Les arbres ne sont d’aucune utilité pour le bon fonctionnement d’une prison, et il est très facile de généraliser cette évidence de « bon sens » à tout univers concentrationnaire. Alexandre Soljenitsyne, dans « Le Premier Cercle » rappelle que même la strate herbacée peut poser problème. Trop haute, un prisonnier peut avoir la mauvaise idée de s’y dissimuler, échapper à la surveillance des gardiens et tenter des choses répréhensibles. Obligeant l’administration du camp à rappeler son autorité, ce qu’elle veut par-dessus tout s’épargner, ce genre de tentation désespérée et parfois mortelle doit être prévenue. Le règlement exige une herbe toujours tondue rase pour éviter tout problème…
Mais beaucoup plus qu’inutiles, les arbres sont surtout incompatibles avec les procédures et dispositifs sécuritaires caractéristiques des systèmes concentrationnaires. Les nécessités les plus élémentaires de ces institutions condamnent les arbres.
Les villes modernes ne sont pas sensées être des espaces ou systèmes concentrationnaires, même si les préoccupations sécuritaires animent de plus en plus profondément les états-majors municipaux.
Comment peut-on expliquer cette communauté de pensée, de préoccupation et bien souvent d’action entre l’univers pénitentiaire et l’espace urbain ?
Beaucoup d’éléments de réponses existent déjà, étudiés depuis longtemps.
En première analyse, les villes partagent avec les milieux pénitentiaires une concentration anormale de population. Gérer des pensionnaires en grand nombre confinés dans un espace réduit et artificialisé génère des modes de pensée similaires.
Les institutions pénitentiaires, avec plusieurs longueurs d’avance dans ce domaine ont l’ascendant sur les autres systèmes concentrationnaires du futur.
Ce sont elles qui, les premières, ont justement bénéficié d’un effort de pensée rationaliste et pré technocratique pour leur perfectionnement. Très précocement et bien avant les villes, le développement architectural de l’univers carcéral a dû répondre à une charge de contraintes techniques multiples. En toute rigueur scientifique, les institutions pénitentiaires avec leurs multiples contraintes constituent un « modèle » précurseur de la ville désormais pensée dans les « hautes sphères »… Mais là n’est pas le propos de cette « Chronique d’un désastre » : pourquoi des arbres tombent-ils en masse dans la ville de Tours ?
« Dieu te voit ! »
Ce serait merveilleux pour nous, si la technocratie croyait à ça : « Dieu te voit ! ».
Cette phrase menaçante était inscrite dans les cellules chambres des jeunes pensionnaires de la Colonie Pénitentiaire de Mettray, en Touraine, pas très loin de ville de Tours. Jean Genet y a séjourné quelques années durant sa jeunesse. Et Michel Foucault finit son livre « Surveiller et punir » (1) en faisant de cette institution disciplinaire le point d’aboutissement et de départ de « l’archipel carcéral » du futur. « Le livre finit ici, il avait pour objectif d’établir l’arrière fond historique pour une compréhension des évolutions futures et formes extra-institutionnelles de l’archipel carcéral. » Quelle vision sombre de philosophe ! Quel avenir voulait-il nous faire pressentir ?
Dans la ville de Tours, nous somme libres d’aller et de venir ! Mais peut-on l’affirmer de manière certaine ?
« Dieu te voit ! » Quel bonheur ce serait pour nous aujourd’hui si ça pouvait être vrai !
Mini Big Brother bigleux
La municipalité « Gauche Plurielle », élus « Verts» silencieux et disciplinés en poche, a décidé il y a quelques années déjà, bien avant que cette « Chronique d’un Désastre » ne débute, de s’inscrire résolument dans la « modernité » contemporaine d’avant-garde. Insidieusement mais d’un bon pas, elle a initié un « ambitieux programme » de vidéosurveillance sur la ville avec de « gros budgets » alloués en matériel et en personnel. Plusieurs centaines de milliers d’euros ont déjà été dépensés et un personnel nombreux en alerte vidéo 24h/24, mène la garde.
Ainsi en a décidé l’état major municipal, pour offrir à son maire une sorte d’omniscience divine sur sa ville. Posté au sommet de la tour centrale de son « Panoptique » technologique, le maire de Tours qui voulait voir peut maintenant voir autour de lui son Peuple à lui heureux.
Mais le grand malheur pour nous, pauvres « attardés rétrogrades » aimant encore innocemment les arbres, c’est que le mini-Big Brother du grotesque autocrate local, n’est pas capable comme Dieu de voir derrière les arbres. Alors des abattages…
En toute logique technocratique un programme «audacieux de requalification des espaces verts » a été «diligenté» auprès de bureaux d’études appropriés. Spécialistes en «maladies graves des arbres», ils sont aussi assermentés pour établir et délivrer les «bulletins de santé» circonstanciés. Exprimé de manière plus explicite, des «re-calibrations» des essences végétales implantées ont été mises à l’étude et comme il fallait s’y attendre, des abattages de grands arbres ont été nécessaires.
Scènes de l’arbitraire ordinaire dans une ville de province
En Juillet 2004, une quarantaine d’arbres ont été abattus à «L’Ile Aucard», secteur de Tours Nord. Il s’agissait de travaux de «rénovation» d’un parking avec installation de deux caméras de vidéosurveillance. Des riverains n’ayant pas compris le «bien fondé» de ces dispositifs ont protesté; en vain. «Non aux caméras de vidéosurveillance sur le parking de l’Île Aucard !!!» titrait leur tract (2).
Devant ces manifestations d’insubordination «rétrograde» du peuple, l’état major municipal a réagi énergiquement. Avec «Les Verts» bien sages en poche tenus par discipline politicienne, l’autocrate a lancé l’assaut des tronçonneuses. En le faisant 15 jours en avance sur la date prévue des travaux, il assurait sa logique du massacre accompli.
«N’hésitez pas à nous rejoindre ! Toutes les propositions d’actions contre les caméras, et au-delà, visant à l’amélioration de la vie du quartier, seront les bienvenues.» Telle était la dernière phrase de leur tract. Signé «Des habitants du quartier»…
En Juillet 2009, le conseil municipal décide de taper plus fort en plusieurs lieux de la ville. En terme de «requalification des espaces», de «re-calibration des essences» et d’abattage de grands arbres, c’est dans le quartier de Sanitas en centre-ville que le déploiement de la vidéosurveillance a été le plus spectaculaire.
Ici il n’y a aucun doute et c’est bien compréhensible; il s’agit d’un «quartier populaire sensible» et en «difficulté». C’est donc à juste titre que l’autocrate local est inquiet et veut s’assurer de ses propres yeux que tout se passe pour le mieux comme dans «Le meilleur des Mondes». «La sécurité n’a pas de prix !»
Pour cette valeur montante et payante en stratégie politique, encore une fois des arbres ont été abattus. Là aussi des habitants ont protesté en vain (3).
«L’aseptisation du quartier du Sanitas dans la ville de Tours» (4), cette page pour la mémoire retrace et décortique dans le détail les manigances des autorités municipales.
Dans le Jardin Theuriet situé au sein de la cité, les essences végétales autorisées ont du satisfaire aux contraintes imposées par la vidéosurveillance.
C’est aussi dans ce quartier que le contingent macabre du Tramway a prévu de totaliser son plus grand nombre de victimes. «Les 160 arbres abattus du Sanitas (5).»
Pourtant il existe déjà de réels Big Brother plus sérieux mais encore trop onéreux pour la ville. Nettement plus puissants, ils sont capables comme Dieu de nous voir et de nous entendre même derrière les arbres. Mais le propre d’un Tyran est d’être impatient. Et ceux des temps modernes ne s’en remettent plus à Dieu pour assurer notre sécurité. Le notre à Tours dans son décor de paillettes médiatique a voulu réalisé lui-même pour voir de son vivant ce en quoi il croit profondément. S’assurer, vérifier et voir de ses propres yeux si son Peuple est heureux.
L’unique futur de l’archipel carcéral
Mais comment peut-on comparer l’espace urbain où tout est possible à un monde concentrationnaire où tout est interdit ?
Comment peut-on comparer des élus du «Peuple de Gauche» à des gardes chiourmes ?
Dans la ville, des sommes fabuleuses et des énergies colossales sont constamment dépensées pour notre bonheur, on illumine abondamment la ville pour notre « bien être » et on ne lésine pas en décoration pour les fêtes de Noël, un monde magnifique s’offre à nos yeux.
Mille et un objets sont dans les vitrines et nous captivent, nous émerveillent et ne demandent qu’à être possédés.
Mille et un fluides colorés et pétillants coulent abondamment, s’offrent a nous et ne souhaitent que rafraîchir nos gosiers secs.
Mille et une substances alimentaires nous attirent, stimulent nos envies et ne demandent qu’à remplir nos ventres.
Mais comment peut-on donc parler de prison dans un espace comme la ville où sont offertes des possibilités par millions de millions, pour satisfaire des désirs et des envies eux aussi exprimés par millions de millions !
Malheureusement, il ne s’agit déjà plus ici de prison, mais d’archipel carcéral, de lieu particulier où s’organise de manière planifiée et déjà presque automatisée l’optimisation des comportements pour assurer la diversité des captivités économiques. Par mille et un liens de captivités sensorielles exercées sur la population et il s’agit d’assurer la maximalisation des profits.
Dans la dialectique du peuple et du pouvoir, l’espace carcéral archaïque et traditionnel séparait le «mauvais peuple» du «bon peuple», la vermine et la gangrène devaient être contrôlées et amputées, pour «sauver» le maximum de «bon peuple» nécessaire au pouvoir. Mais dans le développement technologique du pouvoir, c’est encore et toujours tout «Le Peuple» qui est visé. Tout Le Peuple est visé pour être possédé, «corps et âme» dans toutes leurs potentialités.
Le futur de l’archipel carcéral se réalise dans une fête unanime et perpétuelle de la captivité.
Tours le 7 novembre 2010
JMS
(1) « Surveiller et punir » Michel Foucault Ed. Gallimard 1975.
(2) Des arbres rasés pour la vidéosurveillance ! – Souriez vous êtes filmés
(3) Le Sanitas, Lettre ouverte contre ceux qui nous détestent et déclarent la guerre à notre quartier – Souriez vous êtes filmés
(4) L’aseptisation du quartier du Sanitas dans la ville de Tours
(5) 160 arbres abattus en centre-ville (Sanitas) (tramway de Tours)
C’est effectivement une question particulièrement pertinente, la transformation de notre société en « société pénitentière », avec la vidéosurveillance, le contrôle social, la privatisation de l’espace public, le flicage…
C’est là où on comprend que le but des gouvernants n’est pas d’ameliorer la condition des hommes, mais de protéger une élite des masses laborieuses vues comme des masses dangereuses.
On pourrait parler aussi du phénomène des quartiers privés et meme des villes privées qui se développent aux USA (fermées, videosurveillees), pour isoler les riches et les protéger des pauvres…
Au train où vont les choses, je pense qu’on finira avec une puce dans le bras en guise de papiers d’identité, des caméras dans les domiciles (au nom de la raison d’état), parqués dans des quartiers ou des villes adaptées à notre statut social…
Au passage, je pense aussi que la voiture a joué et joue un rôle moteur dans cette évolution, en permettant une « mise à distance » des classes aisées du reste de la population (chacun son lotissement adapté à ses revenus).
Je partage ton point de vue et je dirais même plus au sujet de la voiture, elle a joué Le Rôle Primordial dans l’enfermement euphorique de la population. Elle a presque cloné la population par la l’homogénéisation industrielle des comportements et la normalisation des modes de pensée.
Voir sur le site ces deux vieux articles :
« Quand la voiture devient automobile » et
« La Mondialisation du STO par l’auto ».
Une lecture du livre « Surveiller et Punir » de Michel Foucault devrait être aussi proposée sur le site « carfree ».
Bonne lecture et surtout attachez votre ceinture car le texte « fonce à plus de 100 à l’heure » pour défoncer nos certitudes.
« Les zootomobilistes,
dans les zootomobiles,
c’est vrai zoo mobile,
en cage individuelle,
une seule espèce animale,
pas d’mélange original,
rien qu’un mammifère banal,
en mouvement perpétuel… »
(Chanson Plus Bifluorée)
🙂