On sourit de pitié aujourd’hui en songeant au coursier légendaire du terrible conquérant. Quels dégâts pouvait bien faire ce quadrupède historique à travers les immenses étendues incultes de la planète? Ecraser un peu d’herbe et fouler quelques broussailles…
A coté des modernes et invisibles chevaux qui, par groupes de dix, ou vingt, ou cent, propulsent les bolides d’acier sur nos routes, le cheval d’Attila apparait comme un fléau bien piètre et bien surfait. Son galop était silencieux et le galop moderne est dix fois plus rapide et cent fois plus bruyant; son crottin fertilisait la terre et les déjections des chevaux-vapeur empoisonnent les vivants et dessèchent les végétaux; enfin, si d’aventure il lui advenait de fouler des humains, il ne les transformait pas en informes galettes comme les modernes conquérants de la route.
N’allez pas croire que je vitupère contre le progrès. Tant qu’ils restent sur rails, les véhicules à grande vitesse ne rendent que des services: mais dès qu’ils s’aventurent sur les routes où les malheureux piétons sont admis à circuler, la mort les accompagne, non plus avec une faux, mais avec une faucheuse. La rubrique des accidents d’autos emplit chaque jour une demi-colonne des grands journaux. Jusqu’ici les écraseurs poussaient au moins la condescendance jusqu’à relever leurs victimes et déplorer plus ou moins sincèrement la fatalité… Cette formalité toute platonique n’existe plus. Maintenant les chauffards disparaissent leur coup accompli.
L’autre jour, l’un d’entre eux écrase un cycliste sur la route de St-Cyr: arrêté par les témoins de l’accident, il sort son revolver, maintient la foule à distance et… se sauve. On l’a repincé depuis, mais il s’en tirera avec une forte amende. Dans la seule journée lundi dernier, deux écrasements d’enfants ont eu lieu, suivis bien entendu, de la fuite des assassins. De ce qui avait été leur joie et leur amour, les parents n’ont retrouvé que des débris sanglants et regardé disparaître dans le lointain un nuage de poussière. Attila avait passé, un Attila anonyme, plus noir encore que le précédent, plus lâche surtout, la vie humaine est meilleur marché qu’elle n’a jamais été. On écrase, mais on va vite.
Les auteurs d’ »homicides par imprudence » sont pressés. La plupart n’exercent aucune profession, leurs voyages n’ont d’autre but que de dévorer des kilomètres, mais il leur faut la voie libre. Quiconque s’aventure à pied sur les grandes artères hantées par les automobiles peut faire son acte de contrition. Un ronflement, un choc mou: c’est fini. La liste terrifiante des écrasés compte un nom de plus.
J’avoue que cette fin lugubre sous les roues caoutchoutées d’un bolide ne me tente pas. Et même j’éprouve un furieux sentiment de révolte devant les méfaits multipliés des chauffards. Tous les candidats à la mort sans phrases – ils sont nombreux car, quoi qu’en disent les fabricants de pneus, l’auto est encore un luxe inaccessible à beaucoup de Français – tous les piétons, dis-je sentent gronder en eux une colère sourde et se demandent si les Pouvoirs publics vont rester longtemps encore indifférents à cette sombre horreur. Notre code pénal est d’une ridicule indulgence vis-à-vis des auteurs d’accidents sur route. La seule peine infamante dont il les frappe c’est tout au plus un mois de prison, presque toujours avec sursis. Comme d’autre part, les peines pécuniaires sont supportées par les assurances, nul obstacle sérieux ne s’oppose à la fureur sanguinaire des brigands de la route.
Depuis longtemps, la presse a attiré l’attention du législateur sur cette carence du Code, qui rédigé à une époque où l’auto était inconnue, n’avait pas prévu les accidents résultant des excès de vitesse. Le législateur reste obstinément sourd. Faut-il attribuer cette inertie à cette circonstance que la plupart de nos honorables possèdent une automobile? Peut-être. En tout cas, ce n’est pas une raison. Les chauffeurs prudents n’ont rien à redouter des rigueurs d’une loi renforcée, qui peut-être, ferait réfléchir les écraseurs et les fervents du vertige de la vitesse.
Maintenant que les automobiles ont transformé nos routes en un véritable « no man’s land » bouleversé et raviné, qu’on les empêche du moins d’en faire un champ de bataille jonché d’écrasés. Car le piéton, à bout de patience, finirait par se promener la carabine à répétition sur l’épaule, et suivant une expression historique, « d’enclume qu’il est, deviendrait marteau. »
Justin Bourgeade
Le Réveil du Cantal, 17 mars 1925.
Rebonjour, c’est encore moi ; c’est la litanie des faits divers, qui n’a peut-être pas grand chose à faire ici : à quoi bon signaler tous les chiens écrasés ? On en a tous les jours des trucs comme ça, et ça ne sert à rien de se cogner tous les accidents de la route, c’est sans fin ;
sauf… que le cas se pose ici comme ‘un peu plus’ que ‘typique’, c’est ‘un peu plus’ qu’un ‘fait divers’, même si on ne peut pas comparer ;
on a :
vitesse, ligne droite en plein jour dans la campagne bretonne, alcoolisation, enfant trainé sur 800 mètre et délit de fuite… Bref on a la totale, une forme ‘essentielle’ ou ‘essentialisée’ de la stupidité (comment dire ?) d’un homme qui n’a jamais ‘voulu faire de mal à personne’ le bon bougre, pardi, un gars bien de chez nous – et on va encore nous bassiner avec la banalité du mal.
https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/brandivy-une-maman-et-sa-fille-de-deux-ans-tuees-par-un-chauffard-fortement-alcoolise-1662371081
Le fait d’évoquer un truc pareil c’est juste l’occasion de rappeler le mal de la banalité.