Scène de crime

Non, ce n’est pas (encore) une scène de crime avec le dessin au sol d’un homme mort. C’est en fait un marquage piéton et c’est censé indiquer l’endroit de la chaussée où le piéton doit se planquer.

On connaît désormais assez bien les bandes cyclables, ces coups de peinture sur la chaussée matérialisant un espace réservé (une réserve indienne?) pour les cyclistes. Il y a en général une bande de peinture et de manière intermittente un logo de vélo apposé au sol.

On connaît aussi les trottoirs, a priori réservés aux piétons, quand ils ne sont pas occupés par du stationnement voiture, moto, poubelle, pancarte commerciale, etc.

Mais parfois, on rencontre une chose assez étrange qui s’appelle la bande piétonne. En fait, dans certains rues de nos villes, parfois pour des raisons mystérieuses, il n’y a pas de trottoir (l’adjoint au maire chargé de la circulation est peut-être parti avec la caisse?).

Alors, de zélés agents municipaux ont peint au sol à la va-vite une bande piétonne qui fait office de trottoir, à savoir un simple coup de peinture sur la chaussée et un logo de piéton sur le sol.

Vous me direz, c’est un peu comme une bande cyclable, mais pour les piétons. Sauf que cela en dit long sur la répartition de l’espace dans les rues.

Personne n’aurait l’idée de peindre au sol des logos de voiture pour indiquer à tout le monde que la voiture passe ici. Pas contre, on trouve normal de peindre au sol des logos de vélo et de piétons pour indiquer que cet espace leur est réservé.

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Et pourquoi cela? Tout simplement car dans l’imaginaire collectif, toute la chaussée appartient à la voiture, cela va de soi, c’est une « évidence ».

La voiture a tellement colonisé les esprits qu’il faut indiquer sur le sol que, parfois, on accorde de petits bouts d’espace aux piétons et aux cyclistes.

Je connais ainsi une rue étroite située tout près d’une école, où il n’y a pas de trottoir. La rue est occupée par une file de circulation (automobile bien sûr) en sens unique ainsi qu’une file de voitures en stationnement et pourtant, il n’y a pas de trottoir, seulement une « bande piétonne ».

Tous les matins, les enfants, les parents à pied, en poussette, s’entassent sur la bande piétonne ridiculement étroite. Parfois, ça dépasse et on se fait frôler par les voitures.

Bien évidemment, les poubelles sont situées sur cette bande piétonne car, personne, oui personne, n’aurait l’idée de mettre une poubelle au milieu de la chaussée sur la file de circulation automobile. Alors les poussettes font le grand écart, slaloment entre les poubelles, et les enfants sur le chemin de l’école apprennent la dure loi du plus motorisé.

J’espère juste que le logo piéton peint au sol ne sera pas un jour celui d’une scène de crime.

17 commentaires sur “Scène de crime

  1. Epicture

    Merci pour cette brève. De parler des enfants surtout, ils ont grandement besoin de porte-paroles face aux « adultes » tous puissants qui font comme bon leur chante. Il est vrai qu’avec ce genre d’aménagement, ils apprennent la « la loi du plus motorisé » comme vous le dites. Un enseignement imparable pour leur inculquer dès le plus jeune age le côté indispensable de la voiture dans cette jungle urbaine.

  2. Vincent

    > Je connais ainsi une rue étroite située tout près d’une école, où il n’y a pas de trottoir.

    Prendre des photos, poster sur Twitter en interpellant le service responsable à la mairie de cette ville?

  3. rétropédaleur

    précision : quand je vois sur un trottoir étroit une poubelle ou tout autre objet (moto, carton, etc), qui empeche de passer, je le pousse, quitte à le mettre dans le caniveau. Et quand c’est une voiture, par fierté je ne descends pas sur la chaussée mais je me faufile sur la droite , quitte à frôler les murs et plier le rétroviseur. Non mais!

  4. struddel

    Une photo prise à quelques rues de mon domicile :

    la bande de peinture indique aux piétons de descendre sur la route car le trottoir est simplement impraticable : imaginez avec une poussette ou un fauteuil roulant, une rue sur le trottoir et l’autre sur la chaussée …

    Et je ne parle même pas des rollers qui, selon la loi, sont tenus de circuler sur les trottoirs, comme les piétons.

  5. Raph

    J’ai eu la chance de visiter Tokyo il y a 4 ans.
    Une caractéristique marquante de l’urbanisme japonais, c’est la division des quartiers en blocs. Des avenues séparent chacun d’entre eux avec de larges trottoirs que les cyclistes sont tenus d’emprunter (quel pied ce sentiment de sécurité).
    Par contre, les ruelles qui passent à travers les blocs sont, soit piétonnes (cool), soit partagées, et là, pas de trottoirs. Pourtant personne n’en fait tout un plat car les japonais sont plutôt courtois. Là bas, posséder une voiture coûte cher, il n’y en a donc relativement peu. On s’y sent en sécurité.
    Au final, pas besoin de parquer chaque catégorie de circulant dans son couloir et tout le monde y gagne.
    Malheureusement, trop de racailles rendent compliqué un tel modèle…

  6. Pédibus

    « Le degré zéro de l’espace public »

    « L’espace public privatisé »

    « La dernière mutation après Tchernautomobile »…

    Quelques clichés capturés sur Google Street View pour évoquer la situation bordélique bordelaise, sélectionnés au hasard autour des établissements scolaires :

    http://pdf.lu/64iZ

    Naturellement rien n’a changé depuis la prise de vue.

    Et rien n’illustre la situation classique de l’embouteillage provoqué par les parents automobiliste…

  7. houlouk

    L’argument donné par certains automobilistes est qu’il n’y a pas assez de places de parking et que c’est pour ça qu’ils se garent sur les trottoirs ou les pistes cyclables.

    Mais dans ce cas pourquoi certains le font aussi quand il y a un parking à moins de 200 m ?

  8. struddel

    « il n’y a pas assez de places de parking et que c’est pour ça qu’ils se garent sur les trottoirs ou les pistes cyclables. »

    Donc ils ne verront aucun inconvénient à ce que je marche en plein milieu de la route quand il n’y a pas de place sur les trottoirs.

  9. Jean-Marc

    @ Raph
    il y a, à plus petite échelle, un peu la même chose près de chez nous… mais uniquement à usage privé :

    en angleterre, les maisons accolées les unes aux autres, toutes identiques, très étroites 7 m (6?) de façade :

    l entrée + la fenêtre du salon,
    toutes en longueur (longueur perpendiculaire à la route, à l opposé des zones résidencielles US, où les maisons sont parallèles à la route…créant la nécessité de construire plus d infrastructure routière…)

    on entre : juste l escalier devant soi, ou, sur la droite, l entrée dans le salon

    3 niveaux (2 étages),
    un très très grand jardin derrière, tout en longueur (parfois, un m² de jardin devant, mais pas obligatoire)

    pareil pour tout le paté de maison :

    dans certains quartier (je ne sais pas si c est chez la majorité ou la minorité de tels quartiers… qq un connaissant mieux l angleterre pourra peut-etre nous renseigner?),
    il y a un chemin de terre battu+cailloux+herbes folles au bout de son jardin/juste avant le jardin du proprio de derrière, reliant tous les arrières des maisons

    => une vie, invisible depuis la rue, à lieu entre ces jardins,
    avec échanges de bons procédés entre voisins
    (une courge contre 5 tomates, ou utilisation de la balancoire de l un, par les enfants des autres,…)

    Cependant, cela a aussi existé à Paris dans les années 60
    (c.f. le film « la belle américaine » dans un de ces quartier-colocation locale, avant qu’ils ne soit détruit : avant que ses ruelles piétonnes ne soient ouvertes aux voitures, et qu’une partie des batiments soient alors rasés)

  10. Jean-Marc

    (suite)
    mais en fait, il existe encore au moins un quartier (mini-quartier?) apaisé à Paris :
    Charonne
    c.f. http://www.theguardian.com/travel/blog/2012/apr/04/charonne-lost-village-paris

    Malheureusement, contrairement à Tokyo, ce n est pas à l’échelle de la ville…

    C est, dans Paris, ce qu pourrait le plus s approcher d’un quartier ouïghoures (c.f. http://www.senat.fr/rap/r10-594-2/r10-594-2_mono.html ), ou d’une médina.

    et, comme de bien entendu, au lieu de faire fuir les gens, le prix au m² prouve qu’un quartier apaisé attire les gens…
    et qu’en plus, celà attire la vie :

    Entre se balader à la défense ou à Charonne un WE ou après 19h, illustre la non-vie artificielle d’un coté, et la vie de l autre.

    (« illustre » => « doit surement illustrer » : ce dernier paragraphe est une supposition… mais qui a de fortes proba d être vraie)

  11. Pédibus

    Salut Jean-Marc.

    « au lieu de faire fuir les gens, le prix au m² prouve qu’un quartier apaisé attire les gens… »

    Les pourfendeurs de la ville dense – et de la ville tout simplement? – étayent fréquemment leur discours avec le phénomène de gentrification observé dans les quartiers plus ou moins centraux.
    Cette gentrification, stigmatisée par le terme de « bobo isation », trouve son origine dans la représentation qu’ont certaines catégories socioprofessionnelles sur les quartiers ayant conservé quelques beaux restes de mixité fonctionnelle : commerces, aménités, services publics… La trame urbaine y conseve une « métrique piétonne » (Jacques Lévy), c’est-à-dire que l’accessibilité à pied à un bon nombre de services reste correcte.
    Ces CSP diplômées ont une navigation relationnelle tous azimuts, et ne rechignent pas à « s’encanailler » avec le bas de l’échelle sociale, comme on disait à une autre époque. Et n’hésitent pas non plus à loger dans la coquille de l’ancien roturier : ateliers, locaux d’artisans ou simples logements populaires. A l’origine de ce système de valeur sans doute cette « authenticité » de restes de ville traditionnelle peuplés de vieux citadins ayant connu autre chose que la ville automobile?

    Il va sans dire que cette valorisation symbolique pèse sur le marché foncier. Et que les périurbains de toutes conditions, ceux qui risquent le plus d’être en situation de « captifs motorisés individuels », vont hurler contre toute velléité de restreindre l’accès automobile en ville, dès lors qu’il s’agit de « pacifier » l’espace public et de réamorcer la pompe imaginaire sociale en tâchant de tarir l’exode urbain.
    Ils s’engouffreront donc dans l’opposition culpabilisante périurbains pauvres automobilistes/nouveaux patriciens parvenus adeptes des modes actifs et semi actifs – même si les CSP favorisées sont bien représentées dans certaines communes périphériques – qui compliquera et ralentira toute volonté politique de requalification urbaine et d’accompagnement de transition de modes de vie.
    Mais ce phénomène récent de béguin de « l’authentique » doit-il occulter un mécanisme bien plus ancien de rente foncière?

    Depuis qu’existe l’urbanisation, quelque part à l’époque néolithique, du côté du croissant fertile, à cause de la concentration politique s’y on se fie à Georges Duby, à cause d’une organisation rentière exploitant ce qui deviendra les campagnes environnantes, pour d’autres par nécessité de se défendre contre les cités rivales – malgré l’apparition de l’urbanisation bien avant celle des remparts et fossés… -, donc depuis que fonctionnent les agglomérations d’établissements humains se trouve exister un avantage à avoir un maximum d’opportunités à portée de voix, à durée raisonnable de déplacement à pied et avec l’avantage de bénéficier d’un anonymat vous libérant de la servitude communautaire rurale sans tomber dans la solitude: la proximité rassurante dans les foules anonymes bien décrite par les écrivains du 19ème siècle…

    Ces avantages renchérissent la localisation centrale et fabriquent la rente foncière. La parade naturelle de l’homo œconomicus est de se transformer en homo mobilis pour trouver au plus près un foncier au prix moins élevé tant qu’il n’y aura pas trop d’agents ayant arbitré en faveur d’une perte de temps – par la mobilité – et d’une perte d’opportunités, dont celles de rencontres avec ses contemporains clairsemés établis comme lui dans la « terre d’élection »…
    Nous avons là une des clés interprétatives du phénomène d’expansion urbaine, l’autre étant naturellement la nécessité du nombre quand la démographie vous oblige à trouver un vase d’expansion pour ne pas succomber sous l’entassement…

    Quoi faire en termes de politiques publiques pour « endiguer » cette expansion? Autrement dit peut-on prétendre maîtriser le marché foncier, fixer un seuil au-delà duquel les transactions ne pourront plus avoir lieu?
    Dans un régime autoritaire où c’est l’Etat qui a le monopole foncier la question est infondée. C’est le cas en Chine. On ne peut pas dire que ce qui s’y trame actuellement est une réussite urbanistique: les centres urbains traditionnels sont rasés au profit de central business districts hideux et l’espace viaire se pompidolise à vitesse grand V si on me permet ce franco bagnolo centrisme… Aucune originalité, aucun juste milieu avec le jeu de mots facile, la colonisation intellectuelle évidente…
    Dans l’espace de démocratie d’opinion plus ou moins solide sur la question des libertés individuelles le droit de propriété est reconnu et protégé. Cependant cette liberté peut trouver une limite avec l’intérêt général, à condition que la puissance publique sache le défendre.

    Pouvoir et contre pouvoir semblent le bon remède pour limiter les tendances naturelles à l’hubris de tyranneaux pouvant sommeiller un peu partout… En France nous avons un outil qui s’appelle l’expropriation. C’est catastrophique pour l’individu. Vous et vos ancêtres avaient vécu sur tel territoire et du jour au lendemain vous découvrez qu’un projet d’infrastructure autoroutière vous raye de la carte… ça peut être aussi un autre type de projet. Plus « noble » dans le système de valeur de la majorité
    des acteurs de la communauté virtuelle Carfree : une collectivité décide de construire en lisière de sa partie agglomérée un nouveau quartier répondant aux caractéristiques les plus strictes du « développement durable », l’automobile y sera tenue en respect, des lignes de TCSP et un réseau cyclable le brancheront sur le reste de la ville, les mixités fonctionnelle, sociale, générationnelle seront assurées ainsi que le ratio chien/chat… Les conséquences seront les mêmes pour les individus expropriés… La raison nous aidera à surmonter l’émotion. D’autant plus que la société est juste et prévoie une « juste indemnisation » de l’expulsé. Le juge y veille jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme.
    Et c’est là que le bas blesse, et là où on s’y attend le moins…

    La puissance publique locale est-elle en mesure de réunir les moyens pour ses ambitions urbaines? Comment la ville peut elle s’organiser pour maîtriser sa consommation d’espace? A supposer que les édiles fassent tous et en même temps leur conversion idéologique en suivant Bruntland et son modèle de « ville compacte » on va désormais se mettre à acquérir du foncier, faire des réserves foncières, lancer des projets de quartiers nouveaux, rapetasser l’existant répondant au qualificatif de « mitage urbain », faire la ville sur la ville et au-delà de la ville parce qu’en France le dynamisme démographique existe encore en Europe, avec les britanniques et les Irlandais… Et maintenant on passe à la caisse.

    Et là on constate son impuissance. Les moyens juridiques existent avec notre déclaration d’utilité publique, nos établissements publics fonciers locaux… Mais le juge d’expropriation veillera à ce les expropriés soient indemnisés à hauteur du prix du marché : belles sommes quand on connaît le niveau actuel… Pense-t-on que l’évolution soit à la baisse une fois connue l’intention de la collectivité acquéreuse? Le projet d’acquisition semblerait plutôt attiser la tendance haussière et les propriétaires attentistes actuels, sûrs du bien fondé de leur attitude pourraient continuer à bloquer la situation: de vrais « anti entrepreneurs », « anti décideurs » ceux-là, en piochant dans le registre idéologique libéral…

    Pour en revenir à nos bobos et notre rente foncière la question est là : lutter contre les méfaits de l’automobile en ville nous ramène au couple « urbanisme/transport » de Marc Wiel, mais en se fracassant sur l’autre question de la maîtrise foncière des territoires urbains.

    Décidément l’outil de la fiscalité et du péage urbain ne sont près de cesser de m’obséder…

  12. alfred

    « Ces CSP diplômées ont une navigation relationnelle tous azimuts, et ne rechignent pas à « s’encanailler » avec le bas de l’échelle sociale,  » écrit Pedibus.

    Les jeunes diplômés n’ont plus les moyens de s’acheter un appart dans le seixième ou Neuilly donc ils vont voir ailleurs. Je ne crois pas du tout à la navigation relationnelle ou au goût de l’encanaillage des bobos.
    Ou alors ils viennent après. Par porosité.

  13. Jean-Marc

    « Autrement dit peut-on prétendre maîtriser le marché foncier, fixer un seuil au-delà duquel les transactions ne pourront plus avoir lieu? »

    « Les gens » recherchent une place centrale, près d un parc, près de commerces0 (près de leur travail et de l école des enfants), si possible à circulation apaisée, voire piétonnier, à loyer correct.

    Le pb, de tels endroits sont ultra rares => ils sont ultra chers.

    Suffit de multiplier de tels endroits, en multipliant les rues piétonnes et les parcs, pour que la valeur, la surcôte de tels endroits, soit moins élevés que les endroits pourris et/ou les endroits à perpette.

    Ainsi, transformer certains parkings en résidences sur une rue piétonne, par ex., y contribue.

    Pas besoin de forte intervention sur les prix :

    – taxer les parkings plus cher que les résidences,
    – taxer (taxe foncière) les bâtiments sans murs mitoyens plus que ceux avec 1, 2, 3 et 4 murs mitoyens(en taxant moins, plus il y a de murs mitoyens), pour favoriser la parcellisation
    (entre 2 habitations, la ruelle et/ou le jardin entourant une des habitation est vendu en parcelle indépendante constructible: ceci représente la façon la plus importante, pour les particuliers, d acquérir une parcelle en ville)

    ainsi, les villes se re-densifieront progressivement

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