Filippo Tommaso MARINETTI (1896-1944), du Futurisme au Fascisme

Dans tous les domaines, il est intéressant de connaître les précurseurs, d’identifier les filiations, d’analyser la construction des discours et surtout d’observer les liens qui peuvent naître et prospérer.

Certains objets deviennent des objets cultes et véhiculent tout un corpus imaginaire. Ils deviennent alors objets de dévotion, de convoitise, et parfois muses des poètes… Dans l’Italie du jeune XXème siècle, l’automobile n’en était qu’à ses balbutiements, sa motorisation encore en réglage. Sa fabrication à la chaîne débutait et permettait d’entrevoir un usage grand public. L’histoire d’amour entre l’Italie et la Fabbrica Italiana Automobili Torino (FIAT) commençait à peine, Alfa Roméo et Maserati n’avaient pas encore vu le jour…

Mais, dès 1905, le poète de langue italienne et française Filippo Tommaso MARINETTI avait déjà su percevoir toute une vision du monde cachée derrière l’objet « automobile ». Il nous livrait avec grand enthousiasme une vision de son potentiel de jouissance physique, esthétique et intellectuelle…

Son poème « À l’automobile », publié en français dans la revue Poesia, n° 7, en août 1905 et repris sous le titre « À mon Pégase » dans le recueil La Ville charnelle édité en 1908, évoque la déification, l’ivresse, les grands espaces, la griserie de la liberté, mais aussi le bruit, la vitesse, l’ostentation, les flammes et l’huile, la domination des éléments et du paysage, l’envoûtement, l’accélération et pour finir la transe, l’extase et la déconnexion d’avec le monde.

Après avoir réchappé, en 1908, à une sortie de route à bord d’une Isotta Fraschini en évitant deux cyclistes, Marinetti rédige le Manifeste du futurisme, posant les bases du Mouvement Futuriste, mi-artistique, mi-politique. Le Manifeste sera publié en première page du Figaro du 20 février 1909. L’automobile en est un des symboles majeurs « …avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l’haleine explosive… une automobile rugissante, qui a l’air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire de Samothrace ». Avec elle, il exalte aussi le « mouvement agressif », « la gifle et le coup de poing », la guerre et autres outrances: « Nous voulons glorifier la guerre, — seule hygiène du monde — le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles Idées qui tuent, et le mépris de la femme », « Nous voulons démolir les musées, les bibliothèques, combattre le moralisme, le féminisme et toutes les lâchetés opportunistes et utilitaires », « nous voulons délivrer l’Italie de sa gangrène de professeurs, d’archéologues, de cicérones et d’antiquaires. »

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Avec des membres aux sympathies très variées, proches pour certains de l’anarchisme de Bakounine, du syndicalisme révolutionnaire ou du communisme, le Mouvement Futuriste se scinde: Marinetti se rapproche des milieux nationalistes italiens, affirme des positions de plus en plus radicales. Il est présent dans la salle du Circolo dell’Alleanza Industriale, Piazza San Sapolcro à Milan, aux côtés de Benito Mussolini, le jour de la fondation, le 23 mars 1919, des Fasci italiani di combattimento (Faisceaux italiens de combat), premier parti fasciste moderne d’Europe dans lequel il voit une concrétisation possible des idéaux futuristes. Il publiera en 1924 « Futurisme et fascisme ».

En 1929, il est nommé, par décret, membre de l’Académie d’Italie, créée trois ans plus tôt par Mussolini. À sa mort le 2 décembre 1944 d’une crise cardiaque, Marinetti bénéficie de funérailles nationales voulues par Mussolini. Moins de six mois plus tard, fin avril 1945, ce dernier est arrêté et exécuté.

Quelques années après le poème de Marinetti, Guillaume Apollinaire (1880 – 1918), plutôt hostile au mouvement Futuriste qui ne prend pas en France, semblait lui répondre par poème automobile interposé: « La petite auto » d’Apollinaire avait perdu de sa superbe, elle roulait de nuit pour dire « adieu à toute une époque », « Des géants furieux se dressaient sur l’Europe ».

La « petite auto » prenait le temps de flâner dans la « nuit tendre d’avant la guerre », de saluer « encore une fois la vie colorée ». Partie de Deauville, elle subissait des réparations nocturnes du côté de Lisieux, ou de Versailles, par trois fois il fallait changer un pneu éclaté, puis s’autoriser un détour par Fontainebleau, comme pour ralentir le temps, puis finalement entrer dans Paris « Au moment où l’on affichait la mobilisation » pour ce qui sera la première guerre mondiale. L’artiste avait compris « Que la petite auto nous avait conduits dans une époque Nouvelle ».

Illustration: « Dynamisme d’une automobile », Luigi Russolo (1912-1913), 106x140cm, Centre Pompidou, Paris.