Big Business avec les Gaz de Schiste

3e partie, 3/3
Segment aval

A ce groupe aval du Big Business avec les gaz de schiste, la France offre deux géants potomanes pour les eaux sales. Faire disparaître l’arme du crime et effacer les traces du saccage environnemental, conjurer les risques sanitaires et même recycler les mégatonnes d’eaux toxiques de la fracturation hydraulique, est-ce possible? Peu de gens (honnêtes) le pensent. A cet avis de bon père de famille, est venu se joindre le gouverneur de l’État de New York. En 2014, il transformait le moratoire en interdiction de prospection des gaz de schiste sur son territoire. De leur côté, deux Géants potomanes français, « Suez environnement » et « Veolia » affichent la prétention de faire disparaître au moins les traces les plus visibles de l’écocide…

Rappelons les propos de Mr Cuomo, le gouverneur de New York, qui n’est pas un écologiste: « Est-ce que je voudrais vivre dans un endroit où existe la fracturation hydraulique en me fondant sur les éléments que l’on a? Est-ce que j’accepterais de laisser jouer mes enfants dans la cour d’une école avec un forage non loin? Après avoir lu pléthore de rapports… ma réponse est « non » (1)… »

La décision sage et même courageuse du gouverneur face à la fièvre schisteuse épidémique des États-Unis ne ramènera fort probablement pas nos hydres hydrophiles des eaux sales à de plus modestes prétentions. Depuis quelques décennies, ces deux transnationales se démènent et bataillent partout dans le monde pour conquérir un monopole stratégique sur une substance encore plus vitale dans les rouages de l’économie que le pétrole: L’eau.

La croissance de leur savoir-faire et la puissance industrielle acquise dans ce domaine sont à la mesure du développement du « capitalisme du désastre » et de sa prédation destructrice sur cette molécule naturelle indispensable à la vie. L’eau douce naturellement potable (non polluée) disparaît à grande vitesse de la surface de la terre, une aubaine pour Suez environnement et Véolia. Avant même l’avènement de la frénésie extractiviste sur les gaz de schiste et donc de la production colossale d’eau toxique par la fracturation hydraulique, nos deux hydres hydrophiles prospéraient paisiblement avec les saccages environnementaux du développement routinier du capitalisme de l’ancien régime.

Pour traiter ce segment aval, on ne prendra qu’un exemple, celui qui défraie la chronique à travers le monde, l’État du Queensland en Australie avec sa frénésie extractiviste et exportatrice. Dans un premier temps, on s’efforcera de se mettre dans la peau d’un lecteur du journal « Les Échos » et, afin de bien camper l’état d’esprit du personnage, précisons encore qu’il porte fièrement deux montres Rolex aux poignets. Puis, insidieusement en lisant entre les lignes, on fera émerger la logique assumée du « capitalisme du désastre. »

« Gaz de schiste : Veolia et Suez en lice pour un contrat géant »

« Tous deux à l’affût de relais de croissance, Suez Environnement comme Veolia se positionnent sur les nouveaux marchés porteurs. Mais là comme ailleurs, les deux poids lourds tricolores du traitement de l’eau se retrouvent en concurrence. C’est aujourd’hui le cas sur les gaz de schiste et de charbon (le fameux grisou). Selon nos informations, Veolia Environnement et Suez Environnement sont, avec General Electric, trois des quatre candidats pré-sélectionnés pour un appel d’offres d’une taille exceptionnelle, supérieur au milliard d’euros, dans le gaz de charbon. » Les Échos, janvier 2013 (2).

C’est en Australie que ça se passe… Dès le titre on est mis en appétit, il y a de l’argent à gagner et, nos deux Rolex au poignet, on comprend vite à la lecture que si l’on ne mise pas chez Véolia ou Suez on risque de rater sa vie en passant à coté du marché du siècle… Les mots clefs de la rhétorique économique sont à leur poste: « relais de croissance, » « marché porteur, » « appel d’offre d’une taille exceptionnelle, supérieur au milliard… » Et cerise sur le gâteau, il s’agit d’un marché public, bref l’opportunité à ne pas manquer…

Mais l’intérêt de l’article n’est pas seulement dans la levée des fonds et la mise en transe des investisseurs. Pour assurer une captation mentale efficace, le crescendo dithyrambique révèle quelques vérités qui fâchent, censurées par les gaziers. Là où les experts pétroliers, aidés par des éclairagistes scientifiques patentés, s’évertuent à minimiser au maximum les conséquences de leurs actes, le journal des investisseurs les affiche sans gêne, car elle doit valoriser la puissance potomane des hydres hydrophile des eaux sales: « L’Australie est, avec les États-Unis et le Canada, l’un des trois grands pays producteurs de gaz de schiste et de charbon. Mais c’est aussi celui où la pollution que cela entraîne, en particulier celle liée aux fluides de fracturation très toxiques injectés dans le sous-sol, a suscité les plus vives controverses. La législation du Queensland a été durcie et Queensland Curtis LNG est astreint à dépolluer intégralement l’eau remontée des puits pour qu’elle soit réutilisée, seul étant enfoui le résidu solide toxique après concentration et évaporation. Ce projet comprend un cycle complet de traitement de l’eau (si l’on oublie l’eau polluée restée dans le sol), contrairement à nombre d’autres, notamment aux États-Unis, où l’eau polluée est simplement rejetée. Veolia et Suez Environnement ont visiblement estimé donc pouvoir y être associés sans dommage pour leur image. »

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Ce n’est pas un écolo qui parle mais les mots sont là, ceux que les élites politiques et l’académie des sciences ne veulent pas entendre: « pollution, » « fluides de fracturation très toxiques, » « si l’on oublie l’eau polluée restée dans le sol, » « aux États-Unis, où l’eau polluée est simplement rejetée (dans le milieu naturel). »

« Appel d’offre, » « relais de croissance, » « marché porteur, » on le comprend bien, c’est de la cristalline garantie. Dans cette opportunité à saisir, représentée par la volonté des autorités locales de prendre en charge au moins les tonnes d’eau toxique issues de la fracturation hydraulique, on imagine aisément que la note ne sera pas présentée aux gaziers. Les pollueurs ne seront pas les payeurs.

Les autorités de l’État du Queensland défraient suffisamment la chronique écologique à travers le monde par leur paroxysme extractiviste qualifié de « vandalisme environnemental ». « La société Queensland Energy Resources (QER) concrétise actuellement ses projets de mine de schiste à ciel ouvert et d’usine de transformation près de Gladstone. Elle devra aussi décider ce qu’elle compte faire des vastes zones sur lesquelles elle détient des droits miniers et dont le sous-sol contient jusqu’à 8 milliards de barils de pétrole de schiste récupérable, sur les 22 milliards estimés dans l’ensemble du Queensland. »

« Selon les Verts australiens, la levée du moratoire est du “vandalisme environnemental”. Le Premier ministre du Queensland, Campbell Newman, a rétorqué que l’essor de l’industrie créerait des emplois, permettrait à l’État d’empocher des redevances et serait dès lors une “victoire” pour le Queensland » (3).

Rappelons que les autorités politiques de cet État du Nord-Est de l’Australie sont déterminées à tout sacrifier à l’extractivisme des énergies fossiles. Elles investissent massivement dans l’extension des infrastructures portuaires pour l’exportation avec dragage des fonds marins afin de permettre le passage des plus gros bateaux minéraliers. Un modèle de capitalisme du désastre, tout y passe, que ce soit à l’intérieur des terre, sur le littoral et au large rien ne résiste, tout est saccagé dans la précipitation, même l’écosystème unique au monde de la « Grande Barrière de corail » n’a pas réussi à les faire reculer…

Dernier détail de l’article des Échos, on est en limite de l’éthique avec les prétentions de propreté des deux géants français, c’est le journaliste prudent qui le dit: « Veolia et Suez Environnement ont visiblement estimé pouvoir y être associés sans dommage pour leur image. » Collaborer au greenwashing d’un écocide « sans dommage pour son image, » est-ce possible? Oui! répondent les deux Hydres hydrophiles…

Première partie
Seconde partie
Troisième partie

(1) Le Monde.fr | 17.12.2014 « Gaz de schiste : l’État de New York interdit la fracturation hydraulique »
(2) Les Echos le 24/01/2013 « Gaz de schiste : Veolia et Suez en lice pour un contrat géant« , Myriam Chauvot
(3) Courrier International, 23 05 2013, « Grande Barrière de corail contre gaz de schiste« , « Conservation. L’État australien du Queensland connaît un énorme boom minier. Mais les sites protégés de la région devraient être épargnés », The Guardian, Lenore Taylor.