Automobile et modes de vie urbains : quel degré de liberté ?
VINCENT KAUFMANN, CHRISTOPHE JEMELIN, JEAN-MARIE GUIDEZ
Programme de recherche et d’innovation dans les transports terrestres (PREDIT)
La croissance rapide de l’étalement urbain est souvent interprétée comme une résultante de l’adéquation entre la périurbanisation et certaines valeurs dominantes de notre époque : l’envie d’être propriétaire, d’habiter une maison individuelle, de se déplacer en automobile pour la privatisation de la mobilité et la maîtrise de l’espacetemps que la voiture procure. Parallèlement au développement périurbain se dégage une volonté de réduire les utilisations urbaines de l’automobile. La tâche est ardue et un regard rétrospectif sur les politiques menées pour limiter l’usage de l’automobile ces vingt dernières années en Europe suffit à s’en convaincre. Les stratégies visant à favoriser l’utilisation d’autres moyens de transport n’ont de manière générale pas atteint leurs objectifs, en particulier parce que l’étalement urbain rend ces stratégies inefficaces. Il résulte de ces échecs une vision fataliste, dans le domaine de la planification urbaine, quant aux possibilités d’action sur la mobilité quotidienne. En nous saisissant de cette situation, nous nous sommes posés deux questions :
• La prédisposition à l’usage de l’automobile est-elle généralisée dans la population? Est-il possible de favoriser d’autres modèles, et quelle est la contrainte exercée par le contexte urbain et social ?
• L’aspiration à vivre en maison individuelle est-elle dominante dans la population ou observe-t-on d’autres modèles résidentiels ? Lecas échéant, le marché du logement joue-t-il un rôle d’arbitre?
Pour les aborder, une approche comparative entre des morphologies urbaines variées a été retenue. Ce dispositif permet de confronter des tissus différenciés sur le plan de l’urbanisme (tissu urbain central, suburbain, de ville nouvelle et périurbain), insérés dans des agglomérations urbaines de tailles différentes. Les agglomérations retenues sont l’Île-de-France, l’agglomération lyonnaise, l’agglomération strasbourgeoise et Aix-en-Provence, dans lesquelles une enquête téléphonique a été réalisée auprès d’un échantillon de 500 personnes âgées de 15 à 74 ans par site étudié, représentatif de la population de ce site selon le sexe, l’âge et la catégorie socioprofessionnelle.
Après une analyse des sites sélectionnés et un traitement des entretiens par de nombreuses constructions typologiques, l’étude met en évidence deux résultats centraux :
1. Le premier est que la dynamique urbaine que connaissent actuellement les agglomérations françaises, et par laquelle la ville émergente se fait autour de l’automobile, n’est pas le fruit d’un modèle d’aspiration généralisé. S’il existe effectivement un modèle d’aspiration dominant associant l’automobile, l’insertion sociale par connexité et l’habitat individuel, d’autres modèles ont pu être mis en relief. Ainsi, toute la population n’aspire pas à se déplacer en automobile, toute la population ne déserte pas la proximité spatiale dont on observe qu’elle se renouvelle, toute la population ne souhaite pas vivre en maison individuelle :
2. Le deuxième résultat sur lequel débouche ce travail, sans doute le plus important, est que si toute la population n’aspire pas à l’usage de l’automobile et à l’habitat périurbain, un jeu de contraintes lié à la dynamique urbaine pousse les personnes porteuses d’autres désirs vers le modèle dominant. En d’autres mots, les modèles alternatifs sont aliénés par des contraintes d’offre. La dynamique urbaine favoisant l’automobile est donc certes l’expression agrégée de désirs individuels, mais elle s’impose aussi comme dynamique unique à des répondants porteurs d’autres projets résidentiels.
Ces résultats tendent à démontrer qu’il n’y a pas lieu d’être fataliste quant au pouvoir de l’action publique en matière de redirection des pratiques modales : des marges de manoeuvre existent. Elles peuvent prendre appui sur les multiples modèles de vie urbaine dont est porteuse la population.
Concrètement, ces marges de manoeuvre consistent à créer les conditions-cadres favorables à l’expression des modèles alternatifs, de façon à provoquer une inflexion dans la dynamique urbaine actuelle.
Cela nécessite cependant de se défaire de la vision dichotomique de la ville entre forme historique et forme périurbaine que l’on retrouve tant chez les décideurs, les professionnels du territoire et des transports. Une inflexion à la dynamique urbaine actuelle n’aura en effet lieu ni dans les villes centres, qui n’offrent que des potentiels de croissance limités, ni dans le périurbain.
Contrairement aux villes-centres qui ne se développent plus, à la ville périurbaine qui est une induction de l’automobilité, la ville-suburbaine des premières couronnes est le lieu où il et possible de promouvoir une croissance urbaine qui ne soit pas exclusivement fondée sur l’automobile. Nous avons pu constater que le suburbain était actuellement fortement déprécié par la population. Ces localisations sont pourtant porteuses de potentiels appropriables d’une façon multiple : les transports publics y sont souvent déjà actuellement de bonne qualité, une requalification urbaine et une densification des friches et autres espaces interstitiels permettrait d’y développer une ville durable autour de nouvelles formes urbaines de densités intermédiaires pour le moment presque inconnues en France.
ADEME – DRAST – PREDIT
Mobilités et dynamiques urbaines : l’enjeu du suburbain
Source : www.ladocumentationfrancaise.fr