« Mine responsable », un nouvel oxymore (1/2)

Première partie

Au moment où se généralise dans la population occidentale la prise de conscience des crimes de l’extractivisme, les élites politiques persévèrent dans leur négationnisme et pour cela surenchérissent dans la « politique de l’oxymore« . Dernière invention en date la « mine responsable« !

Quelques temps avant, en 2012, les français avaient été gratifiés des pantomimes patriotiques de M. Arnaud Montebourg. Ignorant tout du sujet minier et donc sans peur du ridicule, l’éphémère ministre du redressement productif tentait d’enflammer les foules dans le registre rhétorique éculé de la 3e République pour un illusoire retour à l’indépendance minière nationale. Bien campé dans son numéro de cocorico, il exprimait son vœu le plus cher: « Que la France redevienne un Pays minier ». Fort probablement, dans la future « école numérique » de la République française, la série Harry Potter aura remplacé Germinal de Zola.

Après quelques ajustements rhétoriques, l’État récidivait en 2015 avec un autre ministre. Sur un site officiel de la République française réunissant trois ministères, s’énonce l’ambitieux programme pour la France: « Emmanuel MACRON engage la démarche « mine responsable »: L’exploitation minière n’a de sens que lorsqu’elle s’inscrit dans un projet de développement  durable des territoires. Le ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, ministre en charge des mines, engage une concertation avec l’ensemble des acteurs économiques, institutionnels et associatifs afin de concrétiser le concept de « Mine responsable » défini dans la Stratégie Nationale pour la Transition Écologique et le Développement Durable (SNTEDD) 2015- 2020, adoptée en Conseil des Ministres le 4 février 2015. »

La littérature en langue française est déjà très abondante aujourd’hui pour dénoncer la criminalité foncière de la mine et il sera impossible ici d’être exhaustif sur ce sujet désormais explosif. Après un bref rappel rhétorique, contentons-nous de quelques tableaux tirés de l’actualité pour déminer cette nouvelle offensive des autorités.

Rappels préliminaires, Crime et Rhétorique

En rhétorique, un oxymore désigne la figure de style réalisée par l’association de deux mots contradictoires pour accentuer l’expressivité du couple: « obscure clarté », « illustre inconnu », « silence éloquent », « fossile vivant »…

En politique, c’est le mot oxymore qui est utilisé pour révéler et dénoncer une formule démagogique associant deux termes contradictoire dont l’un cherche à atténuer ou à masquer les effets délétères connus de l’autre: « développement durable », « croissance verte », « mine responsable »…

Lorsque les conséquences sociales et environnementales désastreuses des politiques d’aide au développement devinrent des évidences criantes dans les années 1980 en laissant derrière elles des pays dits « en voie de développement » crouler sous des dettes souveraines colossales, les décideurs politiques et bailleurs de fonds transnationaux se réunirent et inventèrent le « développement durable« … Sous cette nouvelle bannière débordante de belles promesses et de bonnes intentions, les peuples des pays du sud endettés durent subir les effroyables « politiques d’ajustements structurels » concoctées par le FMI et la Banque mondiale… Ainsi dans ce nouveau décorum de réconciliation de l’homme avec la Terre, les lois économiques purent durablement continuer d’imposer leurs logiques sacrificielles et mortifères au social et à l’écologique, les deux autres pôles censés être pris en compte dans le fameux triptyque (social, économie, écologie) du dit « développement durable ».

Ce mode opératoire démagogique de la domination où l’on tente de gommer les maux par des mots a été décortiqué et dénoncé en 2009 par le philosophe Bertrand Méheust dans un livre « la politique de l’oxymore – comment ceux qui nous gouvernent nous masquent la réalité du monde« .

La France à la mine en Afrique

L’oxymore en politique signale donc une arnaque bien souvent grossière de l’élite lorsque les crimes sociaux et environnementaux évidents ne peuvent plus relever du simple négationnisme. Est-ce le cas de la « mine responsable » de M. Macron ?

Dans le monde réel, la question ne se pose pas ou plus, au moins pour ceux qui ont lu et connaissent « L’Envers de la Dette » (1). Avec François-Xavier Verschave et l’association Survie, ils savent que justement derrière la dette (odieuse) qui accable l’Afrique se dissimule la mine. Par ce « Dossier noir » de 2001, l’auteur se proposait de décrire dans ses détails sordides « l’essoreuse des richesses africaines » associant finance transnationale, « banques honorables » en Suisse et paradis fiscaux offshore, marchands d’armes et mercenaires, sociétés minières et pétrolières et diplomatie secrète à la française. En reprenant sa métaphore de l’Iceberg, il montrait comment depuis les dites « indépendances » la partie immergée de la Françafrique a rapidement évolué vers le crime organisé de la « Mafiafrique »… Une autre image saisissante de l’auteur résume la situation: « Le pétrole fait flamber la dette ». « La dette apparaît comme une ‘double peine’. Elle s’ajoute à tous les malheurs et préjudices qu’infligent à la population la razzia, l’extorsion, l’exploitation inique de ses matières premières. »

Deux ans plus tard, après ce dossier noir, en 2003, le Coltan arrivait avec fracas sous les feux de la rampe par un rapport plutôt alarmant du conseil de sécurité de l’ONU: « L’exportation de la colombotantalite (coltan), dont on extrait le tantale, constitue un exemple précis. Le tantale est utilisé, notamment, pour la production de composants électroniques. En 1999 et 2000, ses cours mondiaux ont monté en flèche, ce qui a entraîné une forte hausse de la production de coltan dans l’est de la RDC. Cette hausse a été en partie le fait de groupes rebelles et d’hommes d’affaires sans scrupules qui ont forcé les agriculteurs et leurs familles à quitter leurs terres, ou qui ont chassé les occupants des terres où on trouvait du coltan et les ont forcés à travailler dans des mines artisanales. L’agriculture a été détruite sur une vaste échelle et les conditions sociales sont devenues très dures, parfois proches de l’esclavage« .

Si les bailleurs de fond transnationaux insistent sur la face financière de la dette à honorer, reste en effet les séquelles environnementales et sociales indélébiles, l’autre dette colossale que laissent derrière elles les activités minières des multinationales. Pour sûr le bilan de la France en Afrique n’est pas des plus reluisants. Depuis plus d’un demi-siècle ses activités minières et pétrolières relèvent plus de la criminalité que de la responsabilité. D’Arlit au Niger à l’Angola en passant par le Tchad, le Mali et le Congo, bref l’extractivisme sous toutes ses formes… l’envers de la dette, c’est le crime et la mine. En Afrique, l’oxymore ne fait aucun doute. Aujourd’hui en effet la question « dette et extractivisme » est bien documentée dans tous ses aspects. Crimes et économie de pillage sont la règle dans l’univers des activités minières comme nous l’explique Nicolas Sersiron, président du Comité d’Annulation de la Dette du Tiers Monde, CADTM France (2). Coïncidence notable, le livre est paru en janvier 2015, juste avant l’entrée en scène de M. Macron.

Verdun, « On Dangerous Ground »

En 2016, l’ONG Global Witness, publiait son rapport « On Dangerous Ground » (en terrain dangereux). En ce début de siècle, l’année 2015 s’inscrit comme l’une des plus meurtrières pour les militants écologistes. Pas moins de 185 défenseurs de l’environnement ont été tués dans le monde en un an, un chiffre en hausse de 59% par rapport à 2014. Et il n’y a pas de mystère sur l’origine de ces assassinats, l’extractivisme arrive en première ligne avec les industries minières et forestières.

Lire aussi :  Contre le despotisme de la vitesse

Bien évidemment les auteurs du rapport sont parfaitement conscients que le chiffre qu’ils présentent se situe très en deçà de la réalité: « Pour chaque assassinat que nous avons été en mesure de documenter, d’autres n’ont pu être vérifiés, ou n’ont pas été signalés. Et pour chaque vie perdue, bien d’autres sont brisées par l’omniprésence de la violence et de la discrimination (3). »

Lewis Mumford, l’auteur de « Technique et Civilisation », paru en 1934, n’aurait pas été surpris du triste sort réservé aujourd’hui aux écologistes qui s’opposent aux activités minières. Pour lui, la mine est la négation même de l’homme et de la nature. Dans l’histoire des civilisations, cette activité est intimement liée à l’esclavagisme et au militarisme. Conscient de cette constante funeste à travers les âges de la technique, Mumford n’a pas de mot assez fort pour illustrer le pouvoir mortifère de la mine et ne les trouve que dans la guerre moderne: « De toutes les activités dures et brutales de l’humanité, la seule qui puisse être comparée à l’ancien travail de la mine, c’est la guerre moderne des tranchées » (…) « Le travail de la mine implique un assaut sans défaillance sur l’environnement physique. Chaque étape magnifie la puissance. » (…) « La mine est le premier environnement complètement inorganique créé par l’homme ». « Aucun arbre, aucune bête, aucun nuage amical ne s’offre à la vue ». « Le jour a été aboli et le rythme de la nature brisé. » « C’est un paysage de plomb d’un hiver perpétuel » (…) « Guerre, mécanisation, mines, finances étaient de connivence. La mine était l’industrie-clé qui fournissait le nerf de la guerre et augmentait l’encaisse métallique du trésor, le coffre de la guerre (4). » Bref, si ce n’est pas Verdun, c’est à la mine qu’on trouve ses origines. Lors de la « Grande Guerre », il y eu en effet un véritable déluge tellurique. Les employés des puissances belligérantes réussirent malgré des conditions de travail déplorables à pulvériser quelques milliards d’obus dans la nature environnante. Si ces damnés de la terre, mineurs du champ d’honneur, souffrirent de la faim, du froid, de diverses maladies, de leurs blessures, et de toutes sortes d’humiliations et de privations, les industriels et ingénieurs des mines veillèrent scrupuleusement à ce qu’ils ne manquent jamais de munitions. A la fin de la guerre, quelques millions de tonnes de projectiles de tous types et dimensions encombraient encore les entrepôts militaires (5).

Le crash au décollage du comité de pilotage

Après ces deux premiers tableaux, revenons en France et à M. Macron. Bien évidemment, par sa position, sa formation et son brillant curriculum vitae, il n’est pas coutumier de cette littérature révélant les basses œuvres de son pays en terre d’Afrique ni de celle critique sur l’histoire de la technique. Envoyé au feu, l’adoubé du Bilderberg de 2014 a mis les pieds dans le plat. En entrant dans la carrière, le « Young Leader » de la French-American Fondation, devait s’illustrer en rassembleur sur ce dossier devenu hautement sensible en France après la crise des gaz de schiste de 2010. Dans sa mission de meneur du peuple sur l’American way de la mine, force est de constater qu’il a fait le vide autour de lui. Il faut dire que pour un début, il n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. Gonflé par sa bonne image médiatique et manifestement désinhibé, le ministre s’est permis sans sourciller un doublet d’oxymores: « mine responsable » pour le « développement durable« . La totale…

A propos de l’extraction de sable coquillé en baie de Lannion, le « Peuple des Dunes en Trégor » avait déjà découvert la tête de mule de M. Macron. Mais, si le ministre est resté sourd aux doléances légitimes des habitants de Bretagne Nord, ne voulant rien entendre ni rien savoir des risques environnementaux de l’extraction de sable, c’est qu’il est depuis longtemps la tête de pont transatlantique de Wall Street dans l’Hexagone. Connaissant un peu mieux l’irréprochable curriculum vitae de notre héraut, le journaliste Jean-Michel Quatrepoint l’inscrit, sans détour, dans la liste déjà longue des « mercenaires » français à la solde des milieux d’affaires étasuniens (6).

Dans les manigances gouvernementales pour la relance des activités minières en France, un comité de pilotage « mine responsable » devait se mettre en place dans le cadre global de la Stratégie nationale de transition énergétique vers un développement durable (SNTEDD). Tout un programme. Si pour le casting, les acteurs économiques et institutionnels ne présentaient pas de problème, restait la délicate tâche de composition du bouquet associatif.

Pour leur faire gober de la mine, les ONG environnementalistes furent appâtées sur le thème à la mode de la « transition énergétique« , mais ce fut sans grand succès. D’emblée, en avril 2015, Les Amis de la Terre, flairant à plein nez le parfum funeste d’un Grenelle, déclinèrent l’invitation. Pour cette association, pas question d’accompagner la « reprise des activités minières en métropole ».

Quelque temps après, en septembre 2015, ce fut au tour de deux autres ONG, FNE et ISF SystExt (Ingénieurs sans frontières), de quitter le groupe de travail organisé par le gouvernement. Pour ces deux associations qui avaient joué le jeu et participé aux réunions: « la mine verte n’est pas encore mûre« . Si elles durent jeter l’éponge pour ne pas se retrouver caution associative de projets désastreux, on sent par la formule prudente de leur communiqué de presse qu’elles gardent le souci de se ménager un porte de réentrée. Au cours de leur brève présence elles furent cependant témoins en première ligne des manigances méthodologiques pour exclure la société civile de tout droit de regard sur les activités extractives futures.

A ce stade, la « mine responsable » a fait long feu. Désormais plus personne n’est dupe… Si même les ONG les plus consensuelles renoncent aux bavardages, la rupture est consommée et le dossier minier reste explosif en Métropole… comme en Afrique. Il faut dire qu’après le précédent enfumage du Grenelle et les permis de forer accordés en douce de M. Borloo, la crise du gaz de schiste de 2010 a mis le feu aux poudres.

Novembre 2016
Jean-Marc Sérékian, co-auteur avec Jacques Ambroise de « Gaz de schiste le choix du pire » « La grande Guerre à l’ère du déclin pétrolier » Ed. Le Sang de la Terre 2015

(1) François-Xavier Verschave, « L’Envers de la Dette » « criminalité politique et économique au Congo-Brazza et en Angola » Ed. Agone 2001
(2) Nicolas Sersiron, « Dette et Extractivisme » Ed. Utopia Janvier 2015
(3) Le Monde, mardi 21 juin 2016, Pierre Le Hir « 2015 année meurtrière pour les militants écologistes » « des meurtres surtout liés aux industries minière et forestière »
(4) Lewis Mumford « Technique et Civilisation » 1934, Ed. Seuil 1950
(5) Daniel Hubé « Sur les Traces d’un secret enfoui. » « Enquête sur l’héritage toxique de la Grande Guerre » Ed. Michalon 2016
(6) Le Monde Diplomatique, Novembre 2016, Jean-Michel Quatrepoint « Des missionnaires aux mercenaires »

4 commentaires sur “« Mine responsable », un nouvel oxymore (1/2)

  1. pedibus

    bon courage à toutes et à tous, pour cette merveilleuse année de trumperies qui commence…!

     

    …et ne nous Fillon pas aux apparences :

    ça va vroumvroumer un max, c’est moaaaaaaaa qui vous’le dit…!

     

    non, pas boaa…

  2. emmp

    Voyons, Pédibus, quand on présente ses vœux, on ne parle pas de politique ! Ne Mélenchon pas les torchons et les serviettes !

    Boaaa quand même, hein ?

    Et qu’ça roule !

  3. pedibus

    …ma poule!

    boaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa

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