Le vélo stimule l’imagination des parlementaires (hélas)

Pendant que tout le monde frissonne d’effroi à l’idée de la catastrophe qui a failli s’abattre sur nous (je ne sais pas si vous avez réalisé, mais 2000 ans après que la Grèce ait inventé la démocratie, ces salauds d’Hellènes ont failli faire un référendum…on croit rêver non.. ils respectent vraiment rien) pendant ce temps donc, une partie de nos parlementaires a décidé de faire un grand pied de nez à la morosité ambiante et de consacrer notre argent à des beuver… oops.. à des « études » dont les résultats sont… créatifs disons (et là, je suis très gentil, un qualificatif plus réaliste donnerait quelque chose du genre « dont les résultats frisent le délire » mais bon).

Concrètement l‘Assemblée Nationale travaille à un RAPPORT D’INFORMATION AU NOM DE LA MISSION D’INFORMATION RELATIVE À L’ANALYSE DES CAUSES DES ACCIDENTS DE LA CIRCULATION ET À LA PRÉVENTION ROUTIÈRE

Ce rapport est consultable ici : http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i3864-tI.asp

Son chapitre 3 est titré : III. – LE PARTAGE DE LA ROUTE, REFLET DE NOTRE CAPACITÉ AU VIVRE ENSEMBLE

Damned « partage de la route » ?? de la part d’une commission parlementaire, on peut à bon droit être tenté de sauter de joie, lisons donc….

Chouette, le second alinéa de ce chapitre III est : 2. La place des bicyclettes dans le trafic

Et hop, derechef, rebondissons un peu plus haut.. mais visons plutôt un endroit ou l’atterrissage peut s’envisager sans dommage, parce que là..mais alors là.. que lit-on dans cet unique petit sous chapitre consacré au vélo :

Plusieurs membres de la mission ont exprimé des réserves quant à la banalisation des voies de circulation à contresens destinées aux cyclistes, les « double-sens cyclables » institués, en particulier dans les « zones 30 », par le décret n°2008-754 du 30 juillet 2008 portant diverses dispositions de sécurité routière.

Ah bon ? tiens donc et pourquoi ça ?

En effet, ces aménagements transgressent le « tabou » du sens interdit et peuvent entraîner, par effet de surprise, des réactions non maîtrisées des autres usagers de la route.

L’expression est intéressante, s’étonner qu’une disposition du code de la route autorisant une circulation « transgresse le tabou du sens interdit ».. ça c’est peu banal…

Un rapport parlementaire qui qualifie une autorisation de transgression d’un interdit. Je n’avais jamais vu ça. Je subodore que c’est une première planétaire.

Bon mettons ça sur les effets secondaires d’un diner un peu arrosé.. (à la bonne votre !), et reprenons.

L’effet de surprise donc peut provoquer des « réactions non maitrisées des autres usagers » (ami lecteur, amie lectrice, je sais tu es perdu(e), mais t’inquiète, on veille à tout, donc en langage parlementaire, « autres usagers » veut dire « voiture » ) .

Ces « autres usagers » donc, ne maitrisent pas leur véhicule, c’est excessif, mais pas toujours faux disons et qui plus est ils sont surpris.

Donc si on résume, et qu’on essaie d’être logique : s’ils sont surpris c’est qu’ils sont mal informés, et s’ils ne maitrisent pas leur véhicule c’est contrariant voire dangereux. Un rapport parlementaire sur la sécurité routière va se dépêcher de remédier à ça.. euh hein ? ah non, il ne va rien du tout.

Vu que les « autres usagers » mal informés et sans maitrise de leur véhicule risquent de plomber les stats, on va recommander …. d’empêcher la circulation des vélos.. logique (Géraaard !!.. remets une tournée à tout l’monde !! on a trouvé la soluce !!)

Bon on pose les verres deux minutes et on poursuit la lecture de cet hilarant rapport (qui a dû nous coûter un bras et demi), nous en sommes toujours à cette histoire de double sens cyclable…

En outre, bien que le code de la route l’interdise expressément, il n’est pas rare que les usagers des deux-roues motorisés se croient autorisés à emprunter ces voies, ce qui fait changer de nature le risque induit.

Ami lecteur, amie lectrice, cesse de te frotter les yeux, tu as bien lu :  comme les scooters imitent les vélos, ce qu’on va faire c’est supprimer les vélos.

Cette super trouvaille parlementaire, est un truc de génie, qui en toute bonne logique va permettre une verbalisation massive des piétons, laquelle ne manquera pas de combler le trou de la dette.

Comment ça ? fastoche.

Demain matin vous allez tranquille, d’un pas guilleret vous rendre chez votre boulanger. Si à quelques mètres derrière vous une voiture se gare sur le trottoir, le coupable, le chien de prairie à foie jaune.. c’est vous !

Normal, si le gars derrière s’est garé sur le trottoir c’est parce qu’il vous a vu emprunter le trottoir et vous a bêtement imité.

Le concept de complicité par possibilité d’imitation transgressive est un truc géant ouvrant un océan des possibles dont l’ampleur file le vertige.

On pourrait se faire un max de thunes en verbalisant les pousseuses de poussettes qui rouspètent de ne pas pouvoir accéder aux trottoirs. Forcément , à force de les voir emprunter les passages piétons, les voitures se sont tout naturellement senties obligées de faire pareil et de se garer dessus. C’est pas de leur faute, elles ont été poussées par un irrépressible élan d’imitation transgressive etc etc.. un truc de ouf !

Lire aussi :  Commerçants Versus Réalité

Fidèle à notre mission de service public, nous recommandons à nos lecteurs braqueurs de banques de bien penser en cas d’interception un peu prématurée par les forces de l’ordre, de plaider l’incitation à l’imitation transgressive. Vous avez vu des gens entrer dans la banque, vous avez fait pareil, vous avez eu une crise subite d’imitation transgressive, c’est pas d’votre faute….

Le gars qui a rédigé ce paragraphe doit être un vague cousin de l’amusante maire du 17eme arrondissement parisien, qui voyant que les voitures se garaient mal dans son arrondissement a décidé d’éradiquer les vélos plutôt que de se pencher sur ses problèmes de stationnement, allant jusqu’à monter une expo photo pour montrer la chose. Cette idée lumineuse lui avait valu le titre fort disputé de Goret du Mois (à lire ici ) …

Bon on continue (et on se ressert une pinte, parce que à jeun c’est pas facile à comprendre)

On peut donc juger souhaitable qu’une évaluation de ce mode de circulation soit menée avant d’en poursuivre l’extension dans les zones urbaines. Dans le cadre de cette étude, il conviendra de ne pas se focaliser sur l’accidentalité induite par de tels aménagements car au-delà du risque direct d’accident qu’ils peuvent entraîner, ils contribuent à rendre l’espace partagé moins sécurisant en créant de nouvelles sources de tension.

Ça c’est pas mal. On va donc faire évoluer le code de la route (en pratique on va proposer un grand retour en arrière) en évitant scrupuleusement de se focaliser sur l’accidentalité (rappel il s’agit d’un rapport sur la sécurité routière).. et pour cause, pour l’instant, l’accidentalité est nulle
Cette démarche fort novatrice offre plein de débouchés, je pense qu’on devrait interdire les vitesses en dessous de 120 km/h en ville parce que si on évite scrupuleusement de se focaliser sur l’accidentalité induite, ça va fluidifier velu la circulation sur certains axes.

Je vous garde le meilleur pour la fin

En d’autres termes, même si l’enfant ou la personne âgée qui n’ont pas l’habitude de regarder des deux côtés avant de traverser une voie à sens unique ne sont pas renversés par le cycliste, le choc émotionnel que peut occasionner son irruption brutale n’est pas à négliger.

Là, nous décernons solennellement une mention spéciale, le Grand Prix du Jury (un simple Goret du Mois serait désobligeant et nous on est pas désobligeants) au rédacteur de cette phrase.
Pour en comprendre la saveur, il faut la relire lentement en la replaçant dans son contexte, il est question des double sens cyclables.

Je répète, cette phrase parle d’un double sens cyclable (ami lecteur si tu bosse à l’Assemblée Nationale, ça doit te paraître étrange comme expression, rassure toi, VELOFUN.FR veille à tout : double sens, ça veut dire qu’il y en a deux de sens), le requalifier en « sens unique » pour ensuite déplorer que quelqu’un qui traverse sans regarder puisse éprouver un choc émotionnel… comment dire… les mots me manquent un peu.

Il est à noter que si ce traitement du vélo dans ce rapport d’information sur la sécurité routière frise l’absurde, ce n’est pas par ignorance.
Les responsables du rapport sont parfaitement au courant de l’absurdité de leur démarche.

Voici un simple exemple concernant les double-sens cyclables et les gigantesques désordres émotionnels qu’ils sont susceptibles de provoquer dans une population aux abois (et en proie à des crises d’imitation transgressive).

Le président de cette formidable commission est  Armand Jung député socialiste de Strasbourg.
Petit extrait des auditions qui ont servi à la rédaction de ce rapport (en ligne ici) :

Mission d’information relative à l’analyse des causes des accidents de la circulation et à la prévention routière
Mardi 12 juillet 2011
de 14 heures 15
Compte rendu n° 7
de M. Armand Jung, Président

…..
Puis, la mission d’information procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Geneviève Laferrère, présidente et de Mme Monique Giroud, suppléante, de la Fédération française des usagers de la bicyclette.

M. le rapporteur. En dehors de l’aspect réglementaire, la circulation à contresens, de plus en plus fréquente même hors des zones limitées à 30 kilomètres-heure, est-elle dangereuse ?

Mme Monique Giroud. À Strasbourg, Grenoble et Bordeaux, où les rues à double sens cyclable sont nombreuses, la fréquence des accidents n’a pas augmenté, bien au contraire.

M. le président Armand Jung. Je le confirme pour Strasbourg.

……

Comme je le disais, les mots me manquent un peu…

Heureusement les mots je les retrouve en écoutant France Inter qui décidément s’intéresse au vélo ces temps-ci. Après  la plaisante rubrique de Jean Piero donc j’ai parlé en début de semaine, l’émission Service Public de ce vendredi 4 était consacrée au vélo.

Durant cette émission on entend de bonnes choses (des choses plus étonnantes, une émission d’Inter quasi intégralement sponsorisée par Décathlon au début ça surprend un peu) notamment des choses concernant les nouvelles réglementations de circulation en ville sur les zones 30.

5 commentaires sur “Le vélo stimule l’imagination des parlementaires (hélas)

  1. Jean-Marc

    Le résultat est affligeant…
    alors qu’au début, quand on lis celà (http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr-mipr/10-11/c1011007.asp)
    JPB : « Nous travaillons aussi à convaincre les conducteurs du caractère aléatoire de l’efficacité des techniques d’urgence : un bon conducteur ne doit jamais avoir besoin de donner un coup de frein ou de volant au dernier moment ; lorsqu’il en arrive là, il est déjà dans l’erreur. »
    celà semblait très bien parti…
    (la citation est exacte : rouler lentement, en accélérant progressivement, anticiper, augmenter les distances de sécu permet d eviter de se retrouver en situation d’urgence, et permet donc de sauver des vies et d éviter des degats)
    N.B. mais juste 6 lignes en dessous, celà craint deja :
    « Les exercices s’effectuent à vitesse réelle – à 90 km/h – sur piste, en conditions réelles (sic) de circulation. » au lieu d exercices en réelles et authentiques conditions réelles (oups, je l ai déjà dis ?) de circulation :
    A 30 km/h* avec des voitures/camions garées en double file, d autres qui changent de file sans clignottant, d autres qui entrent/sortent d’une place sans clignottant, avec des cyclistes et avec des piétons qui traversent sans regarder.
    * la vitesse moyenne d’une voiture en ville est de ..17km/h.

  2. LEGEOGRAPHE

    @ Jean-Marc : En fait, pour avoir déjà fait un stage de conduite sur les situations d’urgence, on apprend quand même des gestes/réflexes qui ont déjà dû me servir. Sinon, on est d’accord qu’on a déjà perdu toute la sagesse nécessaire quand on en arrive aux situation d’urgence.
    @ Velofun : en fait, la transgression d’un « tabou », ils ne connaissent pas vraiment quand il s’agit de briser le mythe de la bagnole ! En réalité, la transgression du tabou n’est pas forcément une question inintelligente, mais en aucun cas on ne dirait la même chose pour les bagnoles… En gros, pour eux, transgresser le « tabou » de l’hégémonie indiscutable de la bagnole, c’est pécher. Et surtout, vu le nombre d’entorses au code de la route que leurs chauffeurs personnels font pour eux, on voit bien comment ils s’en tamponnent, des tabous du code de la route…

  3. Guillaume

    @jean-marc : Pour avoir une vitesse moyenne de 17 km/h il faut bien rouler au-dessus de cette vitesse entre les feux… En ville les voitures roulent à toutes les allures entre 0 et 70 km/h, pas seulement à 17 km/h.
    Et clignotant ne prend qu’un T 🙂

  4. Legeographe

    En fait, ce que je me suis fait dire (lors de mon stage pour situations d’urgence), c’est que la vitesse moyenne de croisière d’un automobiliste en ville (dans des axes où la limitation est à 50km/h) était de 64 km/h. Avec les temps d’accélération, les feux, les ralentissements, on arrive à une moyenne en dessous de 20 km/h pour les villes les plus encombrées, et entre 20 et 25 km/h pour les villes qui le sont moins.

  5. Jean-Marc

    @ guillaume
    bien sûr, c est le principe de la moyenne, d’ailleurs, tu remarqueras que 30 > 17
    @ Legeographe :
    le geographe : l’ordre de tes mots porte à confusion :
    64 n est pas une vitesse moyenne, mais soit la (médiane, moyenne ou plus grande classe des) vitesse maximale instantanée soit la vitesse de plateau/de croisière*; ou plutôt, en reprenant tes mots, la moyenne des vitesses de croisière (donc hors arrêt, démarrage, freinage)
    par contre, entre vitesse de croisière et la vitesse max instantanée, il y a une différence (la max instantanée est plus élevée pour un même parcours).
    or je suppose que 64 est plutôt la moyenne des vitesse max, instantanée, ou la classe la plus grande de vitesses instantanée max, plutôt que celle des vitesses de croisières (si j ai tord, c est que nos concitoyens sont encore plus cons que citoyens… car faire, à coté de piétons, une pointe de 1 sec à 64 est deja criminel, ; mais avoir une vitesse de croisière de 64km n a même pas de nom…(pointe au delà de 70km/h?))
     
    Rque : la classe la plus grande : quand tu divises les vitesses en tranches égales (en classes de tailles égales), par ex, en décile, une forme +/- de courbe de Gauss se forme : avec peu de gens roulant lentement, peu de gens roulant à grande vitesse, et une grosses majorité qui roulent +/- autour de à la même vitesse.
    c est cette valeur qu’il faut diminuer, pour sauver des vies (vu que les accidents lors de l arrêt au feu, à 10 km/h, font bcp bcp bcp moins de morts que les accidents à vitesse max sup. à 50km/h) : en accélérant moins vite, on se déplace aussi vite sur l ensemble du trajet, mais avec une vitesse max inférieure… simplement, on attend moins aux feux (on enlève le pied de l accélérateur, roulant sur le ralenti, si le feu est rouge à 200m ou même s’il est vert, mais qu’il y a 6 voitures à l arrêt qui vont commencer à démarrer; au lieu d accélérer pour pouvoir piller au dernier moment…oupas)

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