L’auteur américain James Howard Kunstler annonce le début de la “Longue Catastrophe”. Il ne s’agit pas de la fin du monde, mais bien de la fin imminente du pétrole bon marché et de notre mode de vie moderne.
Collaborateur du New York Times Magazine en tant que spécialiste des questions environnementales et économiques, James Howard Kunstler a publié un essai choc intitulé La fin du pétrole : Le vrai défi du XXIe siècle.
Dûment documenté, cet ouvrage d’anticipation géopolitique décrit notre monde sans pétrole bon marché. «D’ici à trois ans, prévoyait Kunstler en 2005, nous vivrons les premiers effets d’un grand bouleversement que j’appelle la Longue Catastrophe.» La fin du pétrole entraînerait des guerres, des crises sociales, l’éclatement de l’Empire américain et un appauvrissement important de tout l’Occident. Au mieux, d’ici à quelques décennies, notre mode de vie serait légèrement supérieur à celui de nos ancêtres au XVIIIe siècle.
Naturellement, trois ans plus tard, une mise au point s’impose… [N.B. : cet entretien date d’octobre 2008]
Q › La Longue Catastrophe est-elle commencée ?
R › On a les deux pieds dedans !
Q › Et qu’est-ce que cela signifie ?
R › Que l’époque du pétrole bon marché tire à sa fin et que nous sommes entrés dans une période de troubles et de grands défis. Notre mode de vie en sera bouleversé, notre modèle économique et social, totalement transformé. Déjà, les prix de l’essence, des billets d’avion et du panier d’épicerie donnent un aperçu de ce qui s’en vient…
Notre dépendance actuelle vis-à-vis du pétrole est totale. Notre agriculture, nos transports, nos banlieues, nos vêtements, tous les conforts et luxes de notre temps doivent leur existence aux carburants fossiles bon marché. Nous ne pourrons absolument pas continuer à vivre comme nous le faisons sans ce type d’énergie, c’est impensable.
Q › Pourquoi l’or noir ne connaîtrait-il pas simplement une crise passagère comme celles de 1973 et 1979 ?
R › Il est de plus en plus clair que nous avons atteint, depuis deux ou trois ans déjà, le sommet de production mondiale de pétrole, le fameux pic pétrolier. Nous ne produirons plus jamais autant de pétrole que par le passé car la production stagne, les réserves s’épuisent et très peu de nouveaux gisements sont découverts.
De son côté, la demande de pétrole a tellement crû ces dernières décennies qu’elle a surpassé l’offre. Cette situation inquiète sérieusement les grandes compagnies pétrolières, qui voient poindre à l’horizon une brusque décroissance, déjà très prononcée dans certains pays. Un des exemples les plus frappants est celui du gisement de Cantarell, au Mexique, où la production décroît au rythme de 15 % par année ! Or, ce gisement, exploité par la société d’État Pemex, fournit 60 % du pétrole mexicain et la compagnie constitue le troisième fournisseur pétrolier des États-Unis !
Pour couronner le tout, une nouvelle crise entre en jeu, celle de l’exportation du pétrole. Au fur et à mesure que les pays exportateurs de pétrole (Arabie Saoudite, Russie, Venezuela, Iran, etc.) se modernisent, ils puisent dans leurs réserves nationales pour répondre à leurs propres besoins pétroliers, qui sont en forte croissance. Résultat : ils freinent leur taux d’exportation, ce qui limite encore plus les quantités de pétrole disponible sur le marché.
Q › N’y a-t-il pas des réserves substantielles de pétrole encore non extraites, en Arctique par exemple ?
R › Oui, mais on en sait encore très peu sur l’importance de ces réserves. Et cela demeure un environnement extrêmement rigoureux. Produire et transporter du pétrole à partir de ces sources coûterait terriblement cher. Et c’est justement parce que l’investissement nécessaire à son extraction dépasse les profits souhaités que personne ne s’y aventure. Donc, il peut bien se trouver des tonnes de pétrole en Arctique, cela ne règlera pas nos problèmes.
Q › De plus, vous êtes loin de penser que les énergies alternatives grâce aux nouvelles technologies seront salutaires…
R › Je ne suis pas contre ces nouvelles avancées technologiques. Nous les utiliserons probablement toutes, ou du moins essaierons-nous de le faire. Mais je crois aussi fermement que nous serons déçus par ce qu’elles peuvent faire. Car ce n’est pas vrai que nous ferons fonctionner nos avions, nos Wal-Mart, nos Walt Disney World et nos gigantesques tours à air conditionné avec une combinaison d’énergie solaire, d’hydrogène et d’huile à patates. Rien ne pourra remplacer l’immense polyvalence et la facilité d’utilisation du pétrole.
Q › Quelles solutions proposez-vous ?
R › Il n’y a pas de solutions pour conserver nos modes de vie actuels. Plusieurs réponses intelligentes à nos problèmes existent, mais elles demandent des changements significatifs dans nos comportements.
Pourquoi ne pas commencer par restaurer le système ferroviaire nord-américain ? En fonctionnant à l’électricité, par exemple, il coûterait beaucoup moins cher que le système aérien, qui agonise un peu plus chaque jour. Les États-Unis et le Canada sont les deux seules nations modernes du monde à ne pas avoir un système de transport ferroviaire efficace…
Une autre option serait de retourner vivre dans des habitations plus modestes, au cœur de quartiers dynamiques pourvus de services accessibles autrement qu’en voiture. Tout le contraire des mégabanlieues qui poussent partout en Amérique du Nord.
Nous devrions aussi intégrer les paysages agricoles à ces nouveaux aménagements. L’agriculture d’aujourd’hui, totalement dépendante du pétrole, fait face à d’insurmontables difficultés. Nous devrons donc bientôt produire notre nourriture autrement, de manière plus traditionnelle, plus locale, sur des plus petites fermes, près d’où nous vivons.
Q › Pourquoi sommes-nous si mal préparés face à ce qui s’en vient ? Manquons-nous d’information ?
R › Je ne crois pas. Toutes les autorités crédibles s’accordent à dire que les réserves de pétrole seront complètement épuisées d’ici à la fin du XXIe siècle. Si l’on ne s’inquiète pas davantage, c’est qu’on s’imagine que la technologie et les marchés nous sauveront.
C’est ce que j’appelle la pensée magique. Habituellement, ce terme s’applique aux enfants ! Mais il est évident que nos sociétés modernes s’appuient sur un nombre exorbitant de rêves, d’illusions et de fantasmes. Mais nous sommes incapables de faire face à la réalité. Nous n’arrivons pas à croire que 200 ans de modernité peuvent être balayés par une pénurie mondiale d’énergie.
Q › Histoire de se préparer, pouvez-vous décrire ce à quoi ressemblera la vie après le pétrole ?
R › Le XXIe siècle sera plus sédentaire que nomade. Se déplacer sans cesse comme on le fait aujourd’hui engendrera des coûts que nous ne pourrons plus assumer. Voyager en avion (re)deviendra une activité élitiste, peu abordable pour la classe moyenne. Pour les longues distances, nous devrons nous rabattre sur les trains et les bateaux. La vie sera plus lente, plus locale. Nos systèmes économiques et agricoles s’organiseront à plus petite échelle. Nos Wal-Mart, K-Mart et autres Home Depot vont dépérir et mourir. L’idée même d’une culture de consommation périra avec ces mégamagasins. Nombre d’universités devront fermer, le marché de l’emploi ne nécessitant plus autant de diplômés de l’enseignement supérieur, mais davantage de gens de métier.
Il y aura aussi d’énormes frictions entre les pays grands consommateurs de pétrole (NDLR : comme la Chine et les États-Unis) qui se feront compétition pour les ressources énergétiques. Je ne suis donc pas certain que dans un avenir prochain, nous entretiendrons les mêmes relations diplomatiques internationales qu’aujourd’hui. L’existence pendant la Longue Catastrophe sera exactement le contraire de celle que nous connaissons : la faim remplacera l’abondance ; le froid, la chaleur ; l’effort, le loisir ; la violence, la paix. Nous devrons adapter nos attitudes, nos valeurs et nos idées pour y faire face.
Q › Que répondez-vous à ceux qui qualifient votre vision d’alarmiste ou d’apocalyptique ?
R › Je m’en fous ! Je ne me considère pas du tout comme un alarmiste, je ne prône pas la révolution et je n’ai rien d’un lugubre. Je n’ai ni bunker ni collection de fusils. Je vis à Saratoga Springs, une petite ville classique du nord de l’État de New York, où je me déplace à vélo, entretiens un jardin et de nombreux liens sociaux. Mes écrits sont ceux d’un homme qui aime la vie et qui croit que nous devons être avertis de ce que l’avenir nous réserve.
Q › Gardez-vous confiance en l’avenir ?
R › Je ne suis pas pessimiste. Je crois que les sociétés humaines sont résilientes, et que les gens sont pleins de ressources et de potentiel. Nous sommes capables de passer à travers ces moments difficiles et d’en sortir gagnants. Sauf qu’après, il n’y aura sûrement pas de jeux vidéo et de longues balades en voiture !
Source: Magazine Jobboom Vol. 9 no. 9 octobre 2008