Le socialisme ne peut arriver qu’à vélo

La phrase qui donne le titre à cet article n’est pas d’Anne Hidalgo, mais de José Antonio Viera-Gallo, juriste et homme politique chilien né en 1943. Viera-Gallo a été sous-secrétaire à la justice pendant la présidence de Salvador Allende (1970-1973).

La phrase exacte, el socialismo puede llegar solo en bicicleta aurait été prononcée par José Antonio Viera-Gallo lorsqu’il faisait partie du gouvernement d’Allende à l’époque.

Après le coup d’État de Pinochet en 1973, José Antonio Viera-Gallo réussit à s’exiler en Italie. Avec la fin de la dictature de Pinochet, il est rentré au Chili, où il a été membre de la direction du parti socialiste puis ministre dans le gouvernement de Michelle Bachelet.

Cette citation est devenue célèbre, car Ivan Illich a rappelé la phrase en 1973 au début de son livre Energie et équité (dans la version anglaise), et l’a commentée plus tard: « Ma thèse soutient qu’il n’est pas possible de réaliser un état social basé sur la notion d’équité et d’augmenter simultanément l’énergie mécanique disponible, à moins que la consommation d’énergie par tête ne soit maintenue dans des limites. En d’autres termes: sans électrification, il ne peut y avoir de socialisme, mais inévitablement, cette électrification devient une justification de la démagogie lorsque les watts par habitant dépassent un certain niveau. Le socialisme exige pour la réalisation de ses idéaux un certain niveau dans l’utilisation de l’énergie: il ne peut pas venir à pied, ni en voiture, mais seulement à la vitesse de la bicyclette. »

Dit autrement, le socialisme avance au rythme d’une bicyclette, ce qui implique que ce mode de transport constitue une médiane équitable entre une société défavorisée qui se déplace à pied et une société prodigieusement dépendante d’une propulsion automobile gourmande en combustibles fossiles.

Il y a plusieurs façons possibles d’interpréter la citation de Viera-Gallo, mais une chose qui a toujours semblé très claire, c’est qu’au moins un des nombreux contraires possibles est définitivement vrai; que les conducteurs de voitures sont toujours, quelque part dans leur misérable cœur, des conservateurs.

Lire aussi :  Propagande et illusion

On pourrait dire que c’est principalement parce que les voitures représentent une manifestation littérale du « pouvoir » dans nos espaces publics – à la fois en tant que machines qui génèrent du pouvoir, et en tant qu’armes qui peuvent être utilisées pour tuer, blesser et terrifier les personnes qui ne sont pas en voiture. Elles imposent une hiérarchie et normalisent également cette hiérarchie de sorte qu’elle disparaît aux yeux de beaucoup et semble « naturelle. » Dans la rue, une classe est autorisée à en tuer une autre et c’est un « accident. »

Tout en projetant cette violence, les automobiles projettent également les besoins de statut et les besoins de jalousie de leurs propriétaires dans l’espace public via leur fonction d’affichage. C’est ce que l’économiste américain Thorstein Veblen appelait le principe de consommation ostentatoire au travers de sa théorie de la classe de loisir.

Les voitures promettent également de concrétiser certaines des promesses fantaisistes du capitalisme: la promesse illusoire de la liberté totale (de se déplacer, de polluer, de tuer, etc.), le contrôle total de l’individu, la privatisation de facto de l’espace public, etc.

Et, pour en revenir à la dure réalité, elles ont besoin de combustibles fossiles et de la pathologie destructrice de la planète qui les accompagne, sans parler des guerres impérialistes sans fin contre des civils innocents dans le monde entier.

Donc, on ne sait pas si le socialisme finira par arriver à bicyclette, mais une chose est sûre, le capitalisme nous conduit directement dans le mur en voiture…