Voici la vidéo, réalisée par Clovis Gicquel, de ce mien poème que je dédie à la mémoire de Rémi Guitteny, militant vélorutionnaire de Concarneau décédé en Décembre dernier.
« … Est-ce un rêve ? Est-ce un rêve que ces capots feutrés planquant les moteurs, que ces courbes fluides des angles lissant les démarrages, que ces roues bien gommeuses épousant sans bruit l’asphalte, que ces avertissements silencieusement blafards de clignotants labiles, que ces lasers livides des phares pulvérisant sans escarbilles le charbon de la nuit, que cette insidieuse transparence des échappements gazeux ? Est-ce un rêve aussi que cela: derrière les arrondis vitrés de synthèse, atones et les yeux virtuels, les mains fondues dans le cercle mou de leurs décisions mécaniques, les jambes happées par le siège, les pieds sucés par des pédales hydrauliques privées de la passion des jambes aux moulinets jubilatoires, le costume invariablement statique quelles que soient les épreuves du climat, cela:
ce qu’il reste des hommes: des sortes de bagnoles… »
Gwenael De Boodt
Diplomensuel: La station théâtre de La Mezière from Diplodocus, empreintes du réel on Vimeo.
Très beau texte.
Condoléances:
Un article de Pierre Thiesset dans le dernier numéro de La Décroissance (Mars 2018) rend hommage à Rémi Guitteny.
J’allais le dire, Gwenael m’a coupé la route…
C’est dur à lire et à regarder.
à emmp: Désolé de vous avoir coupé la route mais je ne vous avais pas vu venir trop silencieux que vous étiez sans moteur ni klaxon. La prochaine fois je vous attendrai. L’attente, la contemplation et le partage sont bien les seuls luxes que nous puissions nous payer à pied ou à vélo tandis que les automobilistes, nous le savons, sont esclaves de la vitesse et de la promptitude de la fureur…
Vous dites que le poème et la vidéo sont durs à lire et à regarder. Je le conçois aisément. J’écris en effet pour nous endurcir dans nos résistances, ce n’est pas pour nous désespérer mais pour entretenir notre imaginaire au delà du discours parce que c’est aussi là que nous pouvons puiser les ressources de nos convictions, au croisement (devrais-je dire « au carrefour ») du réel et de la langue pour que cette dernière soulève la croûte imperméable et uniforme des autoroutes de la communication. Car la langue est elle aussi victime d’une croissance des réseaux, de leurs grands boulevards de slogans compétitifs qui étouffent toute poésie. La poésie ne peut se contenter d’être bucolique dans un monde d’automatismes. Il faut une profusion, une masse critique de singularités verbales pédalantes et piétonnes contre le déni du miracle de la vie et les litanies synchrones de la célébration technologique.
Je sais que les lectures publiques de ce texte ont rendu tristes des personnes venues ici en automobile. Mais c’est aussi la vertu de cette tristesse que d’éroder leur confort, que d’ébranler leurs certitudes de ne plus pouvoir faire ce fameux pas de côté qui puisse nous soustraire à la marche forcée du productivisme. Et s’il faut évidemment partager la joie, que ce soit dans les corps rendus à leur simplicité, à leurs facultés primordiales, à la grâce de leurs mouvements, à nos désirs de s’incarner dans l’espace avec la fierté d’y être sans esclave technique, de ne devoir cette danse harmonieuse qu’à nous-même.
Donc, faire danser la langue c’est dur, oui, aussi dur que de prendre son vélo dans le flot des autos, que de se faire symbole vivant d’une évidence d’avenir parmi l’écrasement du sensible. C’est notre réalité car nous ne pouvons faire malheureusement disparaître le monstre technique d’un claquement de doigts.