Les assassins et les meurtriers sont nommés par le Code pénal mais les responsables de 5000 morts par an dans notre pays ne le sont pas.
Ces 5000 morts et plus de 100 000 blessés sont déclarés involontaires ainsi que la plupart des responsables de ce massacre. Pourtant c’est volontairement que nous prenons le volant d’un véhicule automobile, volontairement acheté, loué ou emprunté et volontairement plus ou moins bien fabriqué ou entretenu. C’est volontairement que nous consommons des doses d’alcool, de médicament ou autres substances diminuant les capacités intellectuelles et physiques nécessaires à la conduite automobile, c’est volontairement, quel que soit notre état de fatigue, que nous faisons le choix de vouloir parvenir plus vite à notre destination sans tenir comptes des trajectoires de nos contemporains.
C’est tout aussi volontairement que les pouvoirs publics refusent de débattre de cette prééminence absolue accordée à tout ce qui est “automobile” et que des dispositions réglementaires ne sont pas prises ou qu’on ne sait pas comment les faire respecter ou que les aménagements ne sont pas réalisés dans les endroits ou involontairement accident après accident les morts et blessés involontaires s’ajoutent, année après année.
C’est tout aussi volontairement que notre société actuelle est aveugle et sourde, que l’on me pardonne cette image, à cette réflexion : pourquoi continuer à vouloir transporter à tous prix 100 à 150 kg d’”être humain” – le nombre moyen de personnes transportées par véhicule est environ de deux – en mettant en mouvement jusqu’à plus de 100 km/heure une à deux tonnes de métal et de plastique consommant une précieuse ressource fossile dont la quantité est finie et dont, au passage, la production génère des conflits et des massacres et dont la combustion par ses rejets toxiques fait indirectement encore plus de victimes ainsi que des dégâts irréversibles à tout notre écosystème ?
Les mots manquent lorsqu’il s’agit de décrire cette pratique en l’examinant “de l’extérieur”, s’il était possible de s’abstraire de cette folie qui occupe plus de 95% de l’espace public dédié au déplacement et se trouve responsable d’une grande partie de la pollution de l’air que nous respirons.
Toutes les iconographies jusqu’à une époque récente nous montrent l’espace public des rues, routes et chemins occupé par tous les usagers, petits et grands, bêtes et gens, engagés à tous les commerces qui sont les fondements de l’activité humaine. Il ne s’agit pas de revenir à un temps ancien, un âge d’or qui n’a jamais existé. Il s’agit de comprendre pourquoi collectivement après avoir éliminé tout ce qui est vivant de la surface des routes on y tue 5000 personnes, dans un seul pays – un mort à l’heure – et on en blesse 100 000 autres qui se trouvent victime d’un accident ou qui s’y aventurent par mégarde à pied, mais il faut bien au moins traverser un jour. Et il est assez triste de voir que le but indépassable dans notre pays serait d’abaisser ce chiffre à celui de nos voisins, en proportion les trois quart ou la moitié moins pour les plus “vertueux”.
Depuis que le fait “automobile” existe, cela représente environ 30 millions de personnes tuées dans les pays qui ont pu accéder à ce progrès technique. Je préfère ne pas évaluer le chiffre des blessés dont beaucoup deviennent des handicapés lourds à vie. Ces chiffres sont comparables et s’ajoutent à ceux des deux grandes guerres qu’a connu notre XXe siècle et dont ces mêmes pays ont souffert. C’est donc bien une guerre dans laquelle volontairement nous sommes à la fois les vaincus et les vainqueurs involontaires.
Un des principaux arguments des tenants de ce progrès responsable de cette hécatombe, le mot est faible, est que des véhicules automobiles ont sauvé et sauveront de nombreuses vies humaines. Nous n’allons pas lancer ici un débat sur la réalité ou la pertinence de cette supposition ni nous lancer dans un décompte morbide en plus ou en moins dont il n’est pas certain qu’il tourne à l’avantage de cet argument.
Répondons simplement dans sa propre logique qu’il n’y a aucune objection à conserver les véhicules automobiles qui par construction et emploi constant sauvent des vies humaines et qu’il suffirait d’en disposer d’autres – tant que l’on ne sait pas faire autrement -, à proximité de toutes activités humaines nécessitant un éventuel déplacement d’urgence. Pour un pays comme la France on peut évaluer rapidement qu’en plus des véhicules de secours et de sécurité, une automobile pour deux cents habitants semble largement suffisante, soit 100 fois moins qu’actuellement.
Mais il n’y a pas de solution miracle à proposer. Je souhaite, avec de plus en plus de personnes, que cette folie et ce massacre cesse.
Si le problème des routes ne semble malheureusement pas avoir de solution à court terme, il n’en est pas de même dans les rues des agglomérations.
Sur les paquets de cigarettes figure maintenant la mention : “nuit gravement à la santé” et les pouvoirs publics ont instauré des espaces non-fumeurs, en fait il y a eu un renversement de l’autorisation : on ne peut fumer dans l’espace public clos que là où c’est autorisé ce qui a redonné l’accès sans nuisance de la plus grande partie des espaces aux non-fumeurs.
On peut très bien imaginer des mesures similaires pour la rue, l’espace public des villes. Et pas seulement un jour par an. Comment peut-on raisonnablement continuer à autoriser des véhicules à se mouvoir jusqu’à 50 km par heure dans les agglomérations alors que, dans le meilleur des cas, il faut plusieurs dizaines de mètres pour stopper cette masse de près d’une tonne de métal et dont la vitesse moyenne d’usage dans les villes s’élève à moins de 15 km par heure ? Abaisser cette autorisation de vitesse à 30 km par heure dans les zones les plus urbaines laissant ainsi croire à des espaces “protégés” permettant aux piétons de traverser plus souvent les flots de circulations automobiles est d’une incohérence et d’une stupidité physique sans nom : à 30 km par heure il faut aussi plus de dix mètres pour arrêter un véhicule et la plupart de ces voies ne mesurent pas autant de large. Un centimètre d’automobile dans un être vivant c’est un centimètre de trop, quelle que soit la vitesse. Et le Code de la route précise (art. R. 412-37) que le piéton doit, avant de traverser la chaussée, tenir “compte de la visibilité ainsi que de la distance et de la vitesse des véhicules”.
Je mets au défi les rédacteurs de ces articles d’en faire la démonstration et d’être en mesure de s’arrêter, même à seulement 30 km/heure, devant des piétons s’étant engagés car dans l’incapacité de “tenir compte de la vitesse” et je leur fais remarquer que ces dispositions pourraient bien être contraires à l’article premier de la Constitution qui prétend assurer “l’égalité devant la loi de tous les citoyens” ce qui n’est évidemment pas possible dans ces articles réglementaires pour celles et ceux, petits ou grands, jeunes ou vieux, ne se trouvant pas dans les mêmes dispositions qu’un athlète en pleine possession de toutes ses capacités physiques et intellectuelles, qu’il pleuve ou qu’il vente.
Il est vrai que la plupart des dispositions du Code de la route sont une somme de contradictions à l’article 4 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, préambule de notre Constitution, en créant une inégalité flagrante dans les déplacements des citoyens utilisant l’espace public entretenu par tous, selon que l’on se meut avec ses pieds ou que l’on se trouve à conduire un véhicule automobile.
La ville, le village, le bourg, sont les lieux des êtres humains pour l’échange : en ville les véhicules ne devraient circuler qu’au pas du piéton et lui accorder l’entière priorité.
Ailleurs toute permission de vitesse supérieure à celle de la course à pied est une autorisation involontaire de tuer et de blesser permise aux véhicules automobiles et, surviennent les morts et les blessés, à leurs innommables responsables.
Bruno Clémentin