Colombie. Durant son mandat de maire, Enrique Penalosa a transformé Bogota en donnant la priorité à l’humain et à la convivialité. Cette capitale est maintenant prise en exemple un peu partout.
Au milieu des années 1990, Bogota était un infierno, un enfer. En 1995, 3363 personnes y sont mortes assassinées et près de 1400 dans des accidents de la circulation. La ville souffrait alors des conséquences cumulées de dizaines d’années de guerre civile, de l’explosion démographique et de l’absence de réflexion urbanistique. Dans les quartiers riches, les habitants clôturaient les parcs publics. Les voitures se garaient sur les trottoirs. Côté pollution atmosphérique, Bogota faisait concurrence à Mexico. Les travailleurs habitant dans les bidonvilles du sud de la ville effectuaient 4 heures de trajet par jour pour se rendre dans les quartiers aisés du nord et en revenir. En 1997, l’Agence japonaise de coopération internationale avait préconisé un vaste réseau de voies rapides surélevées pour soulager le trafic. Comme de nombreuses métropoles du tiers-monde, Bogota considérait alors les banlieues nord-américaines comme un modèle de développement.
Le vent tourne avec l’élection d’Enrique Penalosa, en 1998.
« Une ville peut être faite pour les gens ou pour les voitures mais pas les deux à la fois, c’est impossible », annonce alors le maire. Il enterre les projets d’autoroutes urbaines et injecte les milliards économisés dans la construction d’écoles et de bibliothèques, ainsi que dans l’aménagement de parcs, de pistes cyclables et de l’avenue piétonne la plus longue du monde.
Il augmente les taxes sur l’essence et interdit aux automobilistes de se servir de leur voiture plus de 3 fois par semaine pendant les heures de pointe. Enfin, sur les principales artères de la ville, il accorde la priorité au Transmilenio, un système de bus propre inspiré de celui de Curitiba, au Brésil.
Ses administrés sont à deux doigts de le destituer ; les commerçants sont fous de rage. Pourtant, au terme de ses trois années de mandat, M. Penalosa est extraordinairement populaire et le succès de ses réformes est salué par tous : il a fait de Bogota une ville beaucoup plus équitable, plus vivable et plus efficace. Un visage d’autant plus radical que M. Penalosa n’est pas un adepte du socialisme populiste qui gagne une grande partie de l’Amérique latine. Fils d’un politique et homme d’affaires colombien, il a fait des études d’économie à l’université Duke, aux Etats-Unis. Il a intitulé son premier livre : Capitalismo : la mejor opcion [le capitalisme : la meilleure solution].
Pourtant, alors qu’il est consultant en management, puis, plus tard, conseiller économique du gouvernement colombien, le doute s’installe dans son esprit. « J’ai compris que nous, pays du tiers-monde, ne rattraperions pas les pays développés avant deux ou trois siècles, se souvient-il. Si nous mesurions notre progrès uniquement en termes de revenu par habitant, nous devrions nous résoudre à n’être qu’un pays de deuxième voire de troisième catégorie, ce qui n’est pas une perspective très excitante pour nos jeunes. Il fallait donc trouver un autre critère de mesure. Et je crois que le seul valable, c’est le bonheur. »
Et comme le note John Helliwell, professeur émérite à l’université de Colombie-Britannique, au Canada, et spécialiste de l’économie du bien-être, les espaces publics qui offrent aux gens la possibilité de passer ensemble des moments agréables génèrent plus de bonheur que ceux qui, comme les rues encombrées, engendre animosité et agressivité.
En introduisant la notion de bonheur dans l’espace urbain, M. Penalosa semble vraiment avoir rendu ses administrés plus heureux. Le taux d’homicide a chuté de 40% au cours de son mandat et continue de reculer. Même chose pour les accidents mortels de la circulation. Qui plus est, la vitesse du trafic aux heures de pointe, est aujourd’hui trois fois plus élevé qu’auparavant. Et ces changements ont visiblement transformé l’état d’esprit des gens. « L’image de la ville a changé » souligne Ricardo Montezuma, urbaniste à l’Université nationale de Colombie. « Il y a 12 ans, nous étions 80% à être pessimistes quant à notre avenir. Aujourd’hui, nous sommes majoritairement optimistes« , constate-t-il, sondage Gallup à l’appui.
Le meilleur endroit pour observer ces transformations, ce sont les quartiers défavorisés du sud, ou quelques 80 000 migrants affluent chaque année. Ici la plupart des rues ne sont pas goudronnées, mais une avenue réservée aux piétons traverse les taudis en brique rouge de Ciudad de Cali. C’est là que Fabian Gonzalez, 19 ans, rejoint au lever du soleil la foule qui part travailler. Il se rend dans l’extrême nord de la ville, au magasin de bricolage Home Center, où il est caissier. M. Gonzalez, comme la plupart de ses voisins, va au travail à pied, à vélo et en bus. Sur son VTT argenté, il emprunte l’une des ciclorutas aménagées par M. Penalosa jusqu’au Portal de Las Americas, une plate-forme de correspondance où les pistes cyclables et les voies piétonnes sont reliées au système de bus express Transmilenio. M. Gonzalez attache son vélo et monte dans le bus en direction du nord. « Avant, je mettais deux heures pour aller travailler. Maintenant, il me faut quarante-cinq minutes. »
Chaque semaine, Bogota accueille des délégations venues des quatre coins du monde à la recherche de solutions pour les problèmes de circulation de leurs villes. « Avant Penalosa, les maires étaient terrifiés à l’idée de s’attaquer à la question du partage de l’espace public car ils redoutaient les réactions des automobilistes« , se souvient Walter Hook, de l’Institut des transports et du développement (ITDP). de New York. « Son exemple encourage d’autres maires à lui emboîter le pas« . Lors d’une conférence destinée à trouver un remède aux bouchons dans Manhattan, en octobre 2006, M. Penalosa a proposé d’interdire entièrement les voitures sur Broadway. « Les gens se sont levés pour l’applaudir », se souvient Rosemonde Pierre-Louis, maire adjointe de Manhattan.
Si ceux qui conçoivent l’espace urbain dans le monde en arrivent à applaudir ce coup porté à la voiture, c’est peut être que nos villes sont à la veille d’un grand changement. Mais, comme le souligne M. Penalosa, « plus une ville est riche, plus les transports sont un problème. Ces sont les économies les plus dynamiques qui produisent les pires villes. »
Charles Montgomery – The Global and mail (extraits) – Et paru dans Courrier International n°874 du 2 août 2007
Photo: Velaia
Ca me donne envie d’aller me promener à Bogotta! Je passerai d’abord par Copenhague, qu’est déjà plus à portée de vélo.
C’est bien de voir des exemples concrets, ça permet de dire à tous, c’est possible, positif, ca existe à Bogotta, Copenhague… J’attends les prochains articles sur des villes avec des élus ayant un peu de courage, et de bonnes idées.
Vivà la Velorution!!
Cet article est très instructif et le cas Bogotá tient du miracle à l’époque où les transnationales du BTP et de l’aménagement urbain ont la « mains mise » absolue sur la ville partout dans le monde.
Avec la crise économique en toile de fond durable, pour grappiller quelques points supplémentaires de « croissance », les autocrates locaux, municipaux, régionaux ou nationaux, offrent volontiers de grand chantier d’aménagement urbain, autoroutier etc. aux transnationale du BTP.
Il existe un contre exemple européen, actuel et très conflictuel à la ville de Bogotá, c’est celui de la ville de Stuttgart. Dans cette ville d’Allemagne l’autocrate local, soutenue par la toute hiérarchie technocratique, nationale et européenne, est en guerre ouverte avec l’ensemble de sa population sur un projet de gare souterraine de 4 à 10 milliards d’euros. Le premier temps du chantier est la destruction la destruction (pure et simple) de l’ancienne gare patrimoniale et d’un grand jardin arboré, lieu de convivialité. Cela représente un équivalant de bombardement « chirurgical » de la ville confiée aux transnationale du BTP. Toutes les couches sociales, « y compris les bourgeois », se sont mobilisées contre ce projet destructeur, pharaonique et sans utilité sociale.
Dans un monde dominé par le capitalisme des transnationales la fonction technique des classes politiques locales pilotées par leurs autocrates indéboulonnable est de « libéré la dette publique » pour de « grand et très grand chantier » sans plus se soucier de leur utilité sociale. L’argument massue est bien sûr la « création d’emploi » comme dans l’automobile et plus généralement dans l’industrie globale de la circulation automobile…
Voir l’article sur Stuttgart dans Le Monde du mardi 31 août 2010.
bonjour,
Savez vous comment concrétement « il interdit aux automobilistes de se servir de leur voiture plus de 3 fois par semaine pendant les heures de pointe » ? quels sont les outils utilisés ?
Gabriel
Le système est simple et s’appelle Pico y Placa ([heure de] pointe et plaque [d’immatriculation]). Aux heures de pointe, la circulation des véhicules avec des plaques d’immatriculation finissant par certains chiffres est interdite du lundi au vendredi. Il y a une rotation sur les chiffres interdits et cette rotation est changée chaque année.
Vraiment un bon système à Bogota
j’y suis actuellement et jusqu’en octobre.
le systeme pico y placa est tres suivi .
il faut dire que l’amende y est tres forte
le transmilenio c’est vraiment super. c’est propre , les bus circulent sur des voies privées , pollution tres minime . il est interdit d’y amener de la nourriture mais les velos sont gratuits
Les conducteurs se civilisent et respectent les feux meme si ya encore des gens trop pressés pour attendre
Ils restent neanmoins 2 GROS problemes :
les busetas : ces petits bus qui sillonnent les rues et s’arretent n’importe ou et surtout qui polluent ENORMEMENT
et les camions qui sont nombreux et souvent tres polluants
Malgre cela Bogota est une ville superbe a decouvrir 🙂