Comment le capitalisme détruit la planète

Connaissez-vous Nauru ? Cette île du Pacifique est la plus petite République du monde, apparemment semblable à des dizaines d’autres. Elle fut même, dans les années 1970-1980, l’un des pays le plus riches du monde. Aujourd’hui, Nauru est un État en ruine, une île littéralement dévastée. C’est le récit de cet incroyable effondrement qu’a entrepris Luc Folliet dans son dernier ouvrage: « Nauru, l’île dévastée. Comment la civilisation capitaliste a détruit le pays le plus riche du monde. »

Tout commence à Nauru avec le phosphate, ce « cadeau de Dieu », dont l’exploitation démarre au début du 20ème siècle. Lorsque les Nauruans conquièrent leur indépendance, en 1968, des centaines de millions de dollars tombent dans le portefeuille du nouvel État et de ses habitants, qui adoptent un mode de vie occidental et dépensent sans compter.

Les Nauruans entreprennent de littéralement piller leur petite île de 21 km2 pour en extraire le phosphate destiné à fabriquer des engrais pour l’agriculture industrielle d’Australie, des Etats-Unis ou d’ailleurs.

Le niveau de vie dans l’île monte rapidement si bien que l’extraction du phosphate, industrie d’état, arrive à déverser des richesses sur l’ensemble de la population, qui ne travaille plus du tout et vit des royalties accordées par le gouvernement aux habitants de l’île.

Le livre de Luc Folliet livre ainsi des anecdotes assez croustillantes. A cette époque, les habitants sont si riches que certains remplacent le papier toilette par des dollars australiens… Également, plus personne ne fait le ménage chez soi car le gouvernement paye des domestiques immigrés pour aller faire le ménage chez les Nauruans.

Parallèlement, le gouvernement de Nauru se lance dans une politique frénétique d’investissements internationaux (hôtels de luxe, buildings en Australie, etc.)

Vous me direz, quel rapport avec la société de l’automobile? Et bien, durant cette époque « bénie » où les dollars coulent à flots, les Nauruans se passionnent pour l’automobile et en achètent tous plusieurs par personne, essentiellement des gros 4×4 et des pick-up. Le problème, c’est que sur l’île de Nauru, il n’y a qu’une seule route qui fait le tour de l’île, en moins de 30 minutes…

Alors, à cette époque, l’activité principale des Nauruans consiste à faire des tours de l’île en voiture. Et quand leur voiture tombe en panne, en général, ils la laissent sur le bas-côté et rentrent à pied, car de toute manière, « ils attendent un nouveau 4×4 qui doit arriver par le prochain cargo ». Ce qui explique que la route de l’île est parsemée de voitures abandonnées, souvent en bon état, mais qui deviennent assez rapidement des épaves.

Le problème inattendu de toute cette richesse, c’est une épidémie sans précédent d’obésité qui s’abat sur l’île (le plus fort taux d’obésité au monde, loin devant les Etats-Unis), ce qui est normal vu que les Nauruans ne font plus aucune activité physique. Plus grave, quasiment tous les habitants sont désormais atteints du diabète et ne font plus la cuisine depuis longtemps. Aux heures des repas, les familles de Nauru prennent leur 4×4 et vont acheter des plats chinois à emporter.

Lire aussi :  Aux origines de la décroissance

Et un jour, le rêve ou le cauchemar, c’est selon, s’effondre. Au début des années 1990, le phosphate s’épuise. Et les investissements à l’étranger ne rapportent pas, voire même commencent à coûter extrêmement cher… Alors, l’île se vend à qui bon lui semble. Le gouvernement vend le droit de vote de Nauru à l’ONU au plus offrant (Chine, Taïwan, etc.) et vend même la nationalité nauruanne à tous les proscrits de la planète (mafieux, terroristes, etc.) afin qu’ils bénéficient de l’immunité diplomatique…

L’île se transforme également en paradis fiscal pour blanchir les billiards d’argent sale de la planète. Des centaines de banques off-shore choisissent de s’installer dans ce nouveau paradis fiscal jusqu’à ce que le pays soit inscrit sur toutes les listes noires de la planète en ce qui concerne les paradis fiscaux.

Mais rien n’y fait, Nauru devient l’un des États les plus pauvres au monde et loue sa terre à l’Australie voisine qui peut y « exporter » ses camps d’internement de réfugiés. L’île devient alors un gigantesque camp de rétention australien jusqu’à ce que la polémique en Australie amène le gouvernement australien à arrêter cette politique d’immigration pour le moins honteuse.

On envisage même alors l’abandon de l’île et l’exil de ses habitants…

Désastre écologique, faillite économique, hyperconsumérisme, maladies chroniques : l’histoire de Nauru raconte aussi notre histoire. Elle montre comment le rêve de prospérité peut, en quelques années, virer au cauchemar.

L’histoire de Nauru est également un concentré de capitalisme sur 21km2: pillage des ressources naturelles, surconsommation, corruption généralisée, clientélisme, pollution générale, mondialisation, investissements boursiers et fonciers, crise financière, argent sale, mafias, etc.

Où en sont les Nauruans aujourd’hui? Ont-ils retenu la leçon de l’incroyable désastre de leur île? Aux dernières nouvelles, il resterait encore du phosphate sur l’île , c’est ce qu’on appelle le secondary mining (l’exploitation secondaire).  Désormais, on ne parle plus que de transformer l’île en gruyère géant pour extraire les derniers kilos de phosphate, jusqu’à l’abandon final de l’île?

foliet

Nauru, l’île dévastée
Comment la civilisation capitaliste a détruit le pays le plus riche du monde
Luc FOLLIET
Editions La Découverte (mars 2010)

12 commentaires sur “Comment le capitalisme détruit la planète

  1. CarFree

    Oui j’ai lu Effondrement de Jared Diamond, ouvrage intéressant qui a le mérite de balayer l’ensemble des sociétés ayant disparu au cours de l’histoire (mis à part celles détruites purement et simplement par les colons européens…): vikings du Groenland, Mayas, îles du Pacifique, certains peuples indiens d’Amérique ayant disparu avant l’arrivée des européens, etc. C’est un ouvrage passionnant sur de nombreux aspects, quand on ne connaît pas l’histoire de ces peuples, et qui a le mérite de proposer une « grille d’analyse » de l’effondrement des sociétés. Par contre, j’ai trouvé certains chapitres beaucoup moins bons, ceux où il explique son rôle d’expert scientifique payé par des compagnies pétrolières pour contrôler leur impact environnemental… C’est alors un plaidoyer pour la « responsabilité morale » des entreprises en insistant sur des exemples de pratiques sensées être « vertueuses »… Ce qui manque à mon avis à l’ouvrage, c’est un peu de perspective politique et économique à ses sujets de recherche. L’auteur ne sort pas du cadre général actuel (capitalisme, exploitation, pillage, etc.) mais joue sur l’aspect « améliorable » de la destruction de l’environnement… Bref, quand il livre ses analyses scientifiques, c’est passionnant. Quand il tente d’expliquer son implication dans le monde réel, c’est franchement naïf…

  2. Tassin

    Ah oui c’est vrai j’avais oublié ce passage sur le « pétrole propre »…
    Ca me rappelle une phrase de Christophe de Margerie (PDG de Total) « Je suis convaincu que le pétrole peut être une énergie renouvelable » 😀

  3. Pim

    Sur un sujet similaire, Arte diffusait cette semaine un documentaire très intéressant : « vivez prospérez consommez »
    Vous le retrouverez en streaming sur vos plate formes préférées..

  4. MOA

    En 2 x 15 minutes, tout est résumé.

    Mots clés : travail, travailler plus, capital, agriculture, publicité, croissance, exploitation des ressources, des hommes, aller toujours plus vite, compétitivité, écologie, société de sur-consommation, productivisme, argent-dette, souveraineté alimentaire…

    Mondialisation; Le travail, pourquoi? 1/2

    Mondialisation; Le travail, pourquoi? 2/2

    Documentaire produit par Mr Mondialisation

  5. Pim

    Et j’ajouterai qu’en une petite centaine de pages, Hervé Kempf explique « Comment les riches détruisent la planète »… pour 6 eur en librairie

  6. Tommili

    TOA, le bonjour,et merci de remuer le couteau dans la plaie, tu m’as gâché la journée, (petit enfoiré) avec des trucs que je connais par coeur (Picsou et Donald, excellent,vu comme çà..)
    Par contre, certains commentaires prouvent bien que y en a des qui dorment encore profondément, alors je les invite à découvrir (dans l’ordre qu’ils veulent) : Soleil Vert, Age of Stupidity et Idiocraty,( et à toi aussi, çà t’apprendra…)

  7. MOA

    Pour les dormeurs, je vous invite à aller voir le documentaire « small is beautiful » actuellement dans toutes les bonnes salles de ciné c’est à dire pas les multiplexes.

    Tiré du très bon magazine ciné Brazil (des gens à soutenir… autre chose que les torchons ciné comme Première pour n’en citer qu’un) :

     » Small is beautiful est un vrai film utile, engagé et accessible, bien loin des effusions démagos de tous les prêcheurs verts tendances du moment. (…) Small is beautiful est un grand film citoyen, qui nous éduque et nous informe à cet effet, en privilégiant la proximité et la simplicité pour nous dire : maintenant c’est à vous de jouer. »
    Thomas Lecuyer – Brazil n°34.

  8. Daniel Etchemendy

    je me permets de vous transmettre ce lien d’information, et vous fais ainsi part de ma préocupation quant au projet minier sur l’île d’Halmahera en Indonésie. Cet article complet met bien en avant les enjeux qui méritent d’être connus du public.
    Lien info :
    http://www.novethic.fr/novethic/entreprises/impact_local/un_projet_francais_mine_nickel_conteste_en_indonesie/131622.jsp

    Je m’adresse à vous au sujet de ce projet du groupe français Eramet, car j’entreprends actuellement à titre personnel, d’informer autant que possible les personnes et associations concernées par les enjeux environnementaux, mais aussi la presse, et les personnes succeptibles de relayer cette information, ceci dans l’espoir de la voir mieux connue du public, ce qui peut être vital pour l’intérêt général.

    Merci beaucoup de votre attention dont je vous sais gré.
    Très cordialement,
    Daniel Etchemendy

  9. MOA

    Où en sont les Nauruans aujourd’hui? Ont-ils retenu la leçon de l’incroyable désastre de leur île? (…) Désormais, on ne parle plus que de transformer l’île en gruyère géant pour extraire les derniers kilos de phosphate, jusqu’à l’abandon final de l’île?

    Gruyère? extraire comme des gros cochons des ressources?

    Ca me fait penser plus particulièrement à un truc chez nous (aux Etats-Unis, c’est en cours et chez nous, ça risque d’être à nouveau d’actualité)

    Ah oui : les forages de gaz de schistes !

  10. José

    N’importe qui traitera les Nuruans de naïfs parce que l’issue était comme programmée. A une plus grande échelle, celle de la planète, nous commettons les mêmes erreurs mais la taille de notre monde permet de cacher la m… sous le tapis. A moins d’un changement radical, nous parviendrons tôt ou tard au même résultat. La fracturation hydraulique est-elle autre chose que du secondary mining?

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