L’auto (asservissement) mobile

La bagnole, de l’autonomie à la dépendance.

Par Franck Michel

« La voiture sera du monde le vrai logis »
Charles de Ligne, L’art de voyager, 1797.

Deux cent dix ans nous séparent de la date à laquelle a été publiée cette phrase du Prince de Ligne, et l’automobile, cette voiture à l’image de notre temps, qu’elle soit critiquée ou adulée, a le vent en poupe: ne parle-t-on pas de plus en plus de voiture écologique ou de voiture propre, ce qui est une aberration qui relève d’un effet de mode et plus encore de marketing. Le récent Salon de Francfort (septembre 2007) a vu les constructeurs rivaliser de prouesses dans l’espoir de mettre en avant des bolides plus électriques que jamais… Mais « les affaires sont les affaires » aurait sans doute dit Octave Mirbeau…

Cent ans après la publication de son récit, La 628-E8, nous évoquerons ici l’évolution d’un mythe qui perdure, celui de l’automobile ou de la bagnole (c’est selon) – de Morand à Barthes en passant par les entreprises de conquêtes coloniales automobiles du monde (des « croisières noire et jaune » jusqu’à l’actuel Paris-Dakar) –, ainsi que la place prépondérante, oppressante même, qu’occupe désormais la voiture individuelle au cœur de nos vies, de nos cités, de nos séjours touristiques, au risque de tuer le sens même du voyage, d’hypothéquer l’indispensable ouverture aux autres et d’entraver un peu plus la diversité du monde déjà durement à l’épreuve.

De l’autonomie dans le meilleur des cas à l’auto asservissement dans le pire des cas, l’auto est d’abord un objet mobile, et non pas un sujet que certains vont jusqu’à préférer à leur humaine moitié! En voiture, ou à cause d’elle, le crash n’est jamais très loin…

L’automobile a modelé nos modes de vie et nos façons d’être et de penser: de l’esprit de compétition à celui de l’aventure, avec son culte de la vitesse et sa culture de soi, le voyage en automobile a certes permis d’élargir l’horizon en toute liberté, de Mirbeau à Kerouac, mais il a aussi montré toutes les limites humaines dès lors que, asservi à l’ordre du Progrès, l’homme – bien plus que la femme au demeurant! – livre son destin au pouvoir tout-puissant de la machine.

Un siècle sépare une belle époque pleine de rêves et une vieille Europe qui doute d’elle-même et se sent privée d’avenir : la bagnole, tout comme le voyage transformé en tourisme, ne seraient-ils dans ce contexte plus que de vulgaires moyens d’assouvir une véritable passion oubliée, mais ô combien fantasmée? La passion de l’ailleurs.

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Et l’automobile, connaîtra-t-elle un autre destin que celui des s’apparenter à une prison mobile? Prison dorée pour certains, comme ces hommes d’affaires thaïlandais qui, dans les interminables embouteillages à Bangkok, installent leur « bureau mobile » – avec secrétaire et toilettes – à bord (à l’arrière) de leur véhicule avec chauffeur. Vitres teintées si possible et de toute façon fermées en raison de la pollution à l’extérieur et de la climatisation à l’intérieur… Alors? Liberté (chèrement) conquise ou servitude volontaire?

« Il faut bien le dire – et ce n’est pas la moindre de ses curiosités – l’automobilisme est donc une maladie, une maladie mentale. Et cette maladie s’appelle d’un nom très joli: la vitesse », écrit Mirbeau dans La 628-E8. Au volant de son « tacot », ou plus précisément de sa « Charron », l’écrivain Octave Mirbeau avait vu juste! Un siècle après avoir établi ce constat, l’automobile (« l’automobilisme » étant un terme sauf erreur en perdition) est toujours aussi vénérée dans le monde, l’hymne qui lui fut alors dédié s’étant déplacé vers d’autres continents. Pour le meilleur et surtout pour le pire, qu’il s’agisse de l’état de la planète ou de celui de ses habitants, plus individualistes et matérialistes que jamais. Pour ce qui est du rapprochement des peuples, un siècle d’aventure mécanique a fortement remis en cause les espoirs suscités à la Belle Epoque…

La voiture distingue et sépare, enferme même, bien plus qu’elle ne rapproche, même si des exceptions viennent toujours – à l’instar déjà du périple de Mirbeau – confirmer la règle. Le XXe siècle fut un siècle de progrès et de malheurs, la voiture n’échappe pas à ce constat: emblème de l’autonomie et de la liberté, notamment individuelle, l’automobile s’est progressivement affirmée comme un objet de consommation embarrassant, source de nouvelles formes de dépendance, la sacro-sainte liberté laissant la place à la déesse de la servitude plus ou moins volontaire.

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2 commentaires sur “L’auto (asservissement) mobile

  1. Pougeux

    Monsieur,
    Pourriez-vous me décrire votre monde idyllique sans voitures, votre ville « cyclable ». Evoquez-moi, je vous prie, l’approvisionnement d’une ville, que dis-je une mégalopole comme Paris. Expliquez moi Monsieur, comment le salarié d’une entreprise se rend sur son lieu de travail “à bicyclette » en hiver. Vous dénigrez “l’automobile » sans trop savoir comment vous pourrez vivre « sans ». Comment pourrez-vous lire votre quotidien tous les jours, achetez votre baguette ? Votre autophobie a ceci de malsain qu’elle n’intégre pas les exigences de vie. L’humanisme ne vous appartient pas. Oeuvrez pour des carburants de substitution, l’usage de l’electricité, faites pression pour améliorer la vraie vie de vos concitoyens. Et arrêtez cette utopie nauséabonde. L’automobile, vous ne pouvez vivre sans !

  2. CarFree

    Vous trouverez énormément d’information sur les possibilités pratiques de la vie sans voiture (villes, quartiers et même villages sans voitures) en suivant ce lien:
    http://carfree.fr/index.php/category/vie-sans-voiture/
    si vous vous donnez bien sûr la peine de lire un peu les articles de ce site, au lieu de critiquer de manière purement idéologique ce qui y est proposé… car de vous à moi, c’est bien vous qui apparaissez complètement dépendant à l’automobile et qui ne pouvez vivre sans…au prix de la destruction de la planète, de la santé des gens et de l’environnement… dans ce contexte, c’est votre modèle de société qui apparaît nauséabond, désolé…

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