Aménagement du territoire: Y a-t-il un pilote dans la grue?

L’aménagement du territoire est un substrat. Il exerce une profonde influence sur la mobilité ou la possibilité de faire vivre des services publics, sur le développement économique comme sur la protection de l’environnement, sur la consommation d’énergie ou l’exclusion sociale, sur la sécurité alimentaire et la préservation des paysages — parmi d’autres choses. L’aménagement du territoire détermine profondément nos modes de vie mais, peut-être parce qu’il est justement tellement déterminant, tellement englobant, il semble qu’il soit devenu presque invisible. De sorte que l’aménagement du territoire n’intéresse manifestement pas grand monde.

Il est vrai qu’en l’absence d’une politique délibérée — laquelle est souvent longue, coûteuse et ingrate —, l’aménagement du territoire se fait tout seul, généralement pour le pire. C’est ce qui s’est passé pendant trop longtemps en Belgique, avec pour conséquences un étalement urbain qui pose d’insolubles problèmes de mobilité, un gaspillage de l’espace regrettable dans un territoire qui compte parmi les plus densément peuplés du monde, la dissolution des espaces sociaux urbains au profit de banlieues excluantes et extrêmement dépendantes à l’automobile… Ces phénomènes ne sont pas aussi fatals qu’on a pu le dire, comme en témoignent de nombreux exemples à l’étranger, et notamment aux Pays-Bas.

De tout cela, cependant, il semble que, hormis chez quelques responsables dont la vue semble s’être figée avant le premier choc pétrolier, la prise de conscience soit à présent faite. De sorte que les solutions sont globalement connues, font l’objet d’un relatif consensus. Tout le monde — ou presque — s’accorde aujourd’hui sur une série de principes visant à favoriser la densité, à préserver les espaces agricoles et naturels, à organiser le bâti autour des infrastructures de transport en commun. Il s’agit bien sûr là d’options à long et très long termes, dont les effets ne se feront sentir qu’après des années d’efforts. N’empêche : ça marche. Mais ces principes sont trop peu appliqués. On continue à urbaniser massivement alors que l’évolution démographique ne le justifie pas ; on ne parvient pas à inverser la tendance qui voit chaque année la circulation automobile croître dans des proportions inquiétantes ; on peine à densifier les zones déjà urbanisées, particulièrement les anciens terrains industriels.

Le mode de vie rurbain, qui prétend combiner les avantages de la ville et de la campagne et finit par détruire l’une et l’autre, reste il est vrai une référence culturelle dominante, dont Batibouw et le salon de l’auto sont les promoteurs assidus. Mais surtout, la principale difficulté semble être, sur ces questions, de générer tout simplement du dissensus : sur le principe, tout le monde est d’accord, mais dans l’application ça pose systématiquement problème.

En ouverture de ce nouveau numéro de la revue Politique, Benoît Moritz et Jean-Marie Halleux tracent l’un et l’autre les contours de ce consensus qui s’établit aujourd’hui : celui du retour à la ville et de la densification des zones urbanisées.

Henri Goldman examine les paradoxes qui se posent à qui se penche sur les liens entre la structure de l’offre de logement en ville, la composition sociologique de ses habitants et la relative inadéquation de l’une et des autres. Yves Rouyet, membre du collectif Disturb, plaide quant à lui pour une approche pragmatique de la question de l’architecture en ville, dans l’optique d’une augmentation de la densité, seule réponse à la crise du logement.

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Au-delà de l’analyse de la situation et des recommandations peu ou prou unanimes, on se rend compte, en observant la politique effectivement menée, qu’il y a loin de la coupe aux lèvres et qu’entre les paroles et les actes, on observe plus que des nuances. Gwenaël Breës et François Schreuer évoquent ainsi les conséquences dommageables pour les politiques de logement et d’urbanisme de la logique financière qui prévaut à la SNCB.

Dans un entretien, Jean-Yves Saliez, secrétaire général d’Inter-Environnement Wallonie, dresse le constat d’un cadre législatif et réglementaire wallon de plus en plus complexe et, en même temps, de plus favorable à la politique du « cas par cas » qui est, dit-il, aujourd’hui menée. Dans la foulée, illustrant ces propos, David Leloup profite d’un tour de Wallonie des mouvements citoyens actifs dans le domaine de l’aménagement pour s’interroger sur ce qui se cache derrière l’accusation de « nimby » qui fuse régulièrement dès lors que des citoyens prennent le contre-pieds du pouvoir. Les derniers à faire les frais de ce reproche ne sont pas les opposants à l’autoroute Cerexhe-Heuseux/Beaufays (CHB), que la Région wallonne veut construire à l’est de Liège, un projet dont Caroline Lamarche décrit le caractère emblématique d’une politique de mobilité dépassée.

Sophie Dawance analyse le territoire comme témoin des pratiques et des valeurs de la société qui l’habite, un territoire devenu excluant, soutient-elle.

Des problèmes plus spécifiques font l’objet d’éclairages particuliers. François Schreuer décrit l’incertitude qui pèse sur la vallée industrielle de Seraing, tiraillée entre l’incertain avenir sidérurgique et un projet très ambitieux de reconversion urbaine. Bernard Swartenbroekx trace les grandes lignes d’une possible politique ferroviaire pour la Wallonie, laquelle en est, selon lui, dépourvue. Janine Kievits pose la question du devenir des zones agricoles, essentielles à garantir une sécurité alimentaire qui est loin d’être garantie à terme, mais qui continuent à être volontiers sacrifiées au développement économique par des autorités régionales.

Enfin, dans un entretien, André Antoine, ministre wallon notamment en charge de l’aménagement du territoire, s’affirme, lui aussi, partisan du retour de la ville sur la ville et défend la politique, contestée par plusieurs auteurs de ce dossier, qu’il mène depuis quatre ans.

Ce Thème a été coordonné par François Schreuer.

Source: https://www.revuepolitique.be/