne ne dispose des moyens ni des technologiques nécessaires pour y faire face. Avec des conditions beaucoup plus difficiles, l’Arctique ne bénéficie même pas du dixième des moyens déployés en 2010 pour colmater, avec beaucoup de peines, la marée noire de Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique.

Aux dernières nouvelles, on ne sait même pas comment séparer efficacement le pétrole de la glace en cas de marée noire… (8) On pourrait peut-être en faire des glaces au chocolat?

nouvelle-frontiere-du-capitalisme

Notes

(1) Fabrice Nodé-Langlois, Premier voyage dans l’Arctique pour le brise-glace Christophe de Margerie, Le Figaro, 28 juillet 2017.
(2) Pic de « douceur » au pôle Nord, Le Monde, 27 février 2018.
(3) Rob Smith, This tanker is the first to sail across the melted Arctic in winter, World Economic Forum, 16 février 2018.
(4) Ludovic Dupin, Un méthanier nommé « Christophe de Margerie », L’Usine Nouvelle, 2 avril 2017.
(5) Aude Massiot, Climat: ainsi fond, fond, fond l’Arctique, Libération, 9 janvier 2017.
(6) Philippe Vasset, Journal intime d’une prédatrice, Fayard, Août 2010.
(7) Ed Struzik, Climate Threat to Polar Bears: Despite Facts, Doubters Remain, Yale Environment 360, 6 juillet 2009.
(8) Olivier Petitjean, L’Arctique, soumise au réchauffement climatique, résistera-t-elle à la convoitise des pétroliers ?, Bastamag, 5 avril 2016.

4 commentaires sur “Vive le réchauffement climatique !

  1. PMeBc

    Juste génial!!!!!!

    Jusqu’à présent quand je devais scier une branche de mon pin je m’assayais dessus puis je coupais entre moi et le tronc avec une scie. Maintenant je vais le faire avec une tronçonneuse. C’est bien plus rapide, plus confortable et probablement plus intelligent. Wouhaoooo.

  2. pedibus

    oui Marcélou… ça a vraiment l’air de partir en sucette cette histoire… notre pauvre histoire… pas boaaa du tout… l’anthropocène va être très court… pas besoin de m’dame Irma… c’est tout vu…

  3. Desseaux Joël

    Christophe de Margerie, le seul pétrolier qui osait avoué que le pétrole c’était bientôt fini et comme par hasard il est mort chez son ami le plus gros producteur de pétrole, le monde est mal fait.

  4. Vince

    Le dernier homme sur Terre sera archi-multi-milliardaire, malade comme un chien à cause de la pollution mais richissime.

    Il fera alors sauter la planète à coup de bombe atomique pour récupérer le fer au milieu, on va pas laisser ça.

    Dans 50 ans.

     

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