Retraite à 50 ans pour les réacteurs nucléaires

Enfin une bonne nouvelle ! Dans le paysage énergétique français après Fukushima, c’est même une excellente nouvelle : la mise en retraite des réacteurs nucléaires est encore reculée de dix ans. Par des voix autorisées proches du pouvoir et des bruits de couloirs, l’État a fait entendre sa décision de prolonger de dix ans la durée de vie des centrales nucléaires françaises, pour qu’elles passent de 40 à 50 ans.

La presse officielle (1) s’est rapidement fait l’écho de cette nouvelle sensationnelle parue dans le Journal du Dimanche (2).

En soi, prise au premier degré, c’est une très mauvaise nouvelle, mais mise en perspective historique dans le contexte global de l’énergie atomique on peut l’interpréter au contraire comme une excellente nouvelle.

Les associations anti-nucléaires ont réagit à vif pour faire part de leur inquiétude et crier haut et fort leur refus de cette décision irresponsable pour la sécurité du territoire et de la population.

L’Observatoire du nucléaire, plus au fait de la chose nucléaire et plus terre à terre, a rapidement saisi et dénoncé le caractère fumeux de cette « pseudo-information ».

On peut lire sur son site : « Le JDD a estimé indispensable de relayer des rumeurs et autres bavardages, sous la forme d’un article au titre laissant peu de place au doute : « L’État va prolonger le nucléaire de dix ans » Cette prétendue information est « attestée » par de mystérieuses « sources » dites « proches du gouvernement » ou « proches de l’administration » (on a échappé miraculeusement à la célèbre source « proche du dossier »). En réalité, cette « information » est totalement erronée sur le plan juridique, mais aussi sur le plan matériel (c’est-à-dire par rapport à l’état déplorable de la plupart des réacteurs « français »). »

Ayant décrypté le style et le vocabulaire journalistique de la rumeur il rappelle les procédures habituelles en matière de nucléaire : « Juridiquement, seule l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) – et non le gouvernement – est habilitée à autoriser EDF à faire fonctionner des réacteurs. Or l’ASN a seulement commencé à étudier au cas par cas la capacité des réacteurs « français » à fonctionner au-delà de 30 ans. » Voilà pour les règles de l’art dans les procédures nucléaires (3). »

Interrogé par Le Monde, Pierre-Franck Chevet le patron de l’Agence de Sureté Nucléaire a rappelé les rôles respectifs de l’État et de l’ASN puis il a fait clairement comprendre que rien n’était acquis.

« Le rôle de l’État est de définir la politique énergétique du pays. Le mien est de garantir la sûreté nucléaire. Entre une décision de politique énergétique et une décision de sûreté, il doit y avoir indépendance. » «La poursuite du fonctionnement des réacteurs au-delà de quarante ans n’est pas acquise. Nous sommes encore dans une phase de discussion technique avec l’exploitant, EDF, qui prendra quelques années. L’ASN prendra une première position sur ce sujet en 2015, sachant qu’un avis définitif demandera vraisemblablement davantage de temps (4). » En disant cela, il a insidieusement entériné la première prolongation à 40 ans…

Mais dans l’ensemble, les propos du patron de l’ASN ont quelque peu rassuré les associations anti-nucléaires. L’État ne peut pas passer en force et si l’ASN dit « non ! » il y a un cassus belli, non seulement avec l’ASN mais aussi avec le peuple français qui n’a jamais vraiment accepté le fait (nucléaire) du prince. On l’a vu récemment pour les gaz de schiste, la France vivante « d’en bas » peut être imprévisible… parfois même capable d’arrêter in extremis les dérives furieuses et désastreuses de la politique énergétique de la France savante « d’en haut ».

Cependant, l’Autorité de Sureté Nucléaire est à ce jour l’institution la moins compétente en matière de « sureté nucléaire ». Elle se situe loin derrière EDF et Aréva qui ont très bien compris que dans ce domaine de « sureté » l’essentiel sinon tout se joue dans l’espace médiatique. Il est très important de comprendre cette dimension anthropologique de la dite « sureté nucléaire ». Bien avant Fukushima les choses étaient claires pour EDF et Aréva, la sureté nucléaire se résume à assurer l’acceptation sociale du nucléaire, point à la ligne. L’ASN continue à croire et à faire croire, même après Fukushima qu’une expertise technique est encore susceptible d’assurer la dite « sureté nucléaire » alors que la catastrophe japonaise a réduit à néant tout l’échafaudage théorique qui permettait de réifier cette notion.

En clair, après Fukushima la notion théorique de « sureté nucléaire » a atteint sa date de péremption et se réduit à un oxymore. Comme on l’a longuement argumenté dans « Pourquoi Fukushima après Hiroshima », la « sureté nucléaire » se réduit aujourd’hui plus que jamais à des rituels conjuratoires et la seule sureté possible et réelle n’est plus technique et encore moins « nucléaire » mais impose au plus vite la sortie du nucléaire.

Aussi sévère qu’il soit, le gendarme du nucléaire n’est plus crédible et devient risible en gendarme de Saint-Tropez du nucléaire (5). Les bruits de couloir de « sources proches du gouvernement » surgissent au moment même où se multiplient les incidents nucléaires. On est donc dans la surenchère militaire et l’aveuglement délibéré, Tricastin fuite son tritium dans le Rhône… que fait l’ASN, le gendarme du nucléaire ???

Mais au-delà de ces aspects juridiques, administratifs, des possibilités techniques d’une telle prolongation et de son impact médiatique, la simple rumeur d’une extension à 50 ans de l’âge de la retraite des centrales est en fait une excellente nouvelle. Pour voir les choses ainsi on doit intégrer l’information dans la Bérézina globale de l’industrie nucléaire.

Le nucléaire est à bout de souffle, incapable de se reproduire et de produire de la « sureté nucléaire » avec des EPR, incapable de construire des centrales au pas de charge, il recule l’âge de la retraite de ses vieilles bouilloires.

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Pour obtenir des changements notables dans le paysage énergétique français, pour une réelle transition énergétique, il faudrait fermer d’office l’École Polytechnique et le Commissariat à l’Énergie Atomique, licencier tout le personnel, le mettre en retraite anticipée et ainsi tarir à sa source militaire l’entreprise nucléaire française. En attendant un tel événement politique, on ne peut que s’attrister de cette tyrannie scientifique et polytechnique ou se réjouir de la Bérézina dans laquelle la France savante s’embourbe.

Bien qu’adapté, puisqu’on a à faire à deux institutions militaires, le mot Bérézina peut paraître trop fort et subjectif. Parlons de décélération vertigineuse de l’entreprise française du nucléaire, car en définitive la possibilité de prolongation des centrales à 50 ans s’inscrit dans cette dynamique de sénescence technologique française.

A l’origine, la nucléarisation du territoire s’est faite par l’arbitraire le plus brutal et au pas de charge. Mais dans notre malheur national, on a échappé au pire car la décélération a été tout aussi brutale. Après l’invasion territoriale par les neutrons thermiques, l’armée polytechnique avait programmé dans la foulée une seconde charge par les neutrons rapides. Dans le plan de bataille, à la première vague de réacteur à eau pressurisé devait faire suite la déferlante des Superphénix. A l’horizon de l’An 2000 il était projeté 140.000 Mégawatt électrique dont 40.000 assurés par des surgénérateurs (6). Tel était le programme de la France savante au moment du premier choc pétrolier et du lancement de Superphénix, le réacteur à neutrons rapides capable de produire plus de combustible qu’il n’en consomme en produisant de l’énergie.

Dix ans plus tard, juste avant les premiers déboires du surgénérateur miracle, le CEA rectifiait le tir pour viser une cible plus réaliste située plus loin dans le temps mais restait ferme sur la charge explosive : « 28 centrales surgénératrices devaient fonctionner en 2025 » (7).

Avant l’échéance de l’An 2000 le prototype de surgénérateur, Superphénix de Creys-Malville dans l’Isère était à l’agonie (8). Les surgénérateurs ont rejoint les limbes polytechniques.

Dans la première décennie du 21e siècle, l’État toujours avec la même brutalité, réussissait à mettre en chantier un EPR, pour servir de vitrine à la technologie française. Sept ans plus tard le chantier dure toujours, le bijou technologique accumule les malfaçons et découvre au fur et à mesure tous ses défauts de conception, il n’est même plus sûr que le gendarme de Saint-Tropez du nucléaire accepte sa mise en fonction. Peut être qu’à eux seuls tout les déboires de l’EPR expliquent ce report de retraite arbitraire comme ultime procédure de survie du nucléaire.

On est dans un schéma très ordinaire de fin d’Empire, « La garde meurt mais ne se rend pas ! ». Le recul de l’âge de la retraite pour les réacteurs arrive dans ce contexte de décélération vertigineuse du nucléaire débuté dans la dernière décennie du 20e siècle.

Malgré une volonté farouche des nucléocrates et de l’ensemble de la Noblesse d’État d’en découdre coute que coute, disposant pour cela d’un trésor de guerre immense fourni par les contribuables de la France d’en bas, la France savante d’en haut toujours capable de multiplier les Grands Projets Inutiles Imposés, ayant donc conservé tout son pouvoir de nuisance, cette France savante donc est définitivement incapable de construire une centrale nucléaire. Fidèle à ses origines militaires, elle pourrit aujourd’hui dans son dernier carré de Waterloo. En négatif positif c’est ce que veut dire cette ultime tentative de faire survivre à l’âge de la sénescence l’aventure nucléaire en France.

Aux origines du drame, bien avant le 1er choc pétrolier, l’état-major des nucléocrates avait décidé d’autorité que l’avenir énergétique de la France serait « électronucléaire », on mesure aujourd’hui ce que cela veut dire en terme de fossilisation intellectuelle.

Au siècle dernier, on construisait au pas de charge des centrales et un parc de plus de 100 réacteurs de 1000 Mégawatts électriques et plus était prévu pour l’An 2000. Aujourd’hui pour maintenir coute que coute, contre vents et marées et contre toute raison, cet « avenir électronucléaire », l’hydre technocratique, définitivement incapable de construire un réacteur crédible, en est lamentablement réduite à prolonger la durée de vie des centrales construites au siècle dernier.

A défaut d’une sortie rapide pour assurer la sureté territoriale et donc toujours condamné à l’expectative, autant s’inscrire dans une démarche sémiologique d’observation et d’analyse pour révéler et rappeler les signes indirects d’agonie de l’hydre technocratique.

(1) Le Monde.fr avec AFP 13.10.2013 « L’État compte prolonger de dix ans la vie des centrales nucléaires »
(2) Journal du Dimanche « L’État va prolonger le nucléaire de dix ans »
« Le gouvernement autorisera l’allongement de la durée de vie des centrales françaises de quarante à cinquante ans. Un bol d’air pour EDF. »
(3) Observatoire du nucléaire « Durée de vie des centrales en France et projets d’EDF en Grande-Bretagne : autopsie d’un double enfumage médiatique »
(4) LE MONDE | 14.10.2013 « Le fonctionnement des centrales nucléaires au-delà de quarante ans n’est pas acquis »
(5) Jean Marc Sérékian « Pourquoi Fukushima après Hiroshima » Edition Sang de la Terre 2012
(6) La Recherche « Les réacteurs à neutrons rapides » n° 31 février 1973
(7) La Recherche « Surgénérateur à la dérive » n° 203 octobre 1988
(8) La Recherche « Que faire de Superphénix » n° 252 mars 1993

4 commentaires sur “Retraite à 50 ans pour les réacteurs nucléaires

  1. Jean-Marc

    La raison principale du soutien aveugle à l’énergie nucléaire est malheureusement connue :

    C est la mise à disposition d’une filiale compétente dans l’enrichissement et la séparation des radio-éléments… pour pouvoir en avoir pour des usages militaires…. qu’on est censé ne jamais utiliser.

    Donc, c est un peu comme si on avait une compétence dans « l interruption totale de soleil » ou les virus mortels pour l espèce humaine (mais sans anti-dote : sans vaccin ni sérum)

    On a des compétence dans un domaine qu’on ne peut utiliser, qui ne sert strictement à rien (sauf à dépenser de l argent à son entretien… le plateau d Albion coûte ainsi une fortune, comme nos sous-marins lanceurs de missiles), donc il faut continuer à dépenser de l argent dans ce domaine inutile, pour garder notre avance sur les autres…

    N.B.
    les radio-éléments, en usage civils, peuvent avoir une utilité… mais ce n est pas pour celà que nos gouvernements sont pro-nucléaires… d’ailleurs, pour les usages civils d’imagerie médicale, les sources radio-actives ne viennent pas de france mais… de hollande et du canada…
    Areva n est même pas capable de fournir des sources homologuées de Soufre35 ou d’Iode135 à nos laboratoires et labo médicaux… c est dire le peu d intérêt de notre filiale nucléaire…

    Autant investir dans le filet anti-tyrannosaures… ce sera aussi utile, mais moins dangereux.

  2. pédibus

    Quelle richesse technique et économique la France posséderait aujourd’hui si toutes les ressources englouties dans ce secteur militaro industriel avaient été investies dans les énergies renouvelables depuis les 30-40 dernières années…
    Mais avec un sentier de dépendance comme le cobertisme hight tech l’histoire ancienne nous a mis dans l’ornière que l’on sait…

  3. Vincent

    > Mais dans l’ensemble, les propos du patron de l’ASN ont quelque peu rassuré les associations anti-nucléaires. L’État ne peut pas passer en force et si l’ASN dit « non ! » il y a un cassus belli, non seulement avec l’ASN mais aussi avec le peuple français qui n’a jamais vraiment accepté le fait (nucléaire) du prince.

    Le peuple n’a pas non plus été consulté pour le pétrole et le gaz.

    Remplacer des centrales nucléaires pour les remplacer par des centrales au charbon (Allemagne) ou au gaz (Japon), ça n’est pas franchement une bonne idée, que ce soit sur le plan financier (dizaines de milliards d’euro d’importations en plus) ou le plan climatique (réchauffement climatique).

  4. Jean-Marc

    Tout à fait Vincent :
    Sur le long terme, seuls les négawatts sont intéressant :

    c est-à-dire,

    dans les transports, les rails (train, tram, trolley) + le vélo
    dans l habitation, l isolation et la densification urbaine
    dans l agriculture, l agriculture bio, sans intrants dérivés du pétrole directement ou indirects (carburant du tracteur et engrais+produits phytosanitaires)
    dans les produits industriels, développement de la réparation, ré-utilisation, puis après du recyclage

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